Je ne te connaissais pas

By alice_jeanne

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Lorsque Deborah, étudiante en dernière année, apprend la mort de sa grand-mère, son monde bascule. Est-ce qu'... More

Livre 1 - Chapitre 1.
Livre 1 - Chapitre 2.
Livre 1 - Chapitre 4
Livre 1 - Chapitre 5
Livre 1 - Chapitre 6
Livre 1 - Chapitre 7
Livre 2 - Chapitre 8
Livre 2 - Chapitre 9
Livre 2 - Chapitre 10
Livre 2 - Chapitre 11
Livre 2 - Chapitre 12
Livre 2 - Chapitre 13
Livre 2 - Chapitre 14
Livre 2 - Chapitre 15
Livre 2 - Chapitre 16
Livre 2 - Chapitre 17
Livre 2 - Chapitre 18
Livre 2 - Chapitre 19
Livre 2 - Chapitre 20
Livre 2 - Chapitre 21
Livre 2 - Chapitre 22
Livre 2 - Chapitre 23
Livre 2 - Chapitre 24
Livre 2 - Chapitre 25
Livre 2 - Chapitre 26
Chapitre sans titre 27
Livre 2 - Chapitre 28
Livre 2 - Chapitre 29
Livre 2 - Chapitre 30
Livre 2 - Chapitre 31
Livre 2 - Chapitre 32
Livre 2 - Chapitre 33
Livre 2 - Chapitre 34
Livre 2 - Chapitre 35
Livre 2 - Chapitre 36
Livre 2 : Chapitre 37
Livre 2 - Chapitre 38
Livre 2 - Chapitre 39
Livre 2 - Chapitre 40
Livre 2 - Chapitre 41
Livre 2 - Chapitre 42
Livre 2 - Chapitre 43
Livre 2 - Chapitre 44

Livre 1 - Chapitre 3.

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By alice_jeanne

Les deux jours suivants sont flous. La chambre d'hôtel impersonnelle, les appels à la famille, prévenir les amis, les condoléances. Beaucoup de condoléances.

Même le personnel de l'hôtel a compris que cette famille-là traversait une passe difficile, et offrent désormais des sourires contrits dès qu'ils se présentent au petit déjeuner. Peu de paroles sont échangées. Chacun est muré dans son chagrin et ça fait comme un grand brouillard sur le reste du monde.

Et puis les autres membres de la famille les rejoignent. Il y a d'abord Emile, le frère ainé de Richard. Dix ans les séparent. Un modèle. Marié à Evelyne, deux enfants - des cousins que Deborah ne voit jamais. Retraité dynamique, Emile affiche le teint halé de ces gens qui vivent six mois de l'année à l'étranger. Le reste du temps lui et sa petite famille sont installés du côté de Biarritz, une maison en bord de plage, où Deborah est allée passer quelques jours quand elle était enfant. Elle en garde des souvenirs de sel sur les lèvres, de soleil qui chauffe le parquet, et de pains au lait plein de sable. Les deux frères sont restés proches malgré la distance, et les retrouvailles sont émues.

Vient ensuite Tante Marie, affichant en toutes circonstances un air pincé. Unique fille d'Eugénie, de vieilles querelles familiales l'ont éloigné de sa mère et de ses frères. Elle traine derrière elle son mari Thierry qui, malgré leurs trente ans de mariage, marche en permanence sur des œufs dans la crainte de mettre sa femme en rogne. Volontairement ou non, le couple n'a jamais eu d'enfants, et ils vivent donc tous les deux dans un appartement sur la Promenade des Anglais, à Nice. Les yeux secs, Tante Marie serre tour à tour les membres de sa famille dans ses bras, en prenant grand soin de ne pas froisser son tailleur. Etrangement, son mari est le plus démonstratif. Serrant son beau-frère à l'étouffer, il sanglote quelques paroles inaudibles, sous le regard presque consterné de sa femme.

Ils sont tous là, dans le petit salon des pompes funèbres, pour un dernier adieu à la défunte, avant la cérémonie religieuse du lendemain.

Deborah s'est mise à l'écart. Ce n'est pas comme si cela changeait quelque chose. Peu de gens dans la pièce semblent se soucier, ou même avoir connaissance, de son existence. Elle sirote le verre de vin tiède qui lui a été servi en l'honneur de Grand-Mère, et regarde défiler des amis de la famille, des anciens voisins, et quelques personnes qu'elle n'identifie pas. L'atmosphère est presque légère parmi tous ces gens qui se retrouvent, parfois après des années sans se voir. Elle est même stupéfaite de voir certains des invités sourire.

