Je ne te connaissais pas

By alice_jeanne

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Lorsque Deborah, étudiante en dernière année, apprend la mort de sa grand-mère, son monde bascule. Est-ce qu'... More

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Livre 2 - Chapitre 44

Livre 2 - Chapitre 32

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By alice_jeanne

Dimanche 15 mars 1942 


Cher journal, 

Un nouveau bombardement dans la nuit de lundi à mardi m'a réveillée en sursaut. Nous sommes désormais rompus à l'exercice : se réfugier dans l'abri que Papa a réaménagé au fond du jardin, attendre en priant, sortir et constater les dégâts. 

Cette fois ci heureusement nous n'avons pas eu de morts à déplorer. En revanche les pilotes de la R.A.F ont ciblé le quartier de Vaucelles, et c'est l'église qui a été touchée. Un symbole fort pour beaucoup. Moi je crois que si IL en avait réellement quelque chose à faire, ces évènements auraient cessé depuis bien longtemps. Je suis donc simplement soulagée que personne n'ai perdu la vie dans l'attaque. 

Je ne sais toujours pas quoi penser de ces bombardements. Les Anglais sont de notre côté, et les partisans de la France Libre, basés à Londres, ne cessent de nous l'affirmer. Le but de ces attaques est bien de toucher les bases allemandes, de couper leurs lignes de transports et de rendre leurs actions quotidiennes difficiles. Mais j'ai le sentiment que ce sont les civils qui payent les pots cassés. Lorsqu'ils ne périssent pas dans le bombardement en lui-même, les répressions appliquées par les Boches dans les jours qui suivent ne manquent pas de nous rappeler qu'ils sont toujours les maitres ici. Et cela a pour effet de retourner une partie de la population contre les Alliées, la France Libre, et même contre nous, petits résistants de quartiers. Nos propres actions, bien que moindre, entrainent souvent des sanctions sur la ville de Caen, et beaucoup de caennais se plaignent que notre lutte ininterrompue ne mène à rien, hormis causer plus de tracas aux habitants.

 Ainsi la semaine dernière, alors que Chaplin et les autres étaient en repérage au bord des rails de chemins de fer pour une action prévue dans les prochaines semaines, un homme qui promenait son chien a cru bon de prévenir des soldats à proximité que des « individus suspects » préparaient un mauvais coup. S'en est suivi une course poursuite à travers les rues de la ville, au dénouement heureux puisque les garçons sont parvenus à se planquer dans une remise abandonnée, le temps que les Boches se lassent de leurs recherches.Le lendemain un encart paraissait dans tous les journaux de Caen, appelant chaque habitant détenant des informations sur une action illégale à se rapprocher de la Kommandantur. Une récompense serait offerte à chaque personne se présentant avec des renseignements utiles.240Nous ne pouvons qu'espérer avoir été assez discrets, et que la solidarité entre caennais ne fléchira pas. Mais plus le temps passe et plus la question de la délation se pose. 

Dans des instants de colère et de frustration je maudis ces froussards qui vendent leurs prochains pour une piètre récompense nazie.Mais dans des instants de compassion je ne peux que comprendre, un peu, l'envie d'un retour à la normale, et d'une vie paisible pour ces pauvres gens qui subissent les sanctions pour des actes qu'ils n'ont pas commis. La peur et la lassitude sont des moteurs puissants. 


Dimanche 29 mars 1942 


Cher journal,

Après bien des négociations, j'ai finalement convaincu Jeanne de nous recevoir, moi et Nicole. Depuis des mois je me présente chaque semaine à la pension, espérant voir une amélioration dans l'état de mon amie. Au début elle refusait de me recevoir, et ce n'est pas l'horrible gardienne qui m'aurait laissée entrer par pure bonté de cœur. Mais le temps passant, elle a fini par réaliser que je n'irais nulle part, et que je n'aurais de cessede venir l'embêter jusqu'à ce qu'elle cède. Ce qu'elle a fait au début du mois de décembre, alors que je percevais sa toux dès la cage d'escalier. 

