« À l'aide ! »... « Aidez-nous ! »... « Non... »... « Prenez-moi à sa place ! » « Non, ne fais pas ça... je t'en supplie ! » « Tout va bien se passer. » « Non ! »
Isaiah se réveilla en soubresaut, le buste propulsé vers l'avant, la respiration saccadée. Anhélant, des cascades de sueurs coulaient le long de ses tempes. Des mèches collées à son front dissimulaient partiellement ses yeux écarquillés de frayeur.
« Isaiah, ton rythme cardiaque est fortement élevé. Tu es sujet à une hyperventilation. Dois-je faire appel au docteur Graham ? » intervint aussitôt Liv, chargée de la surveillance de ses signes vitaux.
Le brun secoua la tête de négation, un simple geste qui lui demanda des efforts gigantesques.
— Non... Tout va bien, Liv. Je vais bien, haleta-t-il, coupant la discussion.
L'homme était agacé qu'en dehors de ses proches, même l'intelligence du navire s'inquiétait pour lui. Le long silence de l'entité prouvait qu'elle flairait son mensonge.
« Bien, Commandant. »
Incapable d'agir sans le consentement de son capitaine, Liv se mit en sourdine.
La poitrine d'Isaiah se soulevait au rythme cadencé de ses halètements. Son regard se porta sur l'heure holographique affichée au-dessus de sa lampe 3D, posée sur la table de chevet immaculée. Le réveil affichait vingt-et-une heures.
Le Stormite s'évertua à contrôler sa crise, par un exercice qui l'accompagnait depuis des lustres. Il commença par respirer lentement par le ventre. Ensuite inspira pendant trois secondes, en retenant l'air dans ses poumons durant douze secondes. Pour enfin expirer par la bouche le plus profondément possible jusqu'au bout du souffle.
Arrivé à une régulation du débit cardiaque assez stable, il repoussa la couche de draps en coton gris du reste du corps, puis s'assit au bord du lit. Il s'efforça de remettre de l'ordre dans son esprit.
Ces satanés cauchemars devenaient de plus en plus fréquents, insoutenables. Autant qu'ils accentuaient ses migraines infernales. Penché en avant, Isaiah massa ses tempes. Un geste mécanique censé, du moins, atténuer son mal de tête. Ses doigts caressèrent de suite une zone sous sa nuque, où se logeait son implant neuronal. Par réflexe, la pulpe de son pouce effleura la coupure cicatricielle au coin de ses lèvres. Aussitôt, il se noya dans un océan de rancœur, submergé par les remords, le regret. La colère. Il renifla d'amertume avant de retirer son doigt avec froideur.
Le réveillé essuya de son avant-bras la sueur de son front. Il se leva, assailli par une douleur qui craquait chaque muscle de son corps. Vêtu de son jogging noir, il emprunta le chemin de la salle de bain en vue d'une bonne douche froide.
Quinze minutes plus tard, Isaiah en ressortit, muni d'une serviette enroulée à la taille.
— Liv, un peu de musique, s'il te plaît !
Un doux morceau emplit instantanément son espace privé.
— Merci.
Bien plus serein, Isaiah frotta sa barbe de trois jours pendant qu'il se rendait au coin dressing. Ses cheveux humidifiés laissaient dégouliner des gouttelettes d'eau sur son torse nu et athlétique ; une forte ossature façonnée par des missions intensives sur le terrain, agrémenté d'un port d'armures toutes robustes les unes que les autres. Des tatouages couvraient l'intégralité de son bras jusqu'à la face droite de son cou.
L'ensemble décontracté choisi se résumait à un tee-shirt à manches longues, un jean et des bottes montantes. Tout assorti de noir. Sa main passa dans ses cheveux de jais pour mieux les rabattre en arrière. Il n'omit pas de porter son Personnel à son poignet : un outil fonctionnel multitâche, semblable à une montre tactile noire, qui ne s'activait que par signature thermique de son propriétaire.
Pour finir, le Stormite empoigna un sac-cadeau déposé sur la table basse du mini salon. Il reviendrait au vaisseau à l'aube pour récupérer certaines affaires.
« Passe une agréable soirée, Isaiah ! »
L'homme sourit en levant les yeux en hauteur, comme s'il apercevait l'intelligence.
— Je vais essayer, Liv, merci.
À vingt-deux heures précise, Isaiah franchit les portes en métal coulissantes de sa cabine.
