CHAPITRE TRENTE-SEPT

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Il n'est que dix-sept heures et le soleil est déjà en train de se coucher sur Denver lorsque j'entre dans le petit établissement où Seth et moi nous sommes donnés rendez-vous. A deux pas du campus, l'endroit est parfait pour prendre un café avec un ami. L'atmosphère y est chaleureuse de par ses grandes fauteuils en daim, ses lampes à la lumière chaude, ses larges tapis aux motifs divers disposés un peu partout sur le parquet et sa musique d'ambiance diffusée par les hauts-parleurs. Je suis déjà venue quelques fois ici avec Violet et Michelle. Nous adorons leur chocolat chaud à la recette spéciale maison. J'ai tout de suite pensé à cet endroit quand Seth a proposé que nous nous voyons.
Lorsque j'arrive là-bas, je ne le vois nul part. Il n'est pas encore là. Je suis la première arrivée. Nous avions rendez-vous à dix-sept heures précise. Seth ne devrait pas tarder. Je n'ai qu'à aller nous commander quelque chose. Je suis certaine que je peux choisir à sa place et que ça ne le dérangera pas. Seth est quelqu'un de très conciliant. Il se satisfera de ce que je prendrais pour lui.
Je me dirige donc vers le comptoir. Pour une fois, il n'y a pas foule. Je peux commander directement. Je demande alors à la serveuse deux chocolats chauds et deux muffins. Ne sachant pas les goûts de Seth, j'opte pour un à la myrtille et un au chocolat. S'il n'aime pas l'un, il pourra toujours prendre l'autre. L'hôtesse me sert rapidement. Je repars avec ma commande et vais m'asseoir à une table près de la vitre donnant sur la rue. Je m'installe confortablement dans l'un des fauteuils ultra moelleux tout en déposant mon plateau sur la table.
Une fois installée, je sors mon portable de mon sac et consulte mes messages pour passer le temps. Je réponds aux SMS de Violet et Michelle. Je constate que j'ai de nouveau un appel manqué de ma mère. Elle essaie de me contacter depuis une semaine déjà mais je n'ai pas encore trouvé le temps de la rappeler. Le temps et l'envie, d'ailleurs. Je réponds également à un message de Josh me demandant mon avis sur une partition. Je m'occupe tranquillement sur mon téléphone en attendant que Seth ne me rejoigne.
Il arrive enfin au bout de dix minutes. Lorsqu'il pousse la porte d'entrée, la sonnette retentit dans la salle et m'informe alors de sa venue. Je lui fais signe pour qu'il me repère. Un sourire s'étire sur ses lèvres quand il pose les yeux sur moi. Il traverse la petite boutique dans ma direction, se faufile entre les tables pour arriver à ma hauteur.
-Salut, soupire-t-il visiblement essoufflé.
-Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu as couru ?
-Oui, mon cours s'est fini plus tard que prévu. J'étais garé à l'autre bout du parking alors j'ai dû courir pour essayer de gagner du temps et quand je suis arrivé ici il n'y avait plus une place. J'ai été obligé d'aller à trois blocs d'ici pour en trouver une. Je ne voulais pas te faire attendre. Je suis désolé.
-Oh, ce n'est pas grave, le rassure-je. Tu n'as pas à t'excuser. Ça arrive à tout le monde.
-Pas à moi, en général. Je déteste être en retard.
-Je comprends, acquiesce-je en souriant. Je n'aime pas ça non plus. Mais tout va bien, je t'assure. Assieds-toi.
Il s'exécute en reprenant toujours son souffle.
-Tu m'as attendu longtemps ?
-Non, seulement dix petites minutes. Rien de bien méchant.
-Bon sang, c'est de la folie à cette heure-ci sur les routes.
-Si tu le dis. Je ne peux pas vraiment comprendre parce que je n'ai pas encore le permis mais je devrais bientôt le passer.
-Génial. En tout cas, j'espère que tu as du temps à perdre derrière le volant. Denver est un vrai cauchemar en fin de journée.
-Je devrais pouvoir m'y faire.
