Je ne te connaissais pas

By alice_jeanne

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Lorsque Deborah, étudiante en dernière année, apprend la mort de sa grand-mère, son monde bascule. Est-ce qu'... More

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Livre 2 - Chapitre 39
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Livre 2 - Chapitre 40

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By alice_jeanne


Jeudi 8 octobre 1942

Cher journal,

Je dois avouer que quelques jours loin du tumulte de notre mouvement m'ont finalement fait du bien. L'impression de remettre les pieds dans la vie réelle, en quelque sorte. Ou d'échapper à celle-ci, pour revenir dans le quotidien édulcoré dans lequel se maintiennent les gens ici.

Nous avons tous noté que l'occupation se durcissait. Avec les premiers froids, les récoltes et les rations diminuent, et si elles étaient déjà maigres pour nous nourrir, il faut désormais qu'elles nourrissent les troupes allemandes qui sont de plus en plus nombreuses. Nous comptons cinq divisions, parfois plus, au repos en Normandie, et plusieurs en station proche de Caen. Inutile de faire partie de notre réseau pour s'apercevoir que les rations viennent à manquer, et que se procurer de la nourriture, malgré les tickets fournis, devient mission impossible. Les caennais s'en sont rendus compte, et les Boches également. De nombreuses esclandres ont eu lieu ces dernières semaines : les soldats sont de plus en plus violents envers la population, et n'hésitent pas à se servir de leurs armes pour obtenir du rationnement, ou des repas sans tickets auprès des bistrots.

La mainmise de ces hommes sur notre quotidien ne faiblit pas, et pourtant aucun soulèvement populaire, aucune révolte ne vient leur rappeler que nous sommes encore ici chez nous.

Au contraire.

En même temps que l'occupation, la violence, et la répression ; la collaboration et la délation, qu'elles soient envers les résistants ou les juifs, n'ont jamais été aussi fortes. Nombreux sont ceux qui, par crainte de représailles, ou pour se placer dans les petits papiers de plus hauts placés, vendent leurs âmes et un renseignement, qui coutera certainement la vie à une famille entière.

Les journaux ne font plus aucun mystère des déportations qui attendent les familles juives, et de l'horreur des camps dans lesquels ils sont enfermés. Et bon nombre des nôtres ont laissé la vie dans les cellules de la Kommandantur, torturés à mort après avoir été dénoncés, sans jamais donner à ces chiens la satisfaction d'une information.

Et pourtant, des êtres sans morale préfèrent une fausse paix tant qu'elle les protège, vendent leur prochain, et soulagent leur conscience en se disant qu'ils font ce qui est le mieux pour eux.

Nicole plaide que beaucoup n'ont pas le choix, et que face à une baïonnette allemande beaucoup de nos beaux principes s'envolent. Mais qu'en est-il de ceux qui trahissent de leur plein gré ? Nicole dit que ceux-là pourriront en enfer, et qu'on ne peut s'attaquer en même temps à l'ennemi et à ceux qui, parmi nous, décident de collaborer. Elle dit que je vis depuis trop longtemps avec Madeleine, et que ma vision de la justice est obscurcie par la colère. Peut-être à elle raison.


Dimanche 11 octobre 1942

Cher journal,

J'ai profité de ces vacances forcées pour retourner à l'atelier de Madame Blanchard. Voilà près d'un mois que j'avais déserté ses rangs, sans explications, et j'appréhendais de me retrouver face à elle et d'assumer mon geste. J'espérais surtout qu'elle et son atelier étaient toujours là où je les avais laissés.

Deux ans après l'incendie qui avait réduit en cendre le bâtiment, et presque couté la vie à ma patronne, les murs avaient été remontés, la vitre remplacée, et je pouvais voir deux couturières s'affairer derrière les Singer. J'ai poussé la porte de l'échoppe, prenant un instant pour m'habituer à la pénombre, souriant aux filles qui semblaient bien surprises de me voir là.

- Madame Blanchard ? ai-je demandé, et l'une d'elle m'a fait un signe de tête indiquant la porte de la réserve, derrière le bureau.

Je n'ai pas osé dépasser cette limite naturelle et ai patienté devant le meuble, retenant un sourire en entendant la femme farfouiller dans ses montagnes de tissus, et grogner lorsqu'un rouleau lui échappait des mains. C'est alors que je l'ai vu, posée sur un coin du bureau comme un simple presse papier : la brique qui, deux ans auparavant, avait brisé la vitrine de l'atelier, permettant d'y mettre le feu comme à une poudrière. Les inscriptions «« Verräter » et « Jüdisches », bien que partiellement effacées, étaient encore lisibles sur la pierre.

Et pourtant, deux ans plus tard, l'atelier était toujours là.