Comment peuvent-ils ?

Ses parents tentent de faire bonne figure, mais Deborah voit bien les épaules de son père se vouter à chaque poignée de main ou condoléances qu'il reçoit.

Tout en observant l'assemblée, elle tente d'oublier le cercueil, fermé, au centre de la pièce. A chaque fois que ses yeux se posent sur le bois vernis et les poignées de laiton elle a l'impression qu'elle va défaillir. Quelle idée vraiment. Disposer ainsi un corps sans vie. Elle a le sentiment de devoir faire le moins de bruit possible pour ne pas réveiller la belle-au-bois-dormant couchée là. Elle ne comprend pas tous ces gens qui échangent des nouvelles comme si de rien était. La vague de colère recommence à faire de remous. Et puis elle ne se sent vraiment pas à l'aise dans cette robe idiote. Sa poitrine est compressée dans son décolleté, et elle ne parvient pas à maintenir fermé ce fichu gilet pour qu'il cache tous ses bouts de peau qui dépassent. Elle a déjà surpris un regard appréciateur d'un petit papi – comme si c'était le moment – et la moue qu'a esquissé Tante Marie quand elle est descendue ce matin ne laisse aucun doute quant à son avis sur la tenue de sa nièce. Elle se tortille pour rabattre les pans du gilet sur elle. Alors qu'il fait une chaleur à crev – non.

Mauvais jeu de mots.

Le verre de vin ne doit pas aider. Elle a de plus en plus de mal à respirer. Les conversations forment un brouhaha désagréable. La transpiration coule dans son dos.

Il lui faut de l'air.

Maintenant !

La pièce se met à tanguer. Elle fend la foule pour atteindre la porte de l'autre côté. Les gens qu'elle écarte lui jettent des regards étonnés, mais sa pâleur les incite à lui laisser le passage. Alors que la porte se rapproche, elle trébuche, et tend le bras pour se rattraper à la première personne à sa portée. Sa main s'accroche à un revers de tailleur, et à travers son esprit embrumé elle a le temps d'apercevoir le regard surpris – et légèrement dégouté, de Tante Marie, avant qu'elles ne s'effondrent toutes les deux dans un fracas de verre et de petits fours réchauffés.

Lorsqu'elle reprend ses esprits, le papier peint de la chambre d'hôtel danse au plafond et se superpose à la serviette humide que sa mère lui applique sur le visage.

- Te revoilà. Elle sourit, rassurée. Tu nous as fait une bonne frayeur. Comment tu te sens ?

- Ça peut aller, j'ai mal à la tête.

Deborah se redresse, sa mère lui tend un verre d'eau et une aspirine.

- Je suis restée évanouie longtemps ?

- Non tu t'es un peu réveillée quand on t'a mis dans la voiture, on vient juste de revenir à l'hôtel. Tu as mangé ce matin ?

- Non ...

Anne hoche la tête, pragmatique.

- Et Tante Marie ?

Sa mère retient un éclat de rire.

- Tu lui as ruiné son plus beau tailleur mortuaire, mais elle s'en remettra. Il y a des bananes sur le meuble, mange. Il faut que j'y retourne. Tu penses pouvoir rester toute seule ici ?

- Oui ça va aller, je suis désolée que tu aies dû me ramener, je ne sais pas ce qui s'est passé.

- Ce n'est pas grave, c'est l'émotion, il faut que tu te reposes. Tu penses tenir le coup demain ? Entre l'église et le cimetière ?

- Oui ça ira, vas-y.

Nouveau hochement de tête. Anne pose la serviette sur le rebord de la table de nuit, et tapote le dessus de lit dans un geste affectueux.

- Bien.

Elle enfile son trench, ses escarpins, et sort de la chambre avec un sourire vers sa fille.

Deborah se laisse retomber dans les oreillers moelleux. Que s'est-il passé là-bas ? Un coup de chaud ? Trop d'émotions ? Les dernières images lui reviennent. Elle n'est quand même pas tombée SUR Tante Marie ?! Oh que si, s'esclaffe sa petite voix, joli spectacle ! Deborah presse un oreiller sur son visage et se mord les joues.

