Je ne te connaissais pas

By alice_jeanne

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Lorsque Deborah, étudiante en dernière année, apprend la mort de sa grand-mère, son monde bascule. Est-ce qu'... More

Livre 1 - Chapitre 1.
Livre 1 - Chapitre 2.
Livre 1 - Chapitre 3.
Livre 1 - Chapitre 4
Livre 1 - Chapitre 5
Livre 1 - Chapitre 6
Livre 1 - Chapitre 7
Livre 2 - Chapitre 8
Livre 2 - Chapitre 10
Livre 2 - Chapitre 11
Livre 2 - Chapitre 12
Livre 2 - Chapitre 13
Livre 2 - Chapitre 14
Livre 2 - Chapitre 15
Livre 2 - Chapitre 16
Livre 2 - Chapitre 17
Livre 2 - Chapitre 18
Livre 2 - Chapitre 19
Livre 2 - Chapitre 20
Livre 2 - Chapitre 21
Livre 2 - Chapitre 22
Livre 2 - Chapitre 23
Livre 2 - Chapitre 24
Livre 2 - Chapitre 25
Livre 2 - Chapitre 26
Chapitre sans titre 27
Livre 2 - Chapitre 28
Livre 2 - Chapitre 29
Livre 2 - Chapitre 30
Livre 2 - Chapitre 31
Livre 2 - Chapitre 32
Livre 2 - Chapitre 33
Livre 2 - Chapitre 34
Livre 2 - Chapitre 35
Livre 2 - Chapitre 36
Livre 2 : Chapitre 37
Livre 2 - Chapitre 38
Livre 2 - Chapitre 39
Livre 2 - Chapitre 40
Livre 2 - Chapitre 41

Livre 2 - Chapitre 9

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By alice_jeanne


Dimanche 5 novembre 1939

Cher journal,

J'ai l'impression de ne pas avoir ouvert ces pages depuis des siècles. Et pourtant cela ne fait que deux mois. Je m'attendais à un grand chamboulement, un raz de marée à la suite de l'annonce de guerre, mais rien n'est venu.

J'ai repris le lycée comme si de rien n'était, Nicole à mes côtés et Cath nous retrouvant sur le chemin du retour. Nous passons le baccalauréat cette année, et les professeurs n'ont pas perdu de temps pour nous noyer sous les devoirs. J'essaie de ne pas trop m'inquiéter, mes résultats sont bons, si je garde le rythme l'année devrait s'écouler sans trop de difficultés. Nicole c'est une autre paire de manche. Elle peine en français, en calcul et même en éducation physique, ce qui n'est tout de même pas bien sorcier. Deux mois après la rentrée et ses parents lui ont déjà imposé un professeur particulier trois fois par semaine. Elle l'espérait charmant, mais il semble que ce soit un vieux grincheux à l'odeur de poussière, absolument barbant. Je la plains. Elle est obligée de mettre de côté le bénévolat à la Croix Rouge pour un temps.

De mon côté, et en raison de la situation, j'ai dû abandonner mon rôle d'assistante auprès de Madeleine. Pour les protéger, les élèves des petites écoles ont été transférés à Arromanches, sur la côte, où ils sont plus en sécurité. Madeleine et ses collègues prennent le bus chaque matin pour les rejoindre, et dispense leurs cours dans des hôtels mis à leur disposition. Elle rentre à Caen chaque soir. Le départ d'Emile nous a rapprochées, et nous sommes comme des sœurs. Tant et si bien qu'à force de passages et de diners à la maison, elle a fini par s'installer avec nous. La maison nous semble un peu moins vide, et elle se sent un peu moins seule.

Emile nous écrit presque chaque semaine. Les lettres arrivent avec du retard, beaucoup sont censurées pour ne pas dévoiler d'informations sensibles, mais cela nous permet de suivre son quotidien. Nous qui craignions pour sa vie, le voilà cantonné dans une ferme à l'est du pays, à travailler dans les champs pour aider les agriculteurs. Il s'ennuie, à froid, faim, et ne comprend pas pourquoi ils restent ainsi figés. Je l'imagine ronchonner sans cesse, et je ris du sort de ses compagnons qui doivent le supporter. Il demande qu'on lui écrive souvent, et lui que je n'avais jamais vu tenir un crayon nous en envoie des tartines. Il y a toujours un ou deux feuillets spécialement pour Madeleine, qu'elle s'empresse d'aller lire en privé. Je me demande bien ce qu'ils peuvent se raconter.