Mes pensées ont été interrompues par Madame Blanchard, ressortant du placard les yeux baissés sur les tissus dans ses mains. J'ai dû tousser pour attirer son attention. Son visage s'est allongé, marquant d'abord la surprise, avant que ses sourcils ne se froncent en une expression mécontente. Elle a délicatement posé les tissus sur son bureau, avant d'en faire le tour, se glissant difficilement sur les côtés, pour venir se poster face à moi. Malgré les restrictions que nous vivions elle n'avait perdue ni en corpulence ni en superbe, et je ne pouvais m'empêcher de baisser les yeux, coupable d'avoir disparue du jour au lendemain.

Qu'elle n'a été ma surprise lorsque j'ai senti ses deux bras puissants m'attirer à elle et me serrer contre son cœur – ou plutôt sa poitrine ! Je lui ai rendu son étreinte sans retenue, avant qu'elle ne me tienne à nouveau devant elle à bout de bras.

- Où t'étais passée ma fille ? Ton père était mort d'inquiétude.

J'ai ouvert la bouche mais aucun son n'en est sorti. Elle avait été en contact avec Papa ?

- J'étais ... ici et là. Je suis navrée de vous avoir fait faux bond ainsi.

Elle m'a observé franchement, notant sans doute ma maigreur, mon état de fatigue, et ces petits changements que j'avais moi-même repéré devant mon miroir. Je suis certaine qu'elle devinait sans mal ce que j'avais pu faire de ces dernières semaines.

- Ici et là hein ? Bon. L'essentiel c'est que tu ailles bien. Mais ne laisses pas ton vieux père sans nouvelles aussi longtemps, ce ne sont pas de choses qui se font.

- Promis.

J'ai tendu le bras pour indiquer la brique sur son bureau.

- Comment vont les affaires ?

- On fait aller. Le maire est un vieil ami, il a pour l'instant réussi à plaider ma cause et les Boches me laissent tranquille. Ça pourrait ne pas durer.

Elle m'a tapoté l'épaule avant de repasser derrière son bureau, reprenant son rôle de chef d'atelier.

- Tu me dois trois semaines de broderie ma fille, et, si c'est pour ça que tu es là, j'ai du travail pour toi. Mais j'ai besoin d'être sûre que tu pourras l'assumer.

J'ai hoché la tête

- J'ai besoin de cet argent, Papa en a besoin. Et je vous préviendrais si quoique ce soit devait à nouveau se produire. Mais je ne peux pas vous faire de promesses autres que celle-ci.

Il y a eu un moment de flottement, avant qu'elle ne joigne ses mains devant elle, sans cesser de m'observer.

- Tu as de la chance d'avoir hérité des doigts de fée de ta mère, et de la chance que je connaisse ton père, sans quoi tu serais déjà hors de cet atelier. Mais soit, je prends ce que tu as à m'offrir, mais tu ne seras payée qu'une fois le travail effectué, et plus à la semaine. Je ne peux pas me permettre de te payer si je ne suis pas certaine que tu feras ce que je te demande.

J'ai acquiescé en lui tendant ma main au-dessus du bureau, qu'elle a serré dans la sienne.

Presque immédiatement elle a tiré de sous son bureau une panière pleine de linge qu'elle m'a tendue avec un demi sourire. J'ai empoigné la panière et suis sortie de l'atelier, satisfaite d'avoir de nouveau du travail et de pouvoir apporter un peu d'aide à Papa.

De retour à la maison, j'ai posé la panière sur la table de la cuisine, et suis montée chercher tout le matériel nécessaire dans la chambre de Maman. Bien que je me sois absentée pendant plusieurs semaines, elle n'a pas semblé s'en émouvoir et chaque fois que je rentre dans sa chambre je la trouve dans le même état de contemplation dans laquelle je l'ai laissé la veille.

Les bras chargés de la mallette à couture, j'ai saisi au passage le plateau repas presque intact qu'elle avait laissé sur son lit, et suis redescendue à la cuisine. Le silence qui provenait de ma chambre me laissait penser que Madeleine dormait, et j'ai décidé de m'atteler à mon ouvrage sans perdre de temps.

Le raccommodage de boutonnières, et le rapiéçage de broderies déchirées m'a accaparé pendant de longues heures sans que rien ne vienne me déranger. Je laissais mon esprit vagabonder librement, me demandant principalement ce qui se passait dans la planque en mon absence. Les dernières nouvelles d'André consistaient en un simple « R.A.S », et j'espérais que la situation n'avait pas évolué depuis. J'en étais à me demander si je leur manquais un peu, lorsque j'ai entendu le pas glissant de Madeleine dans l'escalier.

Bien à propos.

Elle est entrée dans la pièce avec un faible sourire à mon intention, les yeux encore gonflés de sommeil. Cette fatigue extrême et son mutisme étaient anormaux, nous n'avions quasiment pas échangé un mot depuis notre retour, et je m'inquiétais réellement sans oser aborder le sujet.

Je l'observais fouiller dans les placards sans grand enthousiasme, tirant un paquet de gâteaux secs probablement rassis, avant de le reposer sur son étagère sans y avoir touché.

Elle a finalement mis une bouilloire à chauffer, et je choisissais cette opportunité pour mettre les pieds dans le plat.

