Je ne te connaissais pas

Bởi alice_jeanne

697 142 23

Lorsque Deborah, étudiante en dernière année, apprend la mort de sa grand-mère, son monde bascule. Est-ce qu'... Xem Thêm

Livre 1 - Chapitre 2.
Livre 1 - Chapitre 3.
Livre 1 - Chapitre 4
Livre 1 - Chapitre 5
Livre 1 - Chapitre 6
Livre 1 - Chapitre 7
Livre 2 - Chapitre 8
Livre 2 - Chapitre 9
Livre 2 - Chapitre 10
Livre 2 - Chapitre 11
Livre 2 - Chapitre 12
Livre 2 - Chapitre 13
Livre 2 - Chapitre 14
Livre 2 - Chapitre 15
Livre 2 - Chapitre 16
Livre 2 - Chapitre 17
Livre 2 - Chapitre 18
Livre 2 - Chapitre 19
Livre 2 - Chapitre 20
Livre 2 - Chapitre 21
Livre 2 - Chapitre 22
Livre 2 - Chapitre 23
Livre 2 - Chapitre 24
Livre 2 - Chapitre 25
Livre 2 - Chapitre 26
Chapitre sans titre 27
Livre 2 - Chapitre 28
Livre 2 - Chapitre 29
Livre 2 - Chapitre 30
Livre 2 - Chapitre 31
Livre 2 - Chapitre 32
Livre 2 - Chapitre 33
Livre 2 - Chapitre 34
Livre 2 - Chapitre 35
Livre 2 - Chapitre 36
Livre 2 : Chapitre 37
Livre 2 - Chapitre 38
Livre 2 - Chapitre 39
Livre 2 - Chapitre 40
Livre 2 - Chapitre 41

Livre 1 - Chapitre 1.

99 10 5
Bởi alice_jeanne


19h01.

L'ambiance feutrée de la bibliothèque Sciences Politiques du 27 rue Saint Guillaume s'agite, alors que plusieurs étudiants terminent là leur après-midi studieuse. Les PC portables claquent, les sacs se ferment, et après plusieurs raclements de chaises, les lieux se vident progressivement.

Rendue invisible par la pile d'encyclopédies et de manuels amoncelés devant elle, Deborah n'a conscience ni de l'heure ni de l'endroit où elle se trouve. Ce papier sur lequel elle travaille est dû pour lundi, et elle doit encore peaufiner son analyse. Elle se tortille sur sa chaise pour trouver une position plus confortable, sent venir une crampe dans son poignet droit, et maudit pour la millième fois le chauffage vétuste de la bibliothèque qui fait perler des gouttes de sueur dans son cou.

« La transmission de l'information à travers les âges et ses impacts. ».

Un sujet simple en apparence, mais pour retracer cette évolution, depuis l'âge où l'on peignait les murs des grottes, à notre ère hyper connectée, Deborah aurait mieux fait de s'attaquer au sujet il y a deux mois.

Son téléphone émet un bruit sonore qui la sort un instant de sa lecture.

On n'avait pas dit 19h ?

Et merde !

Elle a complétement oublié qu'elle doit prendre un verre avec les filles ce soir. Elle jette un œil à sa montre, puis à sa tenue. Un jean distendu et un pull blanc qui, vu la chaleur à l'intérieur, ne doit pas sentir la rose.

Merde, merde, merde.

Je suis en route.

Honteux mensonge.

Elle relie les dernières phrases de son dossier sans grande conviction. Son analyse n'est pas très percutante, elle est bonne pour revenir passer la journée du lendemain à la B. U. Tant pis.

Elle range en vitesse ses affaires, et dépose bruyamment la pile d'ouvrages sélectionnés devant la bibliothécaire. Tandis que celle-ci scanne passivement les reliures, Deborah se recoiffe dans le plexiglas de l'accueil, attrapant ses mèches folles pour les relever en un chignon flou - très flou. Elle ramasse son sac, chancelle sous le poids des livres, et se hâte vers le Temple Bar, point de chute du groupe d'étudiant qu'elle fréquente.

Elle est en dernière année de Master Journalisme à Sciences Po Paris, et se prépare à passer le Grand Oral en mai prochain. D'ici là les cours sont progressivement mis en suspens, au profit d'un projet de longue durée.