L'humidité et le froid qui passaient à travers les murs de l'immeuble insalubre à cette période ne m'ont pas rassurée. J'avais entre temps soumis mes observations à Nicole, qui n'a pas mis longtemps à mettre des mots sur le mal dont était atteint Jeanne en réalité. Tuberculose. De plus en plus de patients se présentaient à l'hôpital avec des symptômes similaires à ceux de Jeanne, et Nicole avaient à charge le soin de plusieurs d'entre eux. Bien qu'elle ait tenté de le faire avec délicatesse, elle ne m'a laissé que peu d'espoir sur l'état de Jeanne, et l'issue de cette maladie que peu de médecins savent maitriser. 

Hier j'ai demandé à Nicole de m'accompagner, pour convaincre Jeanne de se rendre à l'hôpital. Je me fiche de savoir qu'il ne lui reste que peu de chances, je suis décidée à toutes les saisir et faire en sorte que mon amie s'en sorte. Il n'est pas question qu'elle aussi m'abandonne. Nicole m'a plusieurs fois déconseillée de me rendre chez Jeanne, en raison de la haute contagiosité de la maladie. Alors lorsque je lui ai demandé de m'accompagner pour faire figure d'autorité médicale, elle a eu un regard effaré. Je lui ai promis que nous prendrions toutes les précautions nécessaires, et son bon cœur a fini par accepter.C'est ainsi que nous nous sommes retrouvées aujourd'hui devant chez moi, couvertes de la tête aux pieds, portant gants et foulards pour nous couvrir le nez et la bouche. Je m'en voulais d'apparaitre comme cela devant Jeanne, mais elle était la première à se couvrir lorsque nous nous voyions. Même si elle refuse de l'admettre je pense qu'elle a depuis longtemps compris qu'il ne s'agissait pas d'une simple grippe et, quoique ce soit, elle souhaite m'en protéger. Cela me touche. 

J'avais mis de côté un peu des sous récupérés après mes travaux de couture de la semaine, et avais acheté quelques gâteaux secs à déguster pour le thé, comme nous le faisions auparavant. J'aurais aimé apporter du chocolat ou des pâtisseries, mais ce sont des denrées rares désormais, et lorsque l'on met la main dessus cela coute près d'un mois de mon maigre salaire. Dans notre accoutrement ridicule nous avons passé la porte de la pension un peu après midi, sous le regard incrédule de la gardienne. Si la situation n'avait pas été si grave j'en aurais été presque fière, d'avoir pu lui tirer une émotion autre que le dédain. Nous avons frappé à la porte de Jeanne, et le glissement presque imperceptible de ses pantoufles sur le sol m'avertissait déjà de sa faiblesse. Elle est apparue dans l'encadrement de la porte, encore plus amaigrie que la dernière fois où je l'avais vue, ses yeux désormais presque trop gros pour son visage pâle. J'ai dû faire un effort pour ne pas fixer mon regard sur les os qui saillaient de chaque partie de son corps. Hanches, bras, côtes... J'aurais pu aisément compter chaque composant de son squelette. J'en aurais pleuré. Mais j'ai pris sur moi d'afficher mon plus chaleureux sourire, alors que Jeanne nous faisait entrer dans sa chambre sous les toits. En ces premiers jours de printemps elle avait ouvert la minuscule fenêtre, laissant passer un air tiède et quelques rayons de soleil. Nous nous sommes installées, elle sur son lit, moi sur une petite chaise, tandis que Nicole restait debout, appuyée au chambranle de la porte, analysant d'un regard froid l'état de la malade devant elle. J'ai bien essayé de badiner légèrement, mais Jeanne ne s'est pas laissé tromper et m'a bien vite interrompue. 

Elle s'est tournée vers Nicole en se redressant du mieux qu'elle pouvait : 

- Alors docteur : quel est votre verdict ?Elle affichait un demi sourire, elle essayait de faire la fière, mais il semblait évident qu'elle avait peur. 