En réalité, je redoute un peu de devoir me balader seule au volant d'une voiture. Je ne suis pas encore très confiante. En revanche, je suis impatiente de pouvoir enfin me déplacer librement. J'ai économisé pendant des années dans l'idée que cela me servirait à acheter ma propre voiture. Le moment est proche. Je vais bientôt pouvoir mettre ce projet a exécution. Il ne me reste plus qu'à passer l'examen final.
Assis l'un en face de l'autre, Seth et moi échangeons un sourire amical.
-Je vois que tu as commandé, dit-il en désignant le plateau trônant au centre de la table.
-Oui, ça ne te dérange pas, j'espère ?
-Non, tu as bien fait.
Je ne suis pas étonnée de sa réponse. Je savais que Seth n'y verra aucun inconvénient.
-Je nous ai pris un chocolat chaud et un muffin. Je ne savais pas ce que tu préférerais alors j'en ai pris un à la myrtille et un au chocolat.
-Super. Je meurs de faim.
-Sers-toi, je t'en prie.
-Toi, d'abord. C'est toi qui a payé alors c'est à toi de choisir.
-Tu es sûr ? demande-je tout de même par politesse.
-Je ne suis pas difficile. J'aime les deux. Tu peux prendre celui que tu veux, Em.
Je contemple les deux muffins et en salive déjà. Je n'ai rien avalé depuis ce matin mise à part un paquet de chips rapidement acheter au distributeur entre deux cours. C'était une journée de folie aujourd'hui. Je suis bien contente de terminer ce marathon éreintant par un bon chocolat chaud entre amis.
-Très bien, dis-je alors. Ce sera myrtille pour moi.
Seth me sourit et me le tend.
-Va pour chocolat pour moi.
Nous nous répartissons la nourriture et entamons chacun notre chocolat chaud. Seth soupire de bonheur en goûtant au délicieux breuvage. Je suis satisfaite de voir qu'il apprécie ce chocolat tout autant que moi. J'espérais véritablement qu'il lui ferait aussi bonne impression qu'à moi.
-Ça fait du bien de manger autre chose que des boites en converse, des sandwichs à trois dollars et des boissons énergisantes, ricane Seth en croquant dans son muffin.
-Tu manges si mal que ça ?
-Ben, en médecine, on a pas vraiment le temps de faire attention à ce qu'on mange. On se débrouille avec ce qu'il y a de plus rapide à faire. Si on veut pouvoir avoir une vie sociale ou sortir un peu en dehors des séances de révision en groupe, il faut sacrifier quelque chose pour gagner deux ou trois créneaux de liberté.
-Et donc, toi, tu as décidé de sacrifier la bonne cuisine et les repas sains ?
-Exactement.
Son récit m'amuse. Je passe déjà un bon moment.
-Ça a l'air intense.
-Quoi, la médecine ? dit-il. Oh, tu n'as pas idée. Parfois, je me demande pourquoi j'ai choisi de me lancer là-dedans.
-Parce que tu aimes ça, en conclus-je à sa place.
Son regard bienveillant et sympathique me couve. J'ai tendance à voir tout le monde du bon côté et à ne jamais juger une personne mauvaise mais, en ce qui concerne Seth, je sais qu'il est naturellement bon. Je suis certaine que c'est quelqu'un de bien avec qui je peux construire une vraie amitié. Depuis Holden, je me méfie de ceux qui je crois peuvent être mes amis. Pour Seth, je n'ai pas de doute. Je ne pense pas qu'il puisse me faire de mauvaise surprise.
-Oui, acquiesce-t-il. C'est vrai que j'aime ça. J'en bave, crois-moi, mais j'adore ce que je fais.
-Je comprends.
-Toi aussi, tu vis ça ?
-Pas au point de devoir sacrifier la bonne nourriture, glousse-je. J'ai sûrement plus de temps libre que toi.
-Il faut être vraiment passionné pour être en médecine. Sans ça, il vaut mieux abandonner. Il faut être prêt à faire tellement de sacrifice. Plus de soirée entre potes tous les week-end, plus de nuit de douze heures, plus de journée à se tourner les pouces pour le plaisir.
-Et bonjour les révisions et les travaux en groupe jusqu'à vingt-deux heures, c'est ça ?
-Tu es trop forte, dit-il en feignant l'exagération. Tu as tout compris.
