Je ne te connaissais pas

By alice_jeanne

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Lorsque Deborah, étudiante en dernière année, apprend la mort de sa grand-mère, son monde bascule. Est-ce qu'... More

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Livre 1 - Chapitre 2.
Livre 1 - Chapitre 3.
Livre 1 - Chapitre 4
Livre 1 - Chapitre 5
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Livre 1 - Chapitre 7
Livre 2 - Chapitre 8
Livre 2 - Chapitre 9
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Livre 2 - Chapitre 11
Livre 2 - Chapitre 12
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Livre 2 - Chapitre 21
Livre 2 - Chapitre 22
Livre 2 - Chapitre 23
Livre 2 - Chapitre 24
Livre 2 - Chapitre 25
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Livre 2 - Chapitre 28
Livre 2 - Chapitre 29
Livre 2 - Chapitre 30
Livre 2 - Chapitre 31
Livre 2 - Chapitre 32
Livre 2 - Chapitre 33
Livre 2 - Chapitre 34
Livre 2 - Chapitre 35
Livre 2 - Chapitre 36
Livre 2 : Chapitre 37
Livre 2 - Chapitre 38
Livre 2 - Chapitre 40
Livre 2 - Chapitre 41

Livre 2 - Chapitre 39

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By alice_jeanne


Vendredi 26 septembre 1942

Cher journal,

Nous n'avons eu aucune nouvelle de Madeleine et André pendant deux jours, et bien que Le Suisse ai essayé de me le cacher, je voyais son inquiétude grandir d'heure en heure.

Si nous ne pouvions en parler ouvertement devant Edmund, les regards interrogateurs que nous échangions et les chuchotements incessants ne laissaient que peu de doute sur le fait que quelque chose d'anormal nous tourmentait. Mais Edmund a feint l'innocence, se contentant de nous observer arpenter la pièce comme des lions en cages.

Hier soir, alors que ma nervosité prenait le dessus, il est venu s'asseoir à mes côtés en claudiquant.

- Quand je suis entré chez les Fallschirmjäger, nous avons été amenés en plein milieu d'une forêt pour un exercice de terrain. Une initiation pour les débutants. Trente garçons immatures perdus en pleine nature qui devaient retrouver le chemin de la caserne. J'étais un idiot à l'époque, et je me suis éloigné du groupe pour vadrouiller et voir les alentours. Je n'ai jamais retrouvé mes camarades. J'ai passé trois jours seul dans la forêt, c'était la fin de l'automne et je n'avais assez de rations que pour une journée tout au plus. Quand j'ai finalement retrouvé mon chemin et que je suis rentré à la caserne, j'étais couvert de morsures et piqures d'insectes, je n'avais pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures, et je m'étais foulé une cheville en traversant un ruisseau. Mes camarades croyaient que j'étais mort dévoré par un ours, et j'ai subi de sérieuses remontrances par mes supérieurs. Toute la caserne s'est moquée de moi pendant des semaines et les gars m'ont surnommé Crusoé, pour l'état dans lequel j'étais lorsque j'ai reparu. Mais je m'en fichais, parce que j'étais rentré justement. Malgré le froid, et la faim, et la peur, j'étais rentré chez moi. Mourir est plus difficile qu'on ne le croit.

Je suis restée incrédule. Il avait parfaitement compris la situation, et il essayait de me rassurer comme il le pouvait.

- Crusoé hein ? Ce n'est pas si éloigné de l'état dans lequel je t'ai trouvé.

Nous en avons ri ensemble, et il est resté à mes côtés, silencieux, une bonne partie de la nuit.

Au matin nous avons été réveillés par le fracas de Riri - ou Loulou, je n'en ai réellement aucune idée – rentrant dans la cave comme une tornade. Il s'est arrêté brusquement lorsqu'il a vu Edmund, les yeux si grands écarquillés qu'ils lui prenaient la moitié du visage. Il est vrai que même défait de son uniforme on le reconnaissait Allemand sans difficultés. Le Suisse s'est précipité et l'a secoué par l'épaule :

- Alors ? Quelles nouvelles ?

Le garçon est sorti de sa transe sans quitter Edmund des yeux.

- La mission est un succès. Bellone et Popeye reviennent ici dès que possible. Les autres rejoignent la planque numéro deux.