Elle tourne et se retourne dans son lit, jusqu'à ce que les vertiges la reprennent. Du calme. Elle se lève prudemment et attrape les bananes posées sur le meuble TV. Dès la première bouchée c'est comme si les glucides lui étaient directement injectées dans le sang. Ses idées s'éclaircissent, et les fourmillements dans ses mains et ses pieds s'atténuent. Elle revient vers le lit, bute dans un sac posé là, perd l'équilibre et s'étale en travers du matelas.

- Non mais sérieusement ?! s'écrie-t-elle vers le plafond.

Et puis elle se fige.

Le sac militaire de Grand-Mère est en travers du passage, la sangle enroulée autour de son pied. Avec l'effusion des derniers jours elle l'avait presque oublié. Elle se laisse glisser sur le parquet, le dos appuyé au cadre du lit, et tire le sac à elle. La curiosité la titille, en même temps que l'idée du respect de la vie privée la retient.

Il faudra bien faire le tri un jour ou l'autre.

Bien sûr, mais ce serait plutôt à ses enfants de faire le tri non ? Si tu crois que Tante Marie vas s'y coller...

La petite voix est sans appel, et convainc Deborah d'assouvir sa curiosité. Avec des gestes emprunts de respect, elle défait la boucle centrale et soulève le rabat. Le tissu est rêche sous ses doigts, et le sac à l'air d'avoir vécu la guerre.

La pensée que c'est très probablement le cas effleure Deborah. Après tout Grand-Mère est née dans l'entre-deux guerres, peut être que ce sac en est un souvenir. Contrastant avec l'aspect vieilli de la toile extérieure, l'intérieur du sac libère une forte odeur de naphtaline.

L'odeur des petits vieux, sourit Deborah.

Commençant par le haut de la pile elle sort d'abord quelques chemises en cotons couleur pastel, deux pantalons de lin beige soigneusement pliés, un pyjama, et des sous-vêtements qu'elle pose pudiquement sur le côté. D'autres vêtements et quelques affaires de toilettes rejoignent la pile. Le sac vidé, Deborah soupire, presque déçue. Non pas qu'elle s'attendait à un trésor, mais tout de même. Elle vérifie les poches centrales du sac, et sent sous ses doigts un morceau de tissu plus doux. Surprise, elle tire un peu dessus et entend une couture craquer à l'intérieur de la poche.

Et m... !

Elle retire sa main, et manipule entre ses doigts une petite étiquette indiquant « Heinrich Langner – 1940 ». Heinrich ? Un prénom allemand ? Pourquoi sa Grand-Mère aurait-elle eu en sa possession un sac allemand ? A sa connaissance Grand-Mère n'a jamais mis les pieds en Allemagne, et lorsque ceux-ci ont pris possession de Caen en 1942, ce n'était certainement pas pour faire du commerce de sac à dos.

De plus en plus intriguée, Deborah se rappelle la sacoche de médecin. Elle la retrouve dans un coin de la pièce, et la pose à côté du sac militaire.

Elle reprend sa place en tailleur au milieu des affaires de Grand-Mère, et ouvre délicatement la sacoche. Encore la naphtaline, à laquelle se mêle une autre odeur que Deborah a du mal à identifier. Du cuir. Un blouson de cuir noir ayant visiblement bien vécu. Sur les épaules, des fils pendent, comme si une bande de cuir cousue avait été arrachée de chaque côté. De la même façon, une marque, à hauteur du cœur, laisse penser que quelque chose y a été accroché, puis décroché. Un pin's ? Deborah tient le blouson devant ses yeux. Il lui parait grand, et plutôt masculin, sans qu'elle puisse en être certaine.

Résistant à l'envie de le passer, elle fouille les poches sans rien y trouver d'intéressant. Plongeant à nouveau la main dans la sacoche, elle en ressort une petite boîte de bois. Un ruban de couleur bleu clair aux bandes vertes et rouges retient une médaille de bronze, sur un couffin de velours. En l'observant sous tous les angles, Deborah remarque tout d'abord une suite de V rouge sur la ligne médiane du ruban. La médaille, quant à elle, porte sur une face un coq aux ailes déployées, debout devant une croix – que Deborah croit reconnaitre comme la croix de Lorraine, et dressé sur une chaîne brisée. Au revers sont gravés les mots « République française » et « Guerre 1939-1945 ». Elle n'a jamais vu cette médaille, que ce soit sur les photos ou dans la maison de Grand-Mère.