Alors que nous discutons tranquillement, je picore mon muffin petit bout après petit bout. J'avale quelques gorgées de mon chocolat entre deux bouchées à la myrtille. Face à moi, Seth en fait tout autant avec son muffin triple chocolat.
-Si je comprends bien, j'ai de la chance que tu aies pu te libérer pour un chocolat chaud et un petit gâteau.
-Il fallait bien qu'on finisse par l'avoir ce rendez-vous, dit-il. On en a parlé il y a déjà une éternité. Je ne pouvais pas louper la seule occasion qu'on avait, toi et moi. Avec ton emploi du temps et le mien, c'était déjà assez compliqué de trouver un créneau.
-Il nous aura fallu un mois pour nous mettre enfin d'accord.
-Mieux vaut tard que jamais.
J'acquiesce.
-Au fait, en parlant de ce rendez-vous, j'ai une question.
Je délaisse mon muffin et reporte mon attention toute entière sur lui.
-Je t'écoute.
-Cameron sait que tu es là avec moi ?
Je fronce les sourcils.
-Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?
-Je ne suis pas idiot, Emery, rétorque-t-il en me gratifiant d'un souriant chaleureux. Je sais que ton mec ne me porte pas dans son coeur. Je ne voudrais pas me retrouver au milieu de vous.
-Ce ne sera pas le cas, je t'assure. Il sait qu'on se voit.
-Et ça ne le dérange pas ?
-Ben, on ne peut pas dire qu'il était très réjoui mais il est O-K. Cam est très jaloux mais il fait beaucoup d'efforts ces derniers temps.
-Ah oui ?
-Oui. Il y a un an, il m'aurait sûrement interdit de te voir. Mais c'est différent aujourd'hui. On parle beaucoup plus de ce qui nous pose problème et on s'arrange pour trouver une solution ensemble.
-C'est une bonne chose.
-Oui, acquiesce-je. Je trouve aussi.
Seth me regarde avec tant de bienveillance que j'ai la sensation de pouvoir me confier à lui. Je n'irais sûrement pas dans les détails mais je peux aisément me sentir à l'aise. Je ne ferais pas en sorte de fuir le sujet. Cameron fait partie intégrante de ma vie. Je peux parler de nous à un ami.
-Donc je ne risque pas de me faire casser la gueule parce que j'ai bu un chocolat chaud avec toi ? ricane-t-il gentiment.
-Non, rassure-toi.
-Parce que je suis certain que je ne serais pas le premier.
-Oui, avoue-je. Mais il ne te touchera pas, je te le promets.
-Cool.
-Je sais que Cameron peut paraître intimidant mais il n'est pas méchant. Il est simplement...méfiant.
-Je peux comprendre, oui. Je voulais seulement m'assurer que vous n'aurez pas de problème à cause de moi. Je ne suis pas du genre à mettre la pagaille dans un couple.
-Je sais, Seth. Tu n'as pas à t'inquiéter.
J'apprécie énormément son attention envers moi mais surtout envers Cameron. Il se montre si prévoyant. Je ne pense pas que tout le monde penserait à ce genre de chose. Il est si attentionné qu'il veut s'assurer que notre rendez-vous ne sera pas la cause d'une dispute. Sa compagnie m'est de plus en plus agréable et mon image de Seth se parfaire. Ce garçon est a véritablement un bon fond.
-Génial, dit-il. J'adore les urgences mais en tant qu'étudiant, pas en tant que patient.
-Arrête tes bêtises, m'esclaffe-je.
-Bon, O-K. J'arrête, j'arrête.
En plus d'être gentil et attentionné, Seth est capable d'être drôle. J'aime beaucoup sa personnalité. Je le trouve différent des personnes que je côtoie déjà. Ça me fait du bien de créer une nouvelle amitié qui ne ressemble pas à celles qui sont déjà présentes dans ma vie. Ce changement est agréable. Je suis sur le point d'agrandir mon cercle d'amis.
-De toute façon, je ne suis pas sûr que ce soit de Cameron dont je devrais avoir le plus peur, en fait.
Je ne comprends pas tout de suite où il veut en venir.
-Pourquoi est-ce que tu dis ça ?