Chaque dimanche Papa laisse trainer son journal à mon intention. Une façon détournée de me laisser m'informer, de me faire confiance. Je peux y lire les avancées des armées, et ce qui est décrit est plutôt encourageant. Il semblerait que le Führer soit tellement engoncé dans son égo qu'il perde notion de la réalité. Le seul changement trahissant la gravité de la situation est la demande, toujours plus importante, de dons pour les réfugiés arrivant à Paris et dans le sud de la France.

Un samedi sur deux je continue donc de me rendre au bureau de l'UFSF, toujours accompagnée de Jeanne, pour trier des cartons et des cartons de vieilles affaires, en espérant pouvoir en envoyer au plus vite auprès de ceux qui en ont besoin. A chaque fois je ne peux m'empêcher de remarquer l'absence d'hommes dans les rues. C'est étrange. Ce sont soit des jeunes garçons soit des vieillards. Bien que je me targue de ne pas y prêter d'importance, je dois avouer que nos sorties dans les cafés ou au cinéma sont moins amusantes sans un ou deux garçons à observer.


Dimanche 12 novembre 1939,

Cher journal,

Nous avons fêté l'Armistice hier. Mais mon cœur n'y était pas. A quoi cela sert-il de fêter une victoire alors que mon frère est sur le front ? L'ambiance était morose, je suis rentrée dès que j'ai pu. J'ai dormi.


Dimanche 19 novembre 1939,

Cher journal,

Je suis épuisée. Nicole dit que je travaille trop, entre l'école, les révisions, et l'UFSF. Je lui rétorque que cela me convient : corps occupé, évite de trop penser. Je l'ai voulu, je dois l'assumer. »


Dimanche 3 décembre 1939,

Cher journal,

Le temps est glacial dehors. Emile dit qu'il n'obtiendra pas de permission pour Noël, bien qu'il se sente inutile là où il est. On entend que la guerre se passe en Norvège maintenant. Lui faire traverser la France pour cela. Et ce n'est pas en décembre qu'il pourra aider à moissonner. Plus les degrés diminuent plus je pense à lui et ses compagnons, dans leurs campements de fortune. Les nouvelles restent rassurantes, on dit que les Alliés gagneront bientôt. Je l'espère.


Lundi 25 décembre 1939

Cher Journal,

Joyeux Noël !

Il est tard, j'écris à la bougie pour ne pas réveiller Madeleine à côté de moi. C'est une habitude que nous avons vite prise, dormir ensemble. Elle en a autant besoin que moi je crois.

Ce soir, pour la première fois depuis longtemps, je ressens le besoin de coucher mes pensées ici. Je crois que c'est le calme, après la frénésie de ces dernières semaines, qui m'oblige à faire le point.

Nous venons de passer un bien étrange Noël. Madeleine avait à cœur de préparer un festin, et nous nous sommes attelés aux courses et préparations depuis dix jours déjà. Nous avons aussi préparé profusions de gâteaux, chocolats, chaussettes en laine et moufles bien chaud à envoyer à Emile. J'espère qu'il les a reçus à temps.

Maman passant la plupart de son temps au lit et l'épicerie ne désemplissant pas, Madeleine et moi avons eu pour nous des journées entières, à parcourir les vitrines pour trouver des décorations, et à courir les magasins pour sélectionner tous les produits nécessaires à nos recettes. Je me sentais parfois coupable de profiter autant de Madeleine, de rire avec elle, alors qu'Emile était bloqué dans le froid de la campagne à la frontière. Mais elle m'a elle-même avoué qu'elle avait besoin d'un peu de joie, sans quoi elle n'arriverait pas à passer l'hiver saine d'esprit. Ces quelques jours d'insouciance m'ont été bénéfiques, tant qu'ils ont duré.

Le festin hier soir était magnifique, mais l'absence d'Emile était la plus forte, et malgré tous les efforts de Madeleine pour faire comme si de rien n'était, nous ne pouvions nous empêcher de jeter des coups d'œil vers la chaise vide. Peu avant minuit nous nous sommes rendus à la messe, sous un froid mordant. Je m'étais emmitouflée dans une robe bien épaisse, avait mis mes collants les plus chauds, et ma toute nouvelle cape, reçue en cadeau. Elle est noire, bien chaude, et me donne une silhouette assez chic. Il était marqué « Papa et Maman » sur l'étiquette, mais je crois bien que c'est Madeleine qui l'a choisie.