Ce soir ils se retrouvent pour faire une pause. Les autres ont déjà tous avancé sur leur projet, leur stage, ou leur étude de terrain. Tous ultras motivés, prêts à rentrer dans la vie active, ils n'ont qu'une hâte : obtenir ce fichu diplôme pour enfin pouvoir passer aux choses sérieuses. De son côté, Deborah a mis en avant sa volonté de travailler sur un projet personnel, et son tuteur a accepté, à condition qu'elle lui propose une thématique d'ici la fin du mois.

Seule difficulté : elle n'a aucune idée de ce qu'elle souhaite présenter.

Elle a été tellement absorbée ces derniers temps. Il a d'abord fallu passer les examens de fin de semestre, et, en élève studieuse et appliquée, elle s'est plongée dans les révisions dès la mi-octobre. Ensuite les fêtes de fin d'années sont arrivées, et même si elle ne croule pas sous les invitations, le repas de Noël organisé par sa mère, et la soirée du nouvel an avec ses amies ont demandés un minimum d'organisation. Et puis, plus globalement, elle passe tellement de temps à se demander ce qu'elle fera après son diplôme, qu'elle en a occulté l'étape principale : obtenir ce diplôme !

Elle doit donc trouver, avant la fin du mois, un sujet assez passionnant pour en faire l'étude et le présenter en soutenance devant un jury de professionnel. Une affaire pas si simple sur laquelle elle va devoir se pencher rapidement.

Si la chaleur de la bibliothèque était étouffante, Deborah a pendant un instant oublié qu'à Paris, en plein mois de janvier, la température frôle le zéro degré. Une bourrasque froide la surprend après les portes coulissantes, et elle manque de glisser sur une plaque de givre. Transie, elle s'emmitoufle dans son Duffle-coat, et reprend sa route. Son après-midi de travail l'a laissé fatiguée et de méchante humeur, et le vent qui griffe son visage lui fait monter les larmes aux yeux. Un cocktail pas vraiment idéal pour aller boire un verre entre amis.

S'il se met à neiger, je rentre.

Le trottoir est bondé et, conformément au cliché, le Parisien est un marcheur pressé. Chacun avance contre le vent, tête baissée, n'ayant aucunement l'intention de laisser le passage à qui que ce soit. Si les rues étaient encore décorées et festives il y a quelques jours, la mairie de Paris s'est finalement décidée à retirer les illuminations de Noël. Les devantures ont descendu leurs couronnes et Pères Noëls en plastique, et de nombreux sapins jonchent les trottoirs, ayant déjà perdu leurs épines. C'est une époque de l'année que Deborah déteste. Après l'effusion des fêtes de décembre, le retour de la grisaille parisienne et le blues de la reprise sont durs à encaisser.

Elle serait bien rentrée chez elle, pour se rouler sous un plaid et lancer une série devant laquelle elle aurait fini par s'endormir, mais Luce en a décidé autrement.

Dès la rentrée son amie a décrété qu'il fallait « contrer la morosité ambiante » ; « sortir de ta caverne », et qu'une fois par semaine Deborah serait obligée de les rejoindre au bar, parce qu'après tout « tu as besoin de voir des gens, c'est bon pour toi ». Si Deborah n'est pas particulièrement d'accord avec ce dernier point, elle ne peut de toute façon pas opposer un refus à Luce, qui ne sait pas ce que le mot « non » signifie.

Ni le mot « patience » d'ailleurs, à en juger par la vibration continue du téléphone portable dans la poche arrière de son jean.

Trop froid pour sortir ma main, tu vas devoir attendre ma cocotte.

Deborah accélère néanmoins. Non pas que Luce lui fasse peur, mais l'idée de se faire enguirlander par sa meilleure amie parce qu'elle est en retard la fait tout de même frémir.

Avec Luce elles se connaissent depuis des années, depuis la première journée de lycée en fait. Alors que Deborah s'était assise seule au fond de la classe le jour de la rentrée, Luce avait jeté ses affaires sur la chaise à côté d'elle, s'était installée sans se poser de questions, et avait fini par se tourner vers elle avec un grand sourire. Ce sourire-là avait fait craquer Deborah et elles ne s'étaient plus quittées depuis, dans la vie comme dans les études.