-Ben, j'ai entendu dire que tu étais en voie de te lancer dans le catch.
-Qu'est-ce que...
-J'ai eu Sam au téléphone cette semaine et il m'a parlé de la soirée d'Halloween.
Oh. La. Honte.
-Il t'a parlé de la bagarre, c'est ça ? grimace-je.
-Oui.
Le sourire de Seth se veut rassurant mais je suis rouge de honte. Je ne pensais pas qu'il serait mis au courant de cet incident. Je ne regrette pas le moins du monde ce que j'ai fait mais, maintenant que j'ai largement dessoûlé, je n'en suis pas fière. J'avoue que ça m'a fait un bien fou de frapper Summer mais je ne veux plus jamais me comporter ainsi. Je ne suis pas quelqu'un de violent. J'ai craqué ce soir-là. Ça ne doit plus se reproduire. J'ai réglé mes comptes. Hors de question d'en arriver là encore une fois. Je ne suis pas décidée à réitérer l'expérience.
-Détends-toi, Em. Pas besoin de faire cette tête-là.
-J'ai honte qu'il t'ait raconté ça. J'ai dépassé les bornes ce soir-là. Tu n'aurais jamais dû le savoir.
-A ce qu'on m'a dit, cette fille le méritait.
Seth prend le sujet avec le sourire. Il semble même s'en amuser tout particulièrement. Je n'ai pas l'air fière à côté de lui.
-Oui peut-être mais ce n'est pas une raison. Ne va pas croire que c'est dans mes habitudes de frapper les gens. J'étais seulement jalouse et j'avais bu. Je n'ai pas réussi à me contrôler.
-Aussi jalouse que Cameron alors.
-Non, me défends-je. Pas à ce point-là. C'est juste que Summer a passé cette dernière année a me pourrir la vie. Je crois que j'avais vraiment besoin de me défouler.
-Tu me racontes ?
Je passe les minutes suivantes à lui conter les frasques de mon ancienne colocataire. Seth me laisse disserter sans intervenir. Il m'écoute d'une oreille attentive alors que je lui fais part de quelques anecdotes scabreuses. Je lui explique vaguement d'où provient cette rivalité entre Summer et moi. J'ai l'impression qu'il me comprend et qu'il ne me juge pas.
-Tu avais une bonne raison de t'en prendre à elle alors.
-Oui mais je n'aurais peut-être pas dû perdre mon sang froid.
-Ça arrive à tout le monde, Emery, rassure-toi.
-Pas à moi. Avant ce soir-là, je n'avais jamais frappé personne.
-Il y a une première fois à tout, rétorque-t-il en haussant nonchalamment des épaules.
J'ai l'impression que Seth à réponse à tout du moment que cela lui permet d'apaiser ma honte ou mon inquiétude.
-Je voulais seulement qu'elle nous laisse tranquille une bonne fois pour toute, avoue-je.
-Et tu n'as pas à t'en vouloir pour ça.
-Tu ne me prends pas pour une folle alors ?
-Ben, j'aurais pu. Après avoir vu la vidéo, j'avoue que j'y ai pensé.
-La vidéo ?! m'écrie-je. Quelle vidéo ?! Oh, bon sang. Dean !
Seth se mord la lèvre pour ne pas rire. Au lieu de ça, il grimace en souriant du coin des lèvres.
-Je n'ose même pas imaginer ce que tu as vu.
-C'était plutôt drôle, en fait.
-O-K, tais-toi. Je ne veux rien savoir.
-En tout cas, tu t'es bien défendu. Tu m'as vraiment surpris. Je ne te pensais pas aussi féroce.
-Pour ma défense, j'avais bu et j'étais vraiment très énervée. Je ne savais pas tout à fait ce que je faisais.
-Tu n'as pas besoin de te justifier, Em. Je ne te juge pas.
Et je sais pertinement qu'il dit vrai.
-En plus, ça me plaît d'être ami avec une descendante de Bruce Lee.
-Allez, stop.
Je clos le sujet en lui assénant une légère tape sur son épaule tandis que nous rions tous les deux de nos idioties.
J'ai la sensation que Seth et moi allons devenir de grands amis.

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