- Madeleine, tout va bien ?

Elle s'est tournée vers moi lentement, comme si me regarder en face lui demandait un effort, mais elle n'a pas répondu à ma question. Non. Au lieu de cela ses yeux se sont embués, sa lèvre a tremblé, et l'instant d'après j'avais bondi de ma chaise pour la serrer dans mes bras. Alors qu'elle était secouée de sanglots je restais interdite, trop surprise de cet épanchement soudain, ne sachant comment réagir. Je me contentais de la tenir contre moi, attendant qu'elle m'explique d'elle-même la raison de ses pleurs. Ce qu'elle fit après de longues minutes, et alors que je l'aidais à s'asseoir sur une chaise, maintenant ses mains dans les miennes.

- Nous avons menti Eugénie. La mission ne s'est pas du tout déroulée comme prévu. L'arrivée des parachutistes, la chasse à l'homme, tout ça est vrai, mais la suite ...

Elle gardait les yeux fixés au sol, et je sentais ses mains se crisper par spasmes.

- Nous nous sommes planqués dans la grange à la tombée de la nuit, la ferme était beaucoup trop proche, mais nous n'avions nulle part où aller en sécurité, nous ne pensions pas qu'ils nous verraient, où que nous serions un quelconque danger pour la famille. Nous étions tellement fatigués... J'avais le dernier tour de garde, mais j'ai dû m'assoupir un moment et ...

Elle secoue la tête, comme si elle voulait chasser les souvenirs de son esprit.

- Le gamin. Il nous avait vus nous planquer, et quand il a croisé les Boches il a tout de suite compris. Mais les Boches l'ont vu partir à toutes jambes en sens inverse, et ils ont senti le coup monté, alors ils l'ont suivi. C'est le gosse qui m'a réveillé et nous avons pris la fuite. Je n'ai pas eu le temps de comprendre ce qui se passait, mais les Allemands eux oui. Ils nous ont pris en chasse bien sûr, mais pas avant de faire payer à la famille pour avoir héberger des maquisards. Ils ont mis le feu à la ferme, ils se sont assurés que la famille voyait partir en fumée toute leur vie, mais ensuite ils ont...ils les ont...Tous. Parents et enfants, une balle dans la tête. Pour trahison. Mais je ne voulais pas ... je ne voulais pas ça. Je ne voulais pas ça.

Elle répétait les derniers mots comme un mantra, alors que je restais figée devant l'horreur de la situation. Une famille innocente, avait été abattue froidement sans même savoir ce qu'on leur reprochait. J'étais effarée. Effarée et en colère, contre les Boches bien sûr, mais contre Madeleine aussi, bien malgré moi. Une famille entière venait de mourir à cause de nous, de notre mouvement, parce qu'ils avaient choisi cette grange bien trop proche d'une habitation, parce que Madeleine s'était endormie, parce qu'aucun d'entre eux n'avait été en mesure d'empêcher ces meurtres. Et tout cela pour quoi ? Pour deux hommes seulement ? Non pas pour une armée, mais pour faire passer deux hommes dont on ne savait même pas s'ils avaient atteint l'autre côté ? Tant que c'étaient nos vies que nous mettions en jeu j'acceptais le risque, mais alors que des vies innocentes venaient d'être prises, toute cette action me semblait soudain dérisoire.

Madeleine continuait de sangloter, prostrée, et plus elle pleurait plus la colère montait en moi. Trop tard pour pleurer, non, c'était trop facile. Il allait falloir faire acte de pénitence, et tenter de réparer autant que faire se peut, le dommage causé. Une vie pour une vie, c'est ce que j'avais affirmé à Madeleine lorsque j'avais ramené Edmund.

Je sentais mes beaux principes s'envoler : ces hommes avaient abattu de sang-froid des gens innocents, il était hors de question qu'ils s'en sortent librement. Une vie pour une vie. Nicole a certainement raison, mon sens de la justice n'est peut-être plus le même qu'il y a deux ans. Peut-être. Mais qui pourrait rester insensible face à une telle situation ?

J'ai retiré mes mains de celles de Madeleine alors qu'elle me jetait un regard implorant, me priant silencieusement de ne pas la blâmer, de lui pardonner, mais c'était impossible.

- Ce qui est fait est fait, mais ce crime ne restera pas impuni. Nous retournons à la planque, ce soir, et nous allons régler cela, ils ne s'en tireront pas comme cela.

Je pouvais lire sur son visage l'incompréhension, puis progressivement la détermination, ma colère faisant écho à sa douleur, la nourrissant, lui donnant de la force.

Elle a hoché la tête en essuyant ses larmes avant de se lever, prête à repartir à la guerre. J'ai ramassé mon linge, décidant de l'emmener avec moi dans la cave, ne sachant pas quand je reviendrais.

Une heure plus tard, un sac sur l'épaule, nous avons de nouveau passé la porte de la maison, un mot sur la table informant Papa une énième fois, la bouilloire depuis longtemps froide sur la gazinière.

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