S'ils s'étaient rencontrés en 2007

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Si Amandine et Armando s'étaient rencontrés à quatorze ans, Armando aurait trouvé Amandine insensible et inutilement complexe. A l'époque, il avait l'habitude d'aller, chaque vendredi soir, quand le temps le permettait, se poser sous un arbre du parc municipal pour dessiner. Mais, le vendredi qui a suivi sa rupture avec Séréna, il a préféré s'en abstenir : effrayé de ce qu'on pourrait penser de lui en le voyant si triste. S'il y était tout de même allé ce jour là, il aurait trouvé Amandine en train de chantonner en faisant de la balançoire.

Ce jour là, l'un des professeurs d'Amandine était absent et, terminant exceptionnellement plus tôt, elle avait décidé de saisir l'occasion pour se promener dans ce parc. Elle y était quasiment seule, ses écouteurs sur les oreilles, et, apercevant les balançoires sans personne dessus, elle fut prise d'une soudaine envie d'en faire. A l'abri du regard de quiconque, elle s'était sentie libre et heureuse, se mettant à chantonner à tue tête et laissant ses pensées divaguer. Si Armando avait été sous son arbre habituel pour la voir et l'entendre, il s'en serait agacé.

Armando aurait été là, pleurant intérieurement tout en dessinant sur son carnet des esquisses représentant Séréna. Il aurait entendu ce chant, l'arrachant à sa tristesse d'une façon trop insolente. Il aurait vue cette jeune fille sur les jeux réservés aux enfants de moins de dix ans, et se serait énervé de ce mépris des règlements. Voyant Amandine prendre tant de liberté, agissant comme si elle était seule au monde, il aurait renvoyé sur elle toute la frustration qu'il ressentait de la décision de Séréna. Il aurait tenté sans succès d'ignorer Amandine, finissant par l'interpeller pour lui signaler qu'elle n'avait pas droit d'être là et qu'en chantant ainsi elle pouvait déranger.

Amandine étant de bonne humeur ce jour là, elle ne se serait pas précipitée dans une défense exacerbée mais aurait au contraire saisi avec joie cette occasion de s'expliquer et d'échanger. Elle se serait approchée d'Armando pour s'excuser de ne pas l'avoir remarqué et lui faire part de la joie qu'on pouvait trouver à se comporter comme si le reste du monde n'existait pas. En s'approchant, elle aurait vu son visage triste, ses esquisses, et l'aurait interrogé là dessus. Armando lui aurait confié le récit de son chagrin d'amour, et Amandine n'aurait pas pu se retenir de défendre Séréna.

Amandine aurait tenté d'expliquer à Armando que chaque être humain est libre et doit faire ce qui était le mieux pour lui-même, au point qu'il est quasiment impossible de comprendre totalement quelqu'un d'autre que soi et pourtant quasiment systématique d'être affecté ou offusqué par ses actions. Elle aurait voulu lui faire reconnaître qu'il n'y avait pas de mieux ou de moins bien dans les façons d'être : que l'envie de liberté de Séréna était tout aussi légitime que sa tristesse à lui. Elle aurait maladroitement essayé de le consoler en lui disant que les chances que deux êtres si jeunes puissent rester ensemble malgré leurs changements respectifs étaient de toute façon quasi nulles. Et il l'aurait trouvée absolument insensible.

Armando, à ce moment là, n'aurait pas eu besoin des rationalisations d'Amandine, ou de ses théories emplies de relativisme. A ce moment là, il avait besoin de simplicité : de la simplicité de la relation qu'il avait auparavant avec Séréna, ou au moins de la simplicité d'une épaule sur laquelle pleurer. Mais Amandine n'était pas une épaule sur laquelle pleurer ; pas l'épaule partiale, entièrement de son côté et ne faisant que le plaindre, qu'Armando aurait souhaitée. Il n'avait que faire de mieux comprendre le choix de Séréna : il avait besoin d'abord de se sentir compris lui.

Après avoir quitté le parc, il se serait souvenue d'Amandine comme d'une fille trop dans son propre monde et dans ses propres théories pour vraiment pouvoir comprendre autrui. Et Amandine se serait souvenu de lui comme d'un garçon triste et amer qui préférait se complaire dans ses sentiments que tenter de changer sa vision des choses.

On ne naît pas âmes sœurs, on le devientWhere stories live. Discover now