Une vague de soulagement m'a submergé. Puis immédiatement ensuite les questions. La présence d'Edmund était conditionnée au passage des parachutistes de la France Libre. Une fois cette mission menée à bien, sa présence n'était ni requise ni nécessaire, et je craignais la décision de Bellone quant à la suite des évènements.

Nous avons patienté, une heure, puis deux, et lorsqu'enfin nos chefs ont passés la porte, il était évident que la mission avait été difficile. Je me suis jeté dans les bras de Madeleine, et je l'ai sentie chanceler sous mon poids – pourtant pas bien lourd – alors que ses bras m'enlaçaient faiblement. André affichait lui aussi une mine épuisée, les trais tirés sur la moitié intacte de son visage. Il a serré chaleureusement la main du Suisse avant de se tourner vers moi. Madeleine ne desserrant pas son étreinte – j'ai un instant cru qu'elle s'était endormie contre moi – je me suis contentée de lui sourire, sincèrement heureuse de le voir de retour en un seul morceau. Sourire qu'il m'a immédiatement retourné, faisant sauter un battement à mon cœur bien malgré moi.

Nous nous sommes tous rassemblés auprès du réchaud tandis que Le Suisse préparait une casserole d'eau bouillante et quelques cuillères de café. Edmund a fait le choix, sans doute judicieux, de ne pas se manifester, restant assis sur son lit, le dos appuyé au mur. Mais je sentais son regard sur nous : il ne manquait pas une miette de ce qui se passait.

Madeleine a serré sa tasse brulante autant qu'elle le pouvait, essayant s'en doute d'y puiser de la chaleur. Je l'avais rarement vue dans un tel état de fatigue. Elle a échangé un regard avec André, décidant silencieusement qui allait prendre la parole. Alors qu'elle ouvrait la bouche, André s'est tourné vers Edmund, puis à nouveau vers Madeleine, les sourcils froncés. Trop lasse, elle a hoché les épaules, et c'est finalement André qui nous a conté comment la simple mission de transfert s'était transformé en véritable chasse à l'homme.

Mercredi matin, alors que je partais à la recherche du sac à dos de mon naufragé, mes compagnons se plaçaient en faction dans la campagne pour récupérer nos camarades d'Outre-Manche. Malheureusement pour eux, une petite troupe d'Allemands en exercice a aperçu les voiles des parachutistes largués au-dessus des champs, et les hommes se sont aussitôt mis en chasse. Le temps que les parachutistes posent pieds à terre et soient rejoint par Bellone et Charlie, les moteurs des 4x4 ennemis se faisaient déjà entendre.

Trop tard pour rejoindre la planque de la ferme sans se faire repérer ou compromettre la sécurité de celle-ci, il leur a fallu fuir. Toute la journée du samedi, les quatre maquisards ont donc sautés de champs en fossés, passant parfois plusieurs heures aplatis dans les fourrés pour ne pas se faire repérer. Une chance que Charlie connaisse la campagne comme sa poche, ce qui n'était certainement pas le cas de leurs poursuivants.

Le soir venu ils sont parvenus à se cacher dans la grange d'une ferme à la faveur de la nuit, mais il leur a été impossible de fermer l'œil, trop inquiets de se faire débusquer.

Au petit matin c'est le gamin de la ferme voisine qui est venu les avertir : en sortant les bêtes il avait croisé une patrouille sur la route, à la recherche de dangereux maquisards. Le petit futé a vite compris que les ombres qu'il avait aperçu depuis sa chambre la veille au soir n'était pas de simples promeneurs, et il s'est empressé de prévenir nos compagnons du danger qui pesait sur eux. Sans l'aide du petit, ils ne seraient peut-être pas partis à temps. Le jeu du chat et de la souris a repris, et ce n'est qu'après plusieurs heures de marche et de cachettes que les résistants ont estimés qu'ils avaient semés les Boches.

Ils ont alors rejoint la ferme où les attendait Alice, morte d'inquiétude. Conformément au plan établi, elle a fourni aux parachutistes de nouveau papiers et des tenues nettement moins identifiables. Au cœur de la nuit, ils ont enfourché leurs bicyclettes et ont pris le chemin du sud, pour traverser la frontière en un point défini par moi bien des jours auparavant. Nous avions estimé qu'entre les différents postes de gardes de Tours et Bourges, un espace libre dans la campagne, au sud de Romorantin, était la meilleure option pour faire passer ces hommes entre les filets des Boches. Cela représentait près d'une journée de bicyclette, un enfer pour des corps déjà épuisés. De l'autre côté de Romorantin, un peu avant Chateaubourg, des camarades de la Zone libre attendraient nos amis pour les mener toujours plus au Sud, vers Rex et Charvet.