L'église était pleine à craquer, et le sermon, tourné vers les soldats loin de chez eux, m'a tiré quelques larmes. Je crois que je n'ai jamais prié avec autant de ferveur pour que tout cela finisse bientôt. Malheureusement la situation semble s'éterniser.

Samedi, le sujet au cœur de tous les débats de l'UFSF était l'arrivée prochaine de réfugiés dans le Calvados, Paris étant bien trop débordée pour accueillir chacun convenablement. Il s'agit majoritairement d'Allemands de confession juive, qui fuient les horreurs infligées dans leur pays natal. Je ne peux pas croire ce que l'on raconte à ce sujet : des camps de concentrations, de la torture, des rafles, même sur les enfants... vraiment non je ne peux pas le croire. Cela me serre d'autant plus le cœur quand je suis avec mes petites, qui continuent d'apprendre, sans notion aucune de ce qui passe à l'extérieur. Qui pourrait faire du mal à un enfant ?

Nicole dit qu'avec la censure qui gangrène la presse et la radio française on ne peut vraiment être sûres de rien. Mais l'arrivée continue de personnes en fuite, chacune avec le même discours horrifiant, ne laisse pas d'autres choix que d'accepter la réalité. J'espère pouvoir aider au mieux ces gens désespérés.

J'ai conscience que mes pensées sont confuses, et je tremble en écrivant ces lignes. La mélancolie qui s'est emparé de moi depuis le départ d'Emile frappe à chaque fois que je me laisse aller. Cela ne mène à rien, et je dois me reprendre. On a besoin de moi à la maison, et j'aime à croire qu'à l'UFSF aussi. Je dois rester concentrée sur les tâches importantes. Après tout ma situation n'est pas si mauvaise, je n'ai pas le droit de me plaindre.

La bougie s'éteint, je n'y vois presque plus. Madeleine est roulée en boule dans les draps, elle dort profondément. Je suis contente qu'elle soit là. Je pense à Emile.


Dimanche 7 janvier 1940,

Cher journal,

Bonne et heureuse année !

Espérons qu'elle le soit. Nous avons passé la nouvelle année comme la Noël, dans un mélange d'esprit de fête et de tristesse de n'être pas tous réunis.

Emile a bien reçus nos présents, il nous remercie pour les chaussettes et les gants, qui le protègent bien des engelures. Je suis contente que cela lui soit utile. Il dit que dans son campement, l'arrivée des cadeaux a apporté quelques jours de pure euphorie qui les a grandement aidés à passer les longues journées. Le gouvernement a même fait porter des gramophones à plusieurs régiments, et mon frère a pu écouter quelques morceaux de Noël et même les titres les plus récents de Michel Chevalier le soir du 24 décembre. Il dit que la musique aide le moral, mais que nous lui manquons.

Nous avons porté un toast à sa santé pour le réveillon, et à la santé de tous ces hommes bloqués sur le front. C'était la première fois que Papa m'autorisait à boire de l'alcool, un fond de liqueur dont je n'ai pas pu identifier le goût tellement c'était fort. Le rouge m'est immédiatement monté aux joues, tandis qu'un petit feu brulait dans mon ventre. Ce n'était pas désagréable. Je me suis sentie enjouée pendant une heure, avant que l'effet ne se dissipe, ce qui a bien fait rire Madeleine. Il est d'ailleurs étonnant de voir la quantité d'alcool qu'une femme de son gabarit peut absorber sans chanceler. Elle et Papa sont restés attablés bien après les douze coups de la nouvelle année, discutant à voix basse autour de la bouteille. J'ai bien essayé de rester pour les écouter, mais Papa m'a envoyé au lit sans ménagement. Il devait être plus de deux heures lorsque Madeleine s'est glissée dans notre lit, me soufflant au passage une haleine à la forte odeur de réglisse.

Je suis retournée en classe, ravie de retrouver Nicole, que je ne vois plus beaucoup ces derniers temps. Elle et Cath ont aussi dû ressentir le manque car nous avons spontanément décidé d'aller boire un chocolat à la sortie du lycée. Tant pis pour les révisions, une session de rattrapages des derniers potins s'imposait. Malheureusement les nouvelles ne sont pas très bonnes. Si Nicole a passé de très bonnes fêtes, la famille de Cath est de plus en plus inquiète.