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Durant cette heure tardive de la nuit, près du quai d'amarrage, Khé-Khé et Néhémia épiaient le Faucon SS-1 depuis les auberges rangées le long de la côte. Le binôme s'établissait sur le toit en tuiles d'une taverne, sa position donnait un meilleur visuel du vaisseau. Cachés par la pénombre, ils attendaient patiemment l'ouverture de la rampe.
Dès son rapport achevé, Khé-Khé s'était aussitôt rendue au port. Talonnée par Néhémia, les deux Allevardiens avaient délaissé la forteresse et emprunté de nombreux ponts et chemins rapides. Les raccourcis improvisés par la Warloïte consistaient à s'acheminer au sommet des auberges, au grand désarroi du pirate. Par ailleurs, l'émissaire avait été impressionné par l'agilité de l'Héritière qui se déplaçait comme un félin. Après plusieurs minutes de grimpes et avancées funambulesques, ils avaient atteint leur destination.
Néhémia se cramponnait avec mollesse au faîtage de la toiture pentue. Loin d'avoir peur du vide, ils se situaient tous deux à une hauteur vertigineuse. Toute chute s'avérait mortelle. Contrairement à lui, la Zérynthia demeurait assise avec légèreté, dans son amour de l'altitude. Les pieds balancés dans le vide, elle détaillait le Faucon.
— À qui appartient ce vaisseau ? demanda-t-elle tout à coup.
Néhémia fixa le navire au loin, en partie concentré à se maintenir sur le toit.
— Il appartient à un capitaine de l'armée Stormite, le commandant Hawke.
— Tu as dit le commandant Hawke ? Ça alors ! C'est donc lui le fameux commandant dont on parle tant à la capitale. Il parait qu'il est génial.
Néhémia grimaça à cet attribut.
— Bah, ça dépend avec qui. Il possède plusieurs appellations à son actif. Les Neromiens le surnomment le Héraut d'Allevard. La plus connue à Drën-Warnoff est le Loup de Storm.
Ce titre intrigua le médecin.
— Pourquoi le Loup de Storm ?
Malgré la faible luminosité des lanternes de la zone, Khé-Khé remarqua sans peine le sourire farfelu étirant les lèvres du plus âgé.
— Il suffit de le voir. Ici, il est tout aussi bien admiré que craint. Personne ne se risquerait à le défier, encore moins à lui causer un préjudice. Sans parler du tatouage marqué sur son bras : un loup aussi sombre que les ténèbres, dont l'effroyable rugissement ferait trembler de simples mortels.
— Wouah ! Ça doit être génial !
— Je suppose que chacun a sa façon de voir les choses. Quoi qu'il en soit, son apparence y est aussi pour quelque chose... et son regard aussi.
Ce dernier détail attisa davantage la curiosité de la Warloïte. À cet instant, la rampe d'embarcation du vaisseau se déploya sous le sol terreux du port. Le pont, perçu de profil par le duo, s'abaissa complètement. Et une silhouette élancée y descendit dans une démarche décontractée.
Néhémia tenta de récupérer d'une main la longue-vue fixée à sa ceinture, pour la remettre à sa jeune amie. Il se souvint alors qu'elle n'en avait pas besoin. Comme pour confirmer cette pensée et pour se mettre dans l'ambiance, avec son pouce et son index, Khé-Khé forma un cercle pour simuler l'instrument optique. Le pirate ne put s'empêcher de rire devant son attitude enfantine.
— Qu'est-ce que vous foutez là ?
— Nom de... !
Néhémia se stabilisa de justesse à la toiture devant l'intervention soudaine d'Hazo. Immobile et les mains en poche, l'armurier se tenait debout au côté d'une Khé-Khé imperturbable.
— Et toi, qu'est-ce que tu fais là ? lui demanda-t-elle simplement.
— Je suis censé garder un œil sur toi, t'as oublié ? Alors, je vous ai suivi. Et puis, ça me permet d'admirer ce beau vaisseau de plus près.
Néhémia observa en silence les deux Héritiers user de leur don visuel. La Zérynthia fit recours à sa vue télescopique et zooma sur le Stormite. Quant à Hazo, ses yeux bioniques scintillaient par intermittence en direction du navire spatial.
Ces adolescents sont vraiment à part.