Une médaille militaire ? Peut-être. Grand Père devait avoir vingt ans en 1939. Aurait-il pu être enrôlé ? Ni l'un ni l'autre n'ont jamais abordé cette époque de leur vie, et Grand-Père est décédé des années auparavant, alors que Deborah n'avait que douze ans. Elle tourne et retourne la médaille entre ses doigts sans parvenir à trouver un nom, ou un indice sur son propriétaire. Elle pose finalement la boîte sur le blouson, en se promettant d'entamer des recherches sur ce type de décorations.

Ne reste dans la sacoche qu'une boite à chaussures dont les inscriptions ont été effacées, maintenue fermée par une ficelle. Etrangement celle-ci semble récente, et la boite ne porte pas de traces de poussière, comme si elle avait été ouverte récemment. Deborah soulève précautionneusement le couvercle et reste un instant interdite devant son contenu. Trois carnets de cuir marron, et un paquet de lettres dans leurs enveloppes, soigneusement retenues par un ruban rouge.

Elle feuillette un à un les carnets. Sur chaque première page la mention « Propriété d'Eugénie Duval » sonne comme un avertissement : elle entre en terrain privé. Une écriture fine et serrée court sur les pages suivantes, des pattes de mouches collées les unes aux autres, comme si leur auteure avait du coucher en urgence ses pensées sur le papier. Deborah fait défiler les pages et les dates : avril 1939, juillet 1939, septembre 1939, 1940, 1941... les carnets courent sur toute la période de la guerre, et se terminent à l'été 1944. Lisant quelques lignes en diagonale, elle comprend avec émotion qu'elle tient entre ses mains les journaux intimes de sa grand-mère, et qu'ils forment un extraordinaire travail de mémoire. Sentant les larmes lui monter aux yeux, Deborah pose les carnets à côté de la médaille, pour s'intéresser au paquet de lettres. Il y en a une petite dizaine, toutes à l'attention de « Mlle Eugénie Duval, 12 rue Neuve Saint Jean, Caen, France ». Sur les enveloppes, aucune trace de l'expéditeur. Deborah observe le paquet et s'empare délicatement de celle du dessous, qui semble la plus ancienne. Elle en retire deux feuilles de papier soigneusement pliées l'une sur l'autre. Ici l'écriture est plus large, moins soignée, et des tâches d'encre marquent les bords à plusieurs niveaux. La lettre est adressée à « My cherish E. » en date du 20 juillet 1944. Mélange approximatif d'anglais et de français, certains passages sont presque illisibles, tant l'écriture de l'auteur est difficile à déchiffrer. En parafe, un simple « Yours, E » n'apporte aucune information supplémentaire à Deborah. Grand-mère avait un frère nommé Emile, et le ton de la lettre lui semble affectueux, mais pourquoi de l'anglais ? Impatiente, elle remet la lettre peu compréhensible dans son enveloppe, et replace celle-ci au-dessous de la pile.

La voilà sa chance de connaître Grand-Mère !

Son esprit de journaliste lui souffle de procéder avec méthode. Ses parents ne vont pas tarder à rentrer, et elle a pour l'instant envie de garder cette découverte pour elle. Elle replace les carnets et le paquet de lettre dans la boîte à chaussures, et la serre un instant contre son cœur.

Elle range dans la sacoche la médaille et le blouson, et les vêtements de Grand-Mère dans l'étrange sac allemand. Puis elle ouvre sa valise, et pose au fond la boite à chaussures. Elle n'en sort que le premier carnet, avant de refermer la boite et de la dissimuler sous ses paires de chaussettes. Jetant un regard vers la porte qui relie sa chambre à celle de ses parents, elle attrape une feuille du bloc-notes de l'hôtel sur la commode, et griffonne une note qu'elle fait glisser sous la porte. « Je me sens mieux, je vais dormir tôt, je vous vois demain matin. D. ». Ils respecteront son besoin d'intimité et elle s'assure ainsi une soirée sans être dérangée.

Excitée comme une enfant qui s'apprête à déballer un cadeau, Deborah ferme les rideaux, se glisse dans son lit, et à la lumière de sa lampe de chevet, ouvre le premier journal intime de sa grand-mère.

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