Contrairement à Deborah, Luce a depuis longtemps décidé ce qu'elle veut faire : changer le monde. Bénévole auprès de plusieurs associations, elle a été embauchée en stage dans une rédaction engagée, dont l'objectif est de faire bouger les lignes. Elles sont tellement différentes toutes les deux que Deborah se demande parfois ce qui fait qu'elles s'entendent aussi bien.

Luce est une vraie pile électrique, elle fourmille de mille projets, en réalise une grande partie, et ne se pose jamais de questions sur ce qui est attendu d'elle : elle fait, c'est tout. A ses côtés, Deborah se sent comme une enfant gauche, en manque de repères.

19h27. Au bord de l'hypothermie, elle finit par passer la porte du bar, immédiatement happée par la chaleur ambiante, le brouhaha des conversations et l'odeur bien identifiable de sueur et de bière. Elle scrute la salle déjà pleine, à la recherche des visages familiers. En même temps qu'elle aperçoit la tignasse rousse, reconnaissable entre mille, de son amie, Luce agite les bras et traverse la foule sans ménagement, à grands renforts de sourires charmeurs et de décolleté plongeant.

- Ben alors t'en as mis du temps ! s'exclame t'elle en jetant ses bras autour du coup de sa copine. Je t'ai commandé une bière en attendant. Tout le monde est arrivé il ne manquait plus que toi. Ça va ?

Deborah sourit, amusée par l'excitation de la jeune femme, qui n'écoute pas vraiment sa réponse, trop occupée à ramener un tabouret autour de leur table.

- Tiens, assieds-toi là.

Sans discuter, et sous le regard un peu moqueur de leur petite assemblée, Deborah retire sa veste et s'installe. La bière devant elle est fraiche, elle trinque avec tout le monde et en avale une gorgée.

- Alors, où tu étais passée ? l'interroge sa voisine de gauche, qui pioche généreusement dans les planches de charcuteries disposées sur la table. Tu sais qu'ELLE devient carrément dingue si tout le monde n'est pas à l'heure au rendez-vous.

Victoire. La dernière arrivée du trio qu'elles forment désormais avec Luce. Elles se sont rencontrées cinq ans auparavant, lors des premiers projets de groupe imposés par le corps enseignant. Belle plante d'un mètre soixante-quinze, Victoire passe son temps à grignoter, au plus grand désarroi de Luce et Deborah qui, depuis toutes ces années, cherchent toujours à comprendre où leur amie peut bien stocker tout ce qu'elle avale.

Deborah lui jette un regard faussement contrit et toutes deux rigolent discrètement en avalant une autre gorgée de bière. La bonne humeur qui règne autour de la table - et la bière qu'elle absorbe - permettent à Deborah de se détendre un peu.

C'est vrai que ces soirées lui font du bien.

Si elle n'est pas de ceux qui font la conversation - Luce s'en charge très bien toute seule, elle prend tout de même plaisir à échanger avec les autres. En ce vendredi de rentrée, chacun y va de son anecdote sur ses vacances, des repas de Noël infiniment longs à la soirée du Nouvel an dont on rabâche les mêmes anecdotes encore et encore. Deborah se laisse porter par les plaisanteries qui fusent et les verres qui s'enchainent. Non pas qu'elle soit une grande buveuse, mais l'alcool la réchauffe et l'empêche de trop réfléchir.

Ses vacances à elle non rien eu de bien passionnant. Elle les passe toujours chez ses parents, dans leur maison de Levallois Perret, en banlieue parisienne. Chaque année son père fait le trajet jusqu'à Caen et va chercher Grand - Mère Eugénie afin qu'elle passe les fêtes avec eux, plutôt que dans l'EHPAD où elle vit le reste de l'année. Les oncles et tantes de Deborah ayant tous migrés dans le Sud, ils passent donc Noël tous les quatre, en petit comité. Un Noël simple, autour de la dinde traditionnelle, avec encore quelques cadeaux au pied du sapin pour la forme, sa mère y tient.