Nicole a secoué la tête.

- Je pense que tu sais déjà de quoi il s'agit, alors je préfère être franche avec toi : ni moi ni mes collègues ne pourrions donner un diagnostic exact sur la suite de la maladie, mais il semble évident que tu es déjà à un stade très avancé. Pour mettre toutes les chances de ton côté il faudrait que tu sois admise à l'hôpital, que l'on puisse t'administrer un maximum de soins. Sans ça la maladie va continuer à s'étendre et chez la plupart des patients on note une perte progressive de repères, et des débuts de folie. Lorsque ce stade est atteint il est difficile de revenir en arrière. 

Jeanne a acquiescé lentement, digérant l'information, ses mains agrippant sa jupe. 

- Nous avons un service pour tuberculeux à l'hôpital, dans ton état ils ne pourront pas te refuser, a repris Nicole, je pense que le plus vite tu seras prise en charge, le mieux cela vaudra pour toi. 

 Cette fois ci Jeanne a semblé perdre pieds. Est-ce le mot de « tuberculeux » ou la mention de l'hôpital qui l'ont effrayé ? Elle s'est tournée vers moi, des larmes dans les yeux : 

 - Je ne veux pas aller à l'hôpital Eugénie, les histoires qui en sortent...les gens meurent là-bas.Si j'y rentre je n'en ressortirai jamais. 

J'ai pris ses mains dans les miennes, essayant de lui transmettre chaleur et réconfort malgré mes gants, et je sentais ses doigts trembler entre les miens.

- Ce ne serait que pour un temps Jeanne, le temps que tu ailles mieux n'est-ce pas ? Tu y auras des médecins, ils prendront soin de toi. Bien sûr que tu pourras sortir, peut être venir vivre quelques temps chez moi pourquoi pas ? Qu'en dis-tu ? 

Elle n'a pas réagi, la peur prenant le dessus, et je me suis tournée vers Nicole, espérant obtenir un peu de soutien. Mais son regard était dur. Elle m'avait raconté les difficultés qu'elle rencontrait au quotidien, le manque de ressources pour nourrir chaque patient correctement, lui apporter les soins nécessaires, et le fait que oui, on mourrait à l'hôpital, des suites de maladies ou de la faim. Et elle ne pouvait se résoudre à mentir à Jeanne en lui faisant des promesses qu'elle ne pourrait tenir. 

- C'est ta seule chance Jeanne, la seule solution. 

Son ton était froid, professionnel. Elle avait raison bien sûr.

- Je peux laisser ton nom à l'accueil du service, et prévoir pour toi une admission dès lundi. 

Jeanne a cherché mon regard, incapable de prendre cette décision seule. Je lui ai souri du mieux que j'ai pu.

- Je viendrai te cherche le midi et nous irons ensemble oui ? Et je te visiterai tous les jours si je le peux, je ne te laisserai pas seule d'accord, je serai avec toi. 

Elle a acquiescé à nouveau, se rendant à nos arguments, et j'ai poussé un soupir de soulagement. Certes cela ne m'enchantait pas de la forcer à faire une chose qui l'effrayait tant, mais sa vie était en jeu. Sentant que sa présence n'était plus indispensable, Nicole s'est retirée, me laissant seule avec une Jeanne épuisée par la conversation et les émotions. Ne voulant pas la quitter tout de suite, j'ai fait chauffer une petite casserole sur son réchaud, et versait dans son bol un bouillon bien trop clair pour être nourrissant. Je fouillais son placard pour agrémenter le potage, mais il était évident que ce serait son seul repas. Elle a bu le bouillon à petites gorgées, grimaçant à chaque fois comme si le simple fait de boire lui demandait une force qu'elle n'avait plus. Une fois le bol vidé, je l'ai aidé à se glisser dans les couvertures, gardant sa main dans la mienne jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Je suis restée avec elle encore un peu, m'assurant que son sommeil était paisible, avant de quitter la pièce sur la pointe des pieds en refermant la porte derrière moi. 