Madeleine et André les ont accompagnés sur plusieurs kilomètres pour s'assurer de leur sécurité, ne s'éclairant que rarement pour ne pas attirer d'attention malvenue. Une fois à la frontière du Calvados ils ont jugé plus prudents d'opérer un demi-tour, laissant les deux parachutistes continuer leur route. Ils ne sont finalement revenus à la ferme qu'aux premières heures de l'aube, où les attendaient Riri, pour nous faire parvenir les nouvelles quelques heures plus tard.

André a terminé son récit et a poussé un soupir, la tête dans les mains :

- Espérons simplement qu'ils atteignent l'autre côté sains et saufs. Pour ma part j'ai besoin de sommeil. Et toi aussi Bellone, il s'est tourné vers moi, vous devriez rentrer, toutes les deux.

Je lui ai jeté un regard étonné, avant de me tourner vers Edmund, qui fronçait les sourcils.

- Je peux rester ici, c'est ce qui étais convenu ...

- Je préfèrerais que tu rentres avec Bellone, elle est trop épuisée. Je prends ce tour de garde, Le Suisse tu peux rentrer si tu le souhaites, tu as fait ta part du boulot.

Ce dernier a acquiescé avant de se lever, trop heureux de pouvoir rentrer chez lui. Madeleine est restée silencieuse, elle aussi certainement impatiente de retrouver un certain confort, et non un lit de camp dur et grinçant. Aussi tentant qu'ai pu être cette idée, je rechignais à l'idée de laisser Edmund, d'autant plus aux mains d'André. S'il n'avait jamais montré le moindre signe de violence, il restait un homme qui avait connu les horreurs de la guerre, et le laisser seul face à ce qui se rapprochait le plus de son ennemi ne me laissait pas indifférente. André a senti mon hésitation et son regard s'est durci :

- Tu peux me faire confiance.

- Bien sûr ...

J'étais sincère, alors pourquoi cette appréhension ?

Edmund, ne me quittait pas des yeux. Il ne montrait aucune émotion, il semblait simplement attendre ma décision. Je ne pouvais de toutes façons pas opposer un refus à André. Il était mon supérieur ici tout autant que Madeleine, et bien qu'une force inconnue me pousse à tester ses limites, il était évident que je devais rester à ma place ce soir. Je me suis dirigée vers mon lit pour mettre dans un sac les quelques affaires que j'avais avec moi depuis dix jours, n'osant trop regarder Edmund pourtant juste à côté de moi.

Avant que je ne rejoigne Madeleine cela m'a frappé : je suis retournée fouiller dans la caisse de soin, sortant le petit flacon de morphine pour le tendre à Edmund.

- N'en abuse pas.

Il a eu un sourire en coin, posant le flacon à distance comme pour me signifier qu'il n'en aurait pas besoin. Prétentieux. J'ai retenu un rire et ai finalement rejoins Madeleine qui m'attendait à la porte, André à ses côtés. Il maintenait sur moi un regard dur et il était évident que je l'avais blessé en sous entendant que je ne lui faisais pas confiance.

Je suis passé devant lui en baissant les yeux, passant mon bras sous celui de Madeleine, et nous sommes remontés à la surface.

Il faisait jour, les rues étaient animées, les gens attablés en terrasse pour le déjeuner, et j'ai à nouveau été surprise par le fait que le monde continuait de tourner, ignorant de la guerre, des combats que nous menions, et qui occupaient mes pensées en permanence.

Nous avons rejoint la maison, et j'ai réalisé que cela faisait bien longtemps que j'étais partie, laissant seulement un mot griffonné à Papa, sans explications. Lorsque nous sommes entrées dans la cuisine il était plongé dans son journal, un bol de soupe à moitié bu devant lui. Le claquement de la porte l'a fait bondir, et il n'en a pas cru ses yeux de nous voir là, toutes les deux. Je lui ai trouvé l'air incroyablement vieilli. Il s'est immédiatement levé et est venu nous serrer dans ses bras.

- Bonté divine vous en avez mis du temps.

Son ton était bourru, sonnant comme un reproche, mais je devinais sans mal à quel point il était ému de nous voir en un seul morceau. Nous lui avons rendu son étreinte avec plaisir, avant qu'il ne fronce le nez et ne se recule.