Avec une partie de leurs proches en Grande Bretagne, ils n'aiment pas du tout la tournure que prennent les évènements là-bas. Deux millions de jeunes hommes sont susceptibles d'être appelés sous les drapeaux, et deux cousins de Cath sont concernés. Un black-out a été mis en place depuis le mois de septembre pour éviter les bombardements par les Allemands, et le gouvernement britannique a décidé un rationnement sur les denrées de premières nécessités. La situation n'étant pas encore aussi dramatique en France, les parents de Cath, qui étaient prêt à partir dès que cela dégénèrerait, se demandent désormais quoi faire. Il est possible qu'ils décident de reculer encore plus à l'ouest, en Bretagne, bien que je ne sois pas sûre que la situation y soit très différente de chez nous. En évoquant son départ possible Cath avait la gorge nouée et nous sommes restées silencieuses de longues minutes au-dessus de nos chocolats chauds, perdues à l'idée que notre trio soit séparé.


Dimanche 14 janvier 1940

Cher journal,

Je retire ce que j'ai pu dire dans les pages précédentes. La situation n'est finalement pas si bonne ici.

Le gouvernement a annoncé en début de semaine que le vendredi sera désormais un " jour sans viande " et qu'il est interdit de vendre du bœuf les lundis et les mardis. On ne peut donc acheter que du porc, du cheval ou de la chèvre. Un début de rationnement ne signifie rien de bon j'en ai peur. Ce sera peut-être l'occasion pour moi de moins manger et perdre ces bourrelets. Mais dès que cette pensée m'effleure je me gifle intérieurement. Il ne devrait pas être permis d'être aussi superficielle.

A l'épicerie aussi les choses se compliquent. Devant les premières restrictions les gens se sont précipités dans les magasins pour faire des réserves, et Papa a du mal à se fournir, les commandes mettant de plus en plus de temps à arriver.

Les rumeurs disent aussi qu'Hitler veut attaquer la Belgique et les Pays Bas. Il n'en aura donc jamais assez. Emile dit que la situation sur le front est difficile. Peu d'action, quelques missions de reconnaissance tout au plus, et un froid terrible qui a déjà fait perdre des doigts à certains de ses camarades. Il demande qu'on lui envoie de quoi se couvrir, sous peine de perdre à son tour ses orteils – il ajoute qu'ils lui sont très chers, et cela nous fait sourire.

Le même problème est ressorti lors de notre dernière assemblée UFSF hier. Alors que nous grelottions toutes dans la salle mal isolée, l'une des représentantes est montée sur l'estrade et nous a lu le dernier article de « La Française », signé Cécile Brunschvicg, qui est un peu comme notre sainte patronne. Outre la mention du travail des femmes remplaçant nos chers soldats, le sujet de la laine a été mentionné comme de première importance.

- « Les objets de laine sont très demandés, a lu la représentante d'une voix forte, d'une part par les soldats, d'autres parts par les civils évacués. Toute femme inoccupée se doit de travailler pour ceux qui souffrent du froid. N'attendez pas pour vous mettre au travail ! »

Notre petite assemblée a acquiescé de concert. Je me tournai vers Jeanne gênée :

- Jeanne, je ne sais pas coudre la laine, je détruis chaque ouvrage que je touche, murmurais – je.

Et je ne mentais pas. La confection de chaussettes et de gants pour Emile avait été un calvaire, et j'avais rajouté pas mal de travail à Madeleine en mélangeant systématiquement les mailles de laine. Comme à son habitude, Jeanne rit de ma bêtise :

- On ne t'apprend pas ça au lycée ? Eh bien je te montrerai ce n'est pas bien sorcier.

J'en doutais fort.

Sur l'estrade la femme continuait sa réclamation :

- « Il est inadmissible que des enfants couchent encore par terre, et que d'autres ne soient pas couverts suffisamment. A toutes nous adressons un S.O.S à ce sujet. De l'effort, de l'active bonne volonté de chacun dépend, en partie, la résistance physique et morale de la France ». Mesdames, vous savez ce qu'il vous reste à faire !

Nous applaudîmes bruyamment, l'idée de mes petites grelottants dans des hôtels miteux achevant de me convaincre de m'atteler à la tâche. Comme depuis des mois, Jeanne et moi demandâmes à être affectées à la même mission, et dans ce cas précis à la préparation d'ouvrages en laine pour le centre d'accueil de réfugiés de Coudeville. Je ne suis pas particulièrement pressée de passer des heures à emmêler des fils de laine, mais je dois aider du mieux que je peux.