Sa mère, Anne, tient à beaucoup de chose, c'est une femme de principes : elle tenait au pavillon en banlieue, elle tenait à ce que sa fille fasse de grandes études, et elle tient avec autant de ferveur à ce que Noël garde les mêmes traditions depuis vingt-cinq ans, bien que Deborah ait passé l'âge de s'extasier devant des cadeaux à déballer. Elles ont été très proches toutes les deux, quand Deborah était plus jeune. On pourrait dire que c'est encore le cas, mais elles ont pris un peu plus de distance. En démarrant ses études à Paris, Deborah a pris son autonomie, et sa mère elle, ne l'a jamais réellement vu grandir. Elle est moins proche de son père, Richard. Elle l'adore bien sûr, mais elle a surtout été élevée par sa mère, son père étant un peu plus absent dans son éducation. Grand - Mère Eugénie elle, a fêté ses quatre-vingt-dix-sept ans en avril dernier, et elle avait déjà plus de soixante-dix ans quand Deborah est née. Elle a des souvenirs de tendresse de la part de sa grand-mère, mais elle n'a jamais pu échanger réellement avec elle, cette dernière ayant peu à peu perdue la capacité à tenir une conversation. Le plus souvent elle donne l'impression de vivre dans ses souvenirs.

Autant de raison qui font que, si le repas de Noël est un moment agréable, il ne s'associe pas pour Deborah au chahut d'une table de famille bien remplie. Plus jeune elle aurait aimé avoir un frère ou une sœur, pour être un peu moins seule, et puis elle s'est résolue et apprécie désormais un peu mieux sa solitude.

- Tu le vois lui là-bas ? Pas mal non ?

Luce fait irruption à côté de Deborah et pointe son doigt vers un jeune homme brun, accoudé au bar en face d'elles.

- Oh non Luce je t'en supplie ne recommence pas, soupire Victoire, il doit être à peine majeur.

- Tant qu'il est majeur ça me va, rétorque son amie, une étincelle lubrique dans les yeux. Je plaisante, je plaisante ajoute-t-elle devant le regard courroucé de Victoire. Et toi Deb's, qu'en dis-tu ? Tu n'as pas envie de tenter le coup ?

- C'est hors de question, Luce, tu sais que je déteste ça.

- « Ça » ! Enfin il faut bien que tu trouves quelqu'un, ça me déprime de te voir aussi seule !

Luce lui jette un regard désespéré, et Deborah se sent piquée au vif.

- Je le vis très bien merci, tu n'as pas à t'en occuper à ma place. En plus avec tout ton raffut il nous a vues ! Merde !

Le jeune homme, intrigué par l'agitation, les observe avec un œil amusé. Il finit par se lever et traverse le bar dans leur direction.

- Bien joué, grince Victoire.

Luce émet un gloussement de contentement et passe une main dans ses cheveux avec un air satisfait. Malgré ses récriminations, Deborah ne peut s'empêcher de sentir son cœur battre un peu plus fort. C'est vrai qu'il est pas mal. Brun, les yeux noirs, un t-shirt blanc qui laisse deviner l'effort de séances de sport régulières...vraiment pas mal. Elle tente un sourire en le voyant approcher, mais celui-ci retombe bien vite en comprenant que ce n'est pas vers elle qu'il vient. Il a les yeux fixés à sa gauche.

Evidemment.

Il atteint leur table, et Deborah sent le corps de Luce, boudeuse, s'affaisser légèrement contre elle. Ah. Pas de chance. C'est donc Victoire. Encore. Le mâle entame sa parade auprès de leur amie, peu amène, et Luce se tourne vers Deborah avec un petit sourire.

- Désolée ma belle, ce ne sera pas encore cette fois hein ?

Deborah hausse les épaules. Quand ce n'est pas l'une, c'est l'autre, et elle a pris l'habitude d'être laissé pour compte dans cette compétition amicale. Entre Victoire, belle brune aux airs de mannequin, et Luce, rousse plantureuse, Deborah passe facilement au second plan.

Ce n'est pas qu'elle soit repoussante, quand même pas, mais de son point de vue elle est juste... quelconque. Ni grande, ni petite, elle cache ses complexes sous de grands pulls et des jeans un peu larges. Elle se maquille très légèrement, attache généralement ses cheveux en un chignon archaïque, et a pris l'habitude de ne pas rester plus que nécessaire devant un miroir. En somme, elle a toujours l'allure d'une étudiante en pleine séance de révision, et face à ses deux copines, elle ne fait pas le poids. Résignée, elle observe le prétendant, qui sort le grand jeu à une Victoire de plus en plus agacée. Après plusieurs tentatives pour lui faire comprendre qu'il dérange, et voyant qu'il insiste, elle finit par lui coller son verre dans les mains et le décolle de la table.