- Vous n'avez donc pas l'eau là où vous vivez ?

J'ai eu un petit rire avant de réaliser l'état de crasse dans lequel nous étions toutes les deux. Les toilettes de chats que nous prenions à toute vitesse depuis dix jours, au-dessus de la bassine et à l'eau glacée, n'étaient certainement pas faites pour nous maintenir propres passé le troisième ou quatrième jour sans baignoire. Papa nous a signalé de sortir immédiatement de sa cuisine et nous nous sommes rendues de bon cœur dans la salle de bain. Où le miroir m'a renvoyé une image que j'aurais aimé oublier.

Un épouvantail. Après une tempête.

Je me suis précipitée pour ramener un baquet d'eau, tandis que Madeleine s'installait dans la baignoire. Faisant fi de la pudeur, tour à tour, nous nous sommes versés des cruches d'eau froide sur le corps, savonnant autant que nous les pouvions les moindres recoins de peau. L'eau à mes pieds étaient d'une couleur douteuse, et j'avais la sensation de retirer des couches infinies de poussières et de sueur. Les lourds cheveux de Madeleine nous donnèrent bien du fil à retordre, une famille de rongeurs auraient pu y élire domicile. Bien que les miens aient poussés, leur finesse fit qu'ils retrouvèrent vite leur blondeur, qui avait viré au gris ces derniers jours. Une fois lavée, la sensation de vêtements propres sur mon corps fut incroyable. Madeleine se glissa dans une chemise de nuit et, bien que l'on soit en plein milieu de la journée, s'endormie quasi instantanément. Elle n'avait presque pas dit un mot depuis le matin, et je ne pouvais m'empêcher de me demander si quelque chose s'était produit, quelque chose qu'elle et André taisaient, et qui l'aurait rendue soudainement si discrète.

La laissant dormir paisiblement je me suis assise à ma coiffeuse. Passant mes mains sur mon visage – un tic que j'avais involontairement piqué à Madeleine – je m'observais sous tous les angles pour déceler les changements qu'avaient engendré chez moi les derniers évènements. Un visage fatigué, c'était certain : je ne recommanderais pas le lit de camp à mon pire ennemi. Des joues plus creusées aussi, un air plus âgé peut être ?

Assez âgée pour Edmund ?

La question a fusé dans mon esprit avant que ne puisse la retenir. J'ai secoué la tête, me regardant droit dans le miroir. Pas de ça ma fille. Ce n'est ni l'endroit, ni le moment, et encore moins la bonne personne avec qui imaginer ce genre de choses. Nous sommes en guerre bon sang. Est-ce qu'il était séduisant, même à l'article de la mort ? Sans aucun doute. Mais cela ne changeait ni son origine ni le fait qu'il était actuellement recherché par tous les régiments Boches de Caen. Certainement un jeune homme bien, avec un sourire qui me faisait fondre un peu trop facilement, mais des quantités de problèmes que je n'étais pas prête à affronter. Nicole dirait sans aucun doute que c'est ce que font les hommes : créer des problèmes.

Le plus gros dormant actuellement comme un bébé dans mon lit.

Elle ne pourrait jamais accepter une telle relation.

Je me suis immédiatement reprise, pointant un doigt sur mon reflet. Il n'y pas de relation, il n'y en aura pas. Rien ne sert d'en discuter.

Mon reflet m'a rendu mon regard, concluant un pacte avec moi-même. Il y avait plus important à faire.

Je me suis glissée sous les couvertures, l'image d'André et Edmund seuls dans la cave s'invitant dans mon esprit : que pouvait-il bien se passer là-bas ?


Dimanche 4 octobre 1942

Cher journal,

Nous ne sommes pas retournées à la cave pendant plusieurs jours. La fatigue de Madeleine était évidente après son expédition, et en accord avec André, par Riri interposé, nous avons décidé qu'il serait plus judicieux de la laisser récupérer avant de la faire revenir au cœur de l'action.

Si Madeleine reste, alors je reste avec elle. André n'y a opposé aucun argument, et je ne peux m'empêcher de penser qu'il préfère me tenir écartée d'Edmund autant que possible. Le fait de rester si loin de la cave pendant plusieurs jours est un calvaire, et je n'ai qu'une crainte, que les deux hommes s'entretuent en mon absence.


Personnage du roman « Robinson Crusoé » par Daniel Defoe, publié en 1719. 

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