Tenu à des kilomètres d'eux, Isaiah portait son sac à cadeau en main. Une paire d'écouteurs noirs sans fil, connectée à son Personnel, était enfouie dans ses oreilles. Le trentenaire faisait le pied de grue devant la place du port. La rampe se releva progressivement derrière lui. Son style vestimentaire, à la limite gothique, cadrait à l'ambiance sombre de la ville. Quoique l'élément le plus pertinent pour Khé-Khé demeurait ses prunelles dorées.
— Nom d'une barbe ! s'horrifia Néhémia d'un sursaut, lorsque la paire d'yeux du brun se riva brusquement dans leur zone. Vous croyez qu'il nous a repérés ?
Les Warloïtes restèrent de marbre sans quitter le Stormite des yeux.
— J'en doute. Il est juste conscient d'être observé, expliqua Hazo, assez impressionné.
L'attention assidue de Khé-Khé envers l'Allevardien laissa le Drënien perplexe. Si bien qu'une idée saugrenue germa dans son esprit.
— Tu sais... Je ne suis pas sûr que cela soit de ton âge, jeune fille.
— Quoi donc ? posa la fillette de manière désinvolte.
— Regarder cet homme comme tu le fais.
— Je ne le regarde pas.
Néhémia haussa les sourcils, puis les fronça.
— Je ne suis pas dupe, tu sais. Je vois bien que tu le regardes.
— Je ne le regarde pas, je le contemple.
Ces mots prirent l'émissaire au dépourvu. Il cligna des yeux, à se demander si son ouïe ne lui jouait pas des tours. Khé-Khé profita de sa confusion pour se tourner vers lui.
— Je suis peut-être jeune, mais je sais apprécier les merveilles de notre monde quand j'en vois une, lança-t-elle en remuant les sourcils.
Le pirate ouvrit la bouche, désarçonné par ce qu'il venait d'entendre. Tout à coup, l'Héritière arbora une expression espiègle, un sourire narquois collé sur son visage.
— Je parlais de ses yeux, bien entendu.
Néhémia comprit seulement à cet instant qu'il s'était fait avoir. Il éclata d'un fou rire sonore qui le fit oublier l'angoisse de sa posture instable en altitude. Pendant ce temps, Hazo se contenta de secouer la tête.
— Je vais faire comme si je n'avais rien entendu, murmura-t-il.
Khé-Khé retourna à son observation.
Isaiah examinait toujours leur direction avec une farouche résolution, pris dans une réflexion quant à l'éventualité d'une menace. Ses sourcils froncés démontraient son interrogation interne, à travers un regard de prédateur prêt à bondir sur ses proies.
La Zérynthia sourit à cette comparaison imagée.
Le Loup de Storm hein ? Ce nom lui va plutôt bien.
Elle s'apprêtait à mettre fin à sa surveillance lorsqu'un élément la captiva soudain. À mesure qu'elle renforce les capacités de sa vue télescopique, ses iris aigue-marine scrutèrent un détail plus que surprenant. Et là, un large sourire retroussa le coin de ses lèvres.
— Eh bien ! Eh bien ! Voilà qui est très intéressant. Haz, tu vois ce que je vois ?
— Depuis tout à l'heure, confirma-t-il, concentré sur la cible en visuel.
De son côté, Isaiah décida de lâcher prise et se fraya un chemin au milieu de la foule.
Néhémia était curieux vis-à-vis de la réaction des Héritiers, mais ne demanda pas d'explications. Il préférait ne pas les forcer la main. Il s'agissait sans doute d'une chose dont il devait se tenir à l'écart.
Les yeux d'Hazo finirent par perdre en intensité, sa tâche ici terminée.
— Bon ! J'ai vu ce que je voulais voir et je sais où tu es, je peux donc m'en aller. J'ai un repas et un bon sommeil qui m'attendent. On se voit au fort.
Sans attendre une réponse, il se téléporta.
— Dis, Néhémia, tu sais où se rend le commandant ?
— Au fort, à la rencontre de la capitaine. Durant ses rares passages à Black Wall, il lui rend visite à cette même heure d'intervalle.
— Je vois. Je dois encore aller remettre mon rapport à Loctus, ce sera l'occasion de le voir de plus près.
Khé-Khé se leva enfin, dressée sur la toiture.
— Allez viens, il est temps de rentrer au fort, s'exalta-t-elle, en rebroussant chemin.
— At-Attends-moi ! Sapristi... ! balbutia le pirate, manquant de trébucher. Et s'il te plaît, prenons une route normale, par pitié !
La voix juvénile et moqueuse de Khé-Khé résonna dans la nuit.