- Bouge. lui intime-t-elle avec un regard noir.

Surpris, l'autre repart vers sa bande la queue entre les jambes. Victoire enquille ses dernières gorgées de bières et attrape sa veste. Son regard atteint Luce, qui ne dit plus rien.

- Ça suffit pour ce soir, je rentre.

Après un signe de tête au reste de leur table, elle se dirige vers la sortie.

- Attends ! Deborah récupère son sac - mon dieu qu'il est lourd. Je rentre avec toi.

La fatigue et l'alcool ne font pas bon ménage, et Deborah sent la migraine roder à l'arrière de son crâne.

- Oh les filles allez c'était pour rire, restez un peu, tente Luce en s'accrochant au bras de Deborah.

- Il vaut mieux que je rentre Luce, j'ai du boulot demain. Je t'appelle ok ?

Luce acquiesce avec une moue déçue, et libère Deborah qui se précipite vers la sortie pour rejoindre son amie.

L'air frais à l'extérieur lui fait du bien. Victoire l'attend sur le trottoir d'en face, une cigarette à la main, renfrognée. Comment peut-elle avoir un air à la fois si classe et si effrayant ?

- On marche un peu ?

Deborah acquiesce. Après tout, la température ne doit pas dépasser les trois degrés, et son sac ne pèse que deux cents kilos, une petite promenade dans Paris sera très agréable. Serrant les dents elle emboite le pas de son amie. Elles marchent en silence, n'ayant ni l'une ni l'autre envie de discuter de ce qui vient de se passer. Victoire parce qu'elle n'y est que trop habituée, et Deborah n'ayant pas envie de plaindre son amie si séduisante.

Il est 23h passées, les terrasses du quartier de Saint Sulpice sont animées et de nombreux groupes les croisent sur le trottoir, pour la plupart déjà bien éméchés. Elles échangent un sourire en croisant trois jeunes femmes hilares, les deux premières soutenant la troisième par les bras, tandis que celle-ci clame d'une voix pâteuse à quel point elle les aime. Deborah et Victoire se sont déjà plusieurs fois retrouvées dans cette situation, à ramener leur cinglée de copine chez elle, après que celle-ci ai un peu forcé sur les Mojitos. D'elles trois Luce est sans conteste la plus fêtarde, la plus extravagante et le joyeux luron de leur petite bande. Si certaines soirées cocktails laissent à Deborah le souvenir d'un mal de crâne intense, elle n'a pas pour habitude de boire énormément. Ajouté à sa nature introvertie, elle n'a jamais été de celles qu'il fallait porter en rentrant de soirée.

Victoire quant à elle est toujours dans le contrôle - exception faite des sucreries, et met un point d'honneur à être présentable en toute situation. La beuverie et les déclarations d'amour alcoolisées, très peu pour elle. Deborah ne comprend pas toujours l'amitié qui les lie toutes les trois, et les frictions entre ses deux amies sont fréquentes, tant leurs caractères sont différents. Elle a dû jouer les médiateurs plus d'une fois, même lorsque sa petite voix intérieure lui soufflait de les envoyer au diable toutes les deux. Mais elle n'en a jamais eu le courage, et elle s'efforce à chaque fois d'apaiser les tensions, pour bien souvent se faire rabrouer à la place.

Déterminer cette fois à ne pas s'en mêler, elle continue d'avancer en silence. Elles dépassent rapidement le Jardin du Luxembourg, qui, à cette heure, forme une masse sombre où il vaut mieux ne pas s'attarder ; elles descendent l'avenue Denfert Rochereau et prennent à gauche sur la place des Catacombes.

En passant devant l'entrée des souterrains, Deborah frissonne. Ce lieu l'a toujours fasciné. Si elle n'est descendue qu'une fois dans le ventre de Paris, elle en garde un souvenir mémorable. Sur plus d'un kilomètre s'étend le plus grand ossuaire du monde, constitué par les restes fragiles de millions de parisiens. Elle a rédigé un essai sur la construction de ce site en deuxième année, et elle s'était plongée avec passion sur l'histoire et les croyances qui l'entourent. La vision du passé offerte par ce lieu, et le formidable travail réalisé par ceux qui le protègent l'avait fortement impressionné. Il est toujours étonnant pour elle de voir comment ont vécu, évolué ou disparu les civilisations qui ont précédés. Et elle a plaisir à le retranscrire à travers des articles, même si ceux-ci ne sont pour l'instant destinés qu'à ses professeurs.

