S'ils s'étaient rencontrés en 2011

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Si Amandine et Armando s'étaient rencontrés à dix-huit ans, leurs nerfs n'auraient pas permis que ça puisse fonctionner entre eux. Lors de sa dernière année de lycée, Armando arpentait les salons de l'orientation dans l'espoir d'y avoir une révélation concernant sa voie. Amandine avait hésité à se rendre à l'un deux, consciente de n'avoir pas connaissance de bien des possibilités enthousiasmantes qui existaient pour elle. Elle avait au final décidé de suivre son intuition l'appelant vers les sciences de l'éducation, sans prendre la peine d'étudier toutes les autres options : elle pensait qu'il était absurde de chercher à faire le meilleur choix possible, et celui qu'elle avait en tête lui plaisait bien assez. Mais, sur un coup de tête et par simple curiosité, elle aurait quand même pu choisir de se rendre à ce salon.

Sur place, les seuls stands qui avaient donné à Armando l'envie de s'en approcher de plus près tournaient autour du graphisme. Mais Amandine, elle, aurait pris la peine de s'approcher d'à peu près tous les stands, ou de plusieurs au hasard, même si les domaines ne l'intéressaient pas à première vue. Et, face à celui de la future école d'Armando, elle serait restée un peu plus longtemps, intriguée pas par ce que celui qui tenait le stand avait à dire, mais par la manière dont il le disait. Elle aurait vu Armando s'inscrire sur une fiche et embarquer toute la documentation disponible, et lui aurait demandé comment il pouvait rester intéressé malgré l'air blasé et l'enthousiasme niveau zéro du présentateur qui parlait comme un robot. Si c'était cette passion que les profs parvenaient à insuffler à leurs élèves, ça ne donnait vraiment pas envie !

Amandine aurait été excitée comme une puce, fascinée par la façon dont les différentes écoles cherchaient à attirer les élèves et à parler de leurs objectifs ou de leurs pratiques pédagogiques. Elle aurait été là, curieuse et l'esprit léger, face à un Armando tendu au possible, ayant l'impression que sa vie entière se jouait ce jour là comme tous les autres week-ends où il participait à des forums de ce type. Autant dire qu'il aurait été un peu sur la défensive ; expliquant à Amandine que ce qui comptait était de trouver la voie et la discipline pour laquelle on était fait, sans se laisser distraire par des éléments sans valeur comme la personne choisie pour représenter l'école.

Amandine, toute guillerette, n'aurait pas remarqué l'attitude braquée d'Armando, toute son attention braquée sur ce qu'il disait. Elle aurait souhaité répondre sur tous les plans : sur le fait qu'il n'y avait pas de voie pour laquelle on avait été fait, sur la façon dont les hasards tels que le choix d'une personne plutôt qu'une autre pour présenter pouvaient impacter notre vie, et aussi sur le fait qu'Armando n'avait pas tort de la reprendre. Il avait raison sur le fait que généraliser comme elle l'avait fait n'était peut-être pas justifiée, et que cet élève blasé pouvait bien être une exception et ne rien dire de la capacité de l'établissement à susciter l'enthousiasme. Elle aurait cherché à dire tout ça à la fois, et Armando ne l'aurait écoutée que d'une oreille : trop pressé de poursuivre son étude des différents stands, mais trouvant aussi que cette fille racontait n'importe quoi.

Il aurait entendu d'une oreille Amandine dire qu'il n'y avait pas de bons ni de mauvais choix, et aurait jugé ça absurde au possible. Il aurait trouvé effarant qu'elle puisse être en paix avec l'idée de faire un choix en se laissant influencer par le hasard, et ne pas chercher à en savoir le plus possible sur chacune des options existantes. Et surtout, il aurait estimé absolument irresponsable de s'intéresser plus à ce genre d'idées, d'observations et de discussions, qu'aux décisions concrètes et décisives qu'il y avait à prendre aujourd'hui ou dans les semaines qui allaient venir.

Armando n'aurait pas laissé à Amandine le temps de lui expliquer profondément ses théories, qui auraient pourtant peut-être pu l'aider à vivre cette période avec moins d'angoisse. Elle, elle aurait été un peu vexée de s'être laissé rabattre le caquet après avoir fait l'erreur impardonnable d'une généralisation abusive, et un peu frustrée de ne pas avoir pu poursuivre sa conversation avec ce garçon qui lui semblait à la fois avoir des idées intéressantes et des superstitions à détruire. Mais elle n'y aurait pas pensé trop longtemps, plus intéressée encore par toutes les observations qu'elle pouvait avoir à faire dans ce salon qui était en quelque sorte un étalage de tout ce qui se faisait en matière d'éducation. Elle serait repartie de là plus convaincue que jamais que ce domaine pouvait la passionner, et fourmillant déjà d'idées sur ce qui devrait être amélioré.

On ne naît pas âmes sœurs, on le devientМесто, где живут истории. Откройте их для себя