Madeleine m'avait d'ailleurs rapportée que certaines petites de sa classe semblaient, elles aussi, souffrir du froid. Il pourra être utile d'apprendre enfin à tricoter pour leur préparer quelques cache-nez et bonnets. Les températures descendent régulièrement en dessous de zéro degrés ces derniers jours, et les salles dans lesquelles Madeleine dispense désormais sa classe ne sont pas bien isolées. Je devrais me mettre à l'ouvrage au plus vite.

Alors hier, en sortant du bureau, gelée dans ma cape toute neuve, je m'arrêtais un instant devant la mercerie au coin de la rue. J'hésitais. Je pourrais m'entrainer au tricot pendant la semaine à venir et ainsi éviter une humiliation publique le samedi suivant. Et si cela fonctionne je pourrais même apporter les petites laines à l'école d'ici à vendredi. Dix minutes plus tard, je ressortais de la mercerie avec une paire d'aiguille, une grosse pelote de laine bleu roi, et un petit manuel de tricotage pour débutant.

Nous sommes dimanche soir, et j'ai passé toute la journée enfermée dans ma chambre, bataillant avec les aiguilles et la laine. Je crois avoir un début de gant, ou peut-être de bonnet, ou encore de cache-nez, je ne suis pas certaine. J'ai plusieurs fois jeté mes aiguilles de frustration, la patience n'est pas mon fort. Mais l'idée de petites mains transies de froid à suffit pour que je me remette au travail.

Après diner, Madeleine est venue me rejoindre avec des airs de conspiratrice, cachant quelque chose sous son chemisier. Une fois la porte de la chambre fermée, elle a révélé le dernier numéro de « La Française », qu'elle m'a tendu avec un sourire. Je n'osais pas lui dire qu'on m'en avait déjà fait la lecture la veille, et je le feuilletais nonchalamment. Devant mon peu d'enthousiasme Madeleine afficha une moue déçue :

- Eh bien quoi ? Ça ne t'intéresse plus ? Je croyais que tu aimais t'informer ? Et Cécile Brunschvicg donne plein de conseils pour que les femmes participent à l'effort de guerre.

Un peu honteuse, je tirais de dessous mon lit le panier dans lequel j'avais rangé mon ouvrage de tricot.

- Je sais, lui dis-je sans oser la regarder, c'est pour ça que j'essaie de tricoter. Pour les enfants, c'est ce que Mme Brunschvicg et l'UFSF nous demande de faire.

Je vis son étonnement, puis sa réflexion, avant qu'elle ne me regarde suspicieuse :

- Tu fais partie de l'UFSF ?

J'acquiesçais.

- Depuis quand ?

- Novembre.

Elle s'est assise à mes côtés sur le lit.

- Pourquoi ne pas m'en avoir parlé ? Je soupçonnais bien que tu mijotais quelques choses, à te voir disparaitre aussi souvent, et ton état de fatigue...

Elle passa une mèche de cheveux derrière mon oreille. Je croisais les bras sur ma poitrine, piquée au vif.

- Tu ne me dis pas tout non plus. Je sais que toi et Emile avez été mêlés à des évènements peu recommandables avant qu'il ne s'en aille. Et toi aussi tu rentres tard, sans explication, je suis certaine que toi aussi tu es engagée. Mais tu ne veux pas m'en parler, sans doute parce que je suis trop jeune à tes yeux, alors j'ai gardé l'UFSF pour moi.

Madeleine m'a souri par en dessous.

- Tu n'as pas tort. Mais ce que je fais le soir ne te regarde pas, pas pour l'instant en tout cas.

Je me renfermais.

- Cependant, et même si je ne suis pas la plus grande admiratrice de Cécile Brunschvicg, l'UFSF fait un travail formidable. Je suis fière de toi de t'être engagée avec ces femmes. Tu grandis ma chère Eugénie, un peu vite peut-être, mais cela fait plaisir à voir. Emile aussi serait fier.

J'ai ri :

- Que je m'associe avec des femmes pour réclamer le droit de vote, l'égalité, et que je démontre que les hommes ont besoin de nous ? Non, je ne crois pas qu'il serait très fier.

Elle a ri aux éclats avec moi.

Madeleine dort maintenant. Je dois bien avouer que je suis soulagée de lui avoir enfin révélé mon secret. Je sais qu'il est en sécurité avec elle.


Black-out : Dès 1939 les grandes villes britanniques coupent leur éclairage artificiel à la tombée de la nuit pour se protéger des bombardements aériens.

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