2005 - Amandine (12 ans)

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Depuis que je suis au collège, j'ai arrêté de participer en classe. Je connais les réponses mais je ne sais pas comment faire : je ne sais pas si je dois lever la main, ou si on parle tous en même temps, ou si on donne la réponse tout seul comme ça quand personne d'autre ne répond. J'ai vu tous les cas de figures. Et ça ne me semble naturel de faire aucune de ces choses. Je trouve ça juste tellement stupide, de participer. Sérieusement, pour quoi faire ? Pour montrer que l'on sait ? Je ne sais même plus pourquoi je participais en primaire. Le maître ou la maîtresse posait une question et j'avais la réponse alors je répondais ; ça me semblait naturel. Mais maintenant je ne vois plus l'intérêt, et ça me fait juste peur. Je sais bien que personne ne fait attention à moi, mais j'ai quand même peur de la façon dont on me verra. J'ai peur qu'ils croient que je réponds pour montrer que je sais, que je me pense meilleure que tout le monde et que je suis prétentieuse.

Et il n'y a pas qu'en classe que j'ai arrêté de participer. Quand je parle avec les autres élèves, j'essaye toujours d'en dire le moins possible. C'est sûr qu'en primaire je ne disais pas grand chose non plus, mais c'est parce que personne ne me parlait. Maintenant, au collège, d'une certaine manière je suis incluse dans les conversations, mais en même temps je n'y suis qu'en filigrane ; je ne suis pas vraiment là. Au début de l'année, je pensais que c'était dû au fait que je n'aime pas révéler des choses personnelles sur moi-même. Mais en fait, c'est plutôt faux, assez faux : extrêmement faux même.

Je n'ai rien contre le fait de révéler des choses sur moi-même : au contraire. Ce que je n'aime pas, c'est révéler des choses potentiellement personnelles sans avoir l'occasion d'expliquer, de nuancer, ... Ce que je n'aime pas, c'est révéler des demi-informations ou des illusions d'information qui donneraient aux gens l'occasion de faire des suppositions et d'interpréter à leur façon. Et, bien entendu, il est rare que je me sente assez à l'aise pour avoir l'impression d'être en droit de parler de façon totalement ouverte. Ou alors, je me dis que si je le faisais ce serait trop long et que je serais en train de monopoliser la conversation alors qu'on s'intéresse à moi juste au même titre qu'à tous les autres. Alors, du coup, je déteste que l'on me pose une question un tant soit peu personnelle et je les évite : parce que répondre en une phrase ce n'est jamais assez sincère, et je n'ai pas vraiment la possibilité de dire plus. Après tout, ça ne les intéresse probablement pas et s'est certainement juste par politesse qu'ils font mine de m'inclure.

Ce qui me fait peur, en fait, c'est de ne pas pouvoir avoir de contrôle sur la façon dont les gens me voient. Qu'ils me voient telle que je suis et jugent à leur manière, c'est une chose. Mais qu'ils croient savoir qui je suis quand il n'en est rien, qu'ils aient une image complètement éloignée de qui je suis vraiment, c'est effrayant. En vérité, ça me terrifie. Alors je préfère ne rien dire, pour qu'ils ne se sentent pas en droit d'en déduire quoi que ce soit. Je préfère me cacher, mais au final ça vient plus d'un désir d'authenticité que de son opposé.

J'ai une peur maladive que les gens me trouvent prétentieuse ou orgueilleuse. Et, ironiquement, quand je m'interdis de leur parler pour qu'ils ne pensent pas que je me crois intéressante, ça leur donne une raison supplémentaire de me penser orgueilleuse. Je ne suis pas chaleureuse, je suis secrète, alors ils pensent que je me crois supérieure. J'ai déjà surpris dans des conversations que je n'étais pas censée entendre : « Amandine elle se croit trop bien pour nous parler. » Non, mais vraiment ? Si je parlais, on me penserait prétentieuse. Et si je ne parle pas, pareil. Je suis perdante à tous les coups.

J'en ai fini par arriver à me demander si ce n'était pas un peu vrai, que je suis prétentieuse : vu que tout le monde semble le penser. Pourtant, je ne suis pas vraiment du genre à me vanter de mes succès : je vais plutôt avoir tendance à penser que ce n'était pas grand chose ou que j'ai eu de la chance. Je n'ai pas l'impression d'avoir du mérite, pour mes notes ou pour mes pensées, parce que tout ça me vient vraiment sans aucun effort. Je ne me pense pas supérieure, et je ne me crois pas trop bien au point que les autres ne méritent pas que je leur parle. C'est n'importe quoi ! C'est tout l'inverse. C'est moi qui n'ai pas assez confiance en mes aptitudes sociales ou dans le fait que les gens vont m'apprécier pour pouvoir oser aller véritablement vers eux.

On ne naît pas âmes sœurs, on le devientWhere stories live. Discover now