C'est pour cela qu'elle a choisi le journalisme – en dehors du fait que sa mère ne jurait que par Sciences Po. Parce qu'elle aime écrire, raconter et présenter. Chercher le fond des choses. Comprendre d'où émerge l'histoire, ce qui lui donne corps et la rend passionnante à retranscrire pour d'éventuels lecteurs. C'est aussi pour cela qu'elle a voulu travailler sur un projet personnel, et qu'elle se retrouve dans la panade : par manque d'un sujet de fond.

Perdue dans ses pensées elle s'aperçoit au dernier moment qu'elles arrivent devant chez Victoire. Celle-ci la regarde d'un air circonspect.

- Est-ce que ça va Deborah ? Tu as l'air...ailleurs.

- Ce n'est rien, j'étais perdue dans mes pensées. Rien de sérieux ! ajoute-t-elle devant l'air peu convaincu de Victoire.

- Sûre ? Ça va aller pour rentrer ? Tu peux rester chez-moi si tu préfères.

- Non tout va bien il ne me reste pas long à faire.

- Hmm.

Victoire la serre furtivement dans ses bras – aïe le sac de livre dans les côtes, et monte les marches jusqu'à la porte cochère. Elle tape les quatre numéros de son digicode, et se retourne un peu inquiète vers sa copine restée sur le trottoir. Deborah agite la main avec un sourire rassurant, et reprend sa route. Du boulevard Auguste Blanquier où vit Victoire, il ne reste à Deborah que dix minutes pour rentrer chez elle. Mais ce sont dix longues minutes, sur la route pentue qui mène en haut de la Butte aux Cailles.

Au bas de la route qui serpente, elle attrape son sac à deux mains, et commence l'ascension en pestant. Elle vit ici depuis qu'elle a commencé la fac, il y a cinq ans, et malgré l'espoir que cette montée quotidienne lui forgerait des jambes fuselées et des fesses de déesse, elle ne récolte qu'une bonne suée et l'impression que son cœur va la lâcher à chaque ascension. Arrivée devant son immeuble, en nage, elle monte les quatre étages sans ascenseur – comme si elle n'en avait pas eu assez – et rentre enfin chez elle. Chez elle, c'est une pièce de dix-huit mètres carrés, au loyer exorbitant, où la cuisine donne sur le lit, qui donne sur le paravent, qui cache la minuscule salle d'eau. Dans une production Hollywoodienne, ce petit appartement serait cosy, et de sa fenêtre Deborah pourrait rêver devant les toits de Paris. Mais ici tout respire l'humidité, et la fenêtre ne donne que sur l'appartement d'en face, habité par un couple de retraités. Epuisée, Deborah jette d'un même mouvement le sac rempli de livres, son Duffle Coat, ses chaussures et son soutien-gorge, avant de s'affaler sur le canapé-lit de sa chambre-salon.

Elle aurait aimé avoir un animal, un chat, pour lui tenir compagnie le soir et la nuit. Elle programme son réveil pour le lendemain, huit heures, et se blottit sous les draps, enfin.

Đọc tiếp

Bạn Cũng Sẽ Thích

26.9K 2.1K 33
Sur une île perdue, en plein milieu de l'océan Pacifique, reculée de tout échange et commerce avec d'autres pays, vit un jeune homme pêchant pour se...
34.7K 2.5K 21
Kennedy Reaser a tout pour être heureuse, une famille unie et compréhensive. Elle a des amies, des études, un petit boulot et même un petit-ami et to...
27.4K 2.2K 55
Quand Jen et Colin se rencontrent pour la première fois, ils sentent tout de suite qu'ils sont faits pour s'entendre et qu'il y a une alchimie entre...
Colombe Bởi LaConteuseDesEnfers

Tiểu Thuyết Lịch Sử

92.6K 9.1K 55
An 1347. Colombe a vingt-deux ans et n'est toujours pas mariée. Belle et intelligente, elle attise le désir des plus puissants. Mais Colombe veut êtr...