Lundi 30 mars 1942 

Cher journal,

La journée a été éprouvante.

Après avoir récupéré mes travaux de couture pour la semaine chez Madame Blanchard je me suis rendue chez Jeanne. Assise sur son lit elle m'a regardé entasser dans une valise ses affaires. Je crois qu'elle était trop abattue à l'idée d'aller à l'hôpital, trop épuisée aussi, pour faire cette simple tâche elle-même. Lorsque la valise fut prête, il ne restait dans sa chambre que le lit et l'armoire bringuebalante. Après la descente laborieuse de l'escalier, nous nous sommes arrêtées auprès de la gardienne pour donner congé de Jeanne afin que la chambre puisse être relouée. Il était évident que Jeanne n'y reviendrait pas avant longtemps, et j'étais bien décidée à l'héberger lorsqu'elle sortirait de l'hôpital. Je repousse loin dans mon esprit la possibilité qu'elle n'en ressorte pas.

Une marche de quinze minutes nous attendait pour rallier l'hôpital. Nous avons mis une heure pour parcourir le petit kilomètre, Jeanne devant s'arrêter tous les trois pas pour reprendre son souffle. Chaque toux qui la secouait me faisait craindre le pire, mais nous sommes finalement arrivées en un seul morceau à l'accueil du dispensaire. Jeanne s'accrochait désespérément à moi, visiblement terrifiée par les allées et venues du personnel en blouse blanche, et le remue-ménage qui nous parvenait depuis les couloirs derrière le bureau. Je tapotais sa main en essayant de la rassurer, n'en menant pas large moi-même. Dire qu'à une époque j'avais souhaité être aide-soignante. La pagaille et la détresse qui régnaient dans le service ont eu raison des derniers regrets que j'aurais pu avoir. 

Nicole avait tenu sa promesse et une fiche d'entrée avait été préparée pour Jeanne, ainsi qu'un lit dans une salle commune. Lorsque les papiers furent remplis, une infirmière nous accompagna jusqu'à la salle en question. Une dizaine de lits s'alignaient le long des murs, séparés par des paravents de papier qui offraient une intimité sommaire aux malades étenduslà. Jeanne gardait les yeux rivés au sol pour ne pas croiser le regard des autres patients. Je n'ai pu m'empêcher de remarquer que la majorité d'entre eux étaient des femmes. Corps amaigris sous les draps gris, relents âcres d'antiseptiques et de déjections, lamentations à peine audibles, plus nous avancions vers le fond de la salle et plus j'avais envie de faire demi-tour, pour 245entrainer Jeanne hors d'ici. Mais il était trop tard, et je répétais comme un mantra les derniers mots de Nicole. « C'est la seule solution ». 

Nous sommes finalement arrivées dans les derniers rangs de lits, et devant celui qu'allait occuper Jeanne. Elle a eu un mouvement de recul en réalisant que c'était désormais là qu'elle vivrait. Elle a gémi, me tirant en arrière pour que nous quittions les lieux, mais malgré toute la force qu'elle souhaitait mettre dans sa fuite elle était déjà trop faible. Nous l'avons couchée bien malgré elle dans le lit, l'infirmière lui administrant un sédatif pour la calmer. Alors que celui-ci faisait effet j'ai senti la main de Jeanne se détendre dans la mienne. J'ai attendu que le sommeil la prenne, rangeant ses quelques affaires dans le petit casier à côté de son lit. Lorsque je fus sûre qu'elle ne se réveillerait pas, je laissais un petit mot à ses côtés, lui promettant de revenir dès le lendemain. 

J'ai quitté la salle à regret, le fait de laisser Jeanne seule me brisant le cœur. Lorsque je suis sortie de l'hôpital je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer le sort de mon amie. Je souhaite qu'elle puisse sortir le plus vite possible.

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