2009 - Amandine (16 ans)

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Je me sens seule. Pourtant, en entrant au lycée, je me suis fait un petit groupe d'amis bien soudé. Mais malgré ça je me sens seule. Pas parce que je n'ai pas d'amoureux (même si peut-être qu'après tout ça rentre en ligne de compte) : ce n'est juste pas ma priorité. J'ai juste trop peur, je crois. Thibault, mince alors ! Qui aurait-dit qu'un jour je tomberais amoureuse de lui ? Le temps a passé, bien passé depuis l'époque où je le détestais : on a changé tous les deux, on s'est rapprochés, et j'ai commencé à développer des sentiments. Juste assez pour être incapable à présent de tomber amoureuse de quelqu'un d'autre, mais pas assez pour être capable de lui parler de mes sentiments. Le Lundi, je suis heureuse d'aller en cours ; pas seulement parce que j'aime apprendre, mais aussi et surtout parce que je sais que je vais le voir lui. Et d'une certaine façon ça me suffit : d'être sa meilleure amie, de bénéficier chaque jour de ses anecdotes, de ses sourires, de ses blagues, ... Je suis probablement stupide, mais je ne me sens juste pas prête à lui en parler, et d'une certaine manière je suis déjà heureuse de ce que l'on a.

Si je me sens seule, ce n'est pas parce que je n'ai pas d'amoureux. Je n'ai pas besoin d'un amoureux. Mais j'ai besoin de quelqu'un avec qui être entière. La solitude que je ressens, c'est celle qui vient de la difficulté à partager mon intériorité. La solitude de "seule et incomprise", deux mots souvent associés, comme s'ils signifiaient somme toute un peu la même chose. C'est la solitude que j'ai ressentie pendant très longtemps ; celle que j'avais acceptée comme une sorte de fatalité avant de réaliser que je n'ai pas à m'en satisfaire. Chercher à partager, à communiquer vraiment, à être connue telle que je suis réellement : pourquoi n'y aurais-je pas droit ? Ne serait-ce pas injuste que de ne pas y avoir droit ? Mais ce n'est pas simple, parce que cette forme de communication ne semble pas être ce que la plupart des gens attendent. Et, bien souvent, je ne peux pas faire autrement que penser que ça les embête ou qu'ils n'en ont rien à faire. Mais il est certain que je ne peux pas me satisfaire de ce que j'ai quotidiennement, et que je suis obligée de croire qu'un autre type de communication, plus réel, plus entier, est possible.

Parce que je n'ai pas grand chose d'autre que mon monde interne et je ne suis pas grand chose d'autre que lui ; alors j'ai besoin de le partager. Il y a quelque chose de très égoïste dans l'idée d'une vie vécue seulement pour moi à l'intérieur de moi, et quelque chose de très triste aussi. Pourtant, c'est vrai que, même avec mes meilleurs amis, je ressens ce déficit dans la communication. Thibault est celui avec qui j'arrive à me rapprocher le plus d'un vrai lien. Mais il manque toujours quelque chose. Et, honnêtement, je pense que ce qu'il manque dans la possibilité de communiquer d'une façon totale n'a pas grand chose à voir avec l'amour. C'est juste une capacité distincte, qui semble beaucoup plus facile à acquérir pour les autres que pour moi. Il y a quelque chose en moi, Amandine, qui semble beaucoup trop difficilement communicable, ou qu'ils semblent tous avoir du mal à voir et à entendre. Je ne suis probablement pas la seule à ressentir ça, mais je semble la seule de ma connaissance à en souffrir autant.

Et puis je ressens aussi une deuxième forme de solitude. Celle qui vient du fait de grandir et de réaliser que personne n'est infaillible. Réaliser que personne ne sait vraiment ce qu'il fait et que les gens sont tout aussi perdus les uns que les autres (sauf bien sûr ceux qui ne se remettent jamais en question). Au final je n'ai complètement confiance en personne : peut être que les gens dans mes groupes de travail ne sont pas plus capables que moi, peut être que sur certaines choses j'ai plus raison que mes parents, peut être que les profs nous fournissent une vision biaisée des choses,... Et, il y a quelque chose d'assez effrayant dans la réalisation qu'il n'y a personne de cent pourcents admirable, personne qui ait réponse à tout,... Je réalise que l'infaillibilité est un idéal impossible que je ne pourrai jamais atteindre, et qu'en même temps je ne peux compter que sur moi-même ; que je n'ai personne à qui me raccrocher. Pas parce que je suis meilleure que les autres, mais parce qu'ils ne sont pas non plus meilleurs que moi que tant de choses sont subjectives, faisant de moi la seul à pouvoir trouver les réponses qui s'inscriront parfaitement dans ma propre façon de penser et de vivre. C'est effrayant mais au fond j'aime assez cette idée. Je n'ai jamais aimé le concept de mentor, de modèle, de maître à penser : il sonne très sectaire, dictatorial ou manipulatif. Je suis pour l'idée de développer ma propre façon de penser, et de chérir mon unicité. Mais je me sens seule.

On ne naît pas âmes sœurs, on le devientWhere stories live. Discover now