2013 - Amandine (20 ans)

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C'est comme s'il y avait deux Amandines en moi : une pleine de stress et d'angoisse, et une autre qui prend du recul et se sent en accord avec ses choix. Je ne sais pas laquelle est la vraie, je ne sais pas laquelle est vraiment moi ; peut-être les deux au final. Non, je ne peux pas nier que je suis une personne stressée, que le rapport que j'ai avec le temps est étrange. Mais, en même temps, je ne suis pas si stressée que ça ; par rapport à ma vie et à mes décisions, je suis en paix. En fait, pour les petits trucs sans importance, je suis probablement plus stressée qu'une personne normale, mais, par rapport aux choses véritablement décisives, je le suis beaucoup moins. Et n'est-ce pas surtout ça qui compte au final ?

Quand je suis à la fac pendant la journée, à courir d'une activité à l'autre, à vouloir rentabiliser chaque moment et à faire les choses au plus vite, j'ai peut-être l'air stressée mais en même temps je me sens pleinement vivante. Quand je prends conscience que je stresse tout le monde dans les travaux de groupe et qu'il n'est probablement pas agréable du tout de travailler avec moi, j'ai envie de m'excuser, de dire « Je ne suis pas comme ça en vrai, c'est juste parce que je suis stressée ». J'ai envie de le dire et je le dis, comme un réflexe, une habitude, mais je ne suis plus si sûre que ça que ce ne soit pas un mensonge. Oui, je suis comme ça en vrai. Oui, j'aime être efficace, faire plusieurs choses à la fois, et je ressens une étrange satisfaction à faire les choses à la fois vite et bien. Ce n'est pas que le stress, la peur de manquer de temps, l'envie de me débarrasser au plus vite de la réalité et de ses exigences pour pouvoir retourner me réfugier dans mon internalité. Bien sûr que c'est en partie ça ; mais pas seulement. C'est aussi moi : l'envie d'agir et de produire au rythme de ma pensée et de ma réflexion, à un rythme qui au final est le mien. Peut-être que ce n'est pas celui des autres et que vouloir leur imposer serait un tort, mais vouloir l'adopter moi-même est peut-être quand même un droit. En tout cas, j'en ai assez de ressentir le besoin de m'excuser pour ça.

La véritable angoisse, c'est à dire la peur de faire de mauvais choix : je ne la ressens quasiment plus depuis que j'ai réalisé qu'il n'existe pas de mauvais choix. Je peux choisir n'importe quoi parmi ce qui m'attire, me ressemble, est en accord avec moi-même : ce sera forcément un bon choix. Quelque soit l'option choisie, il y aura forcément du bien et du moins bien, forcément quelque chose de gagné et quelque chose d'autre auquel j'aurais renoncé. Peut être qu'avec un autre choix, le ratio bien sur moins bien aurait été légèrement différent, mais, honnêtement, qu'est-ce que j'en ai à faire ? Je ne le saurai jamais, alors à quoi bon chercher à le deviner et commencer à m'en soucier ? La seule chose dont j'ai à me soucier, c'est de tirer le meilleur parti du choix que j'ai fait, une fois que je l'ai fait. Et, avant de choisir, avoir conscience du fait que j'aurai cette perspective dans l'avenir rend le dilemme beaucoup moins difficile. Je sais que tout ce dont j'ai besoin, c'est de faire un choix ; peut importe lequel, ce qui compte c'est juste de trancher. Je ne me sens jamais moins bien après avoir fait un choix ; toujours mieux. Je ne déteste rien autant que l'incertitude, et, peu importe ce que j'aurais choisi, j'apprendrais à m'en satisfaire.

Ce qui compte, c'est d'avancer, d'écrire son destin. Le destin, ce n'est pas quelque chose de prédéterminé, c'est juste ce qui est arrivé. Le destin, c'est juste la succession d'évènements et de choix à priori importants et à priori anecdotiques, qui ont fait que tu en es arrivé là où tu en es à un moment donné. Il me semble évident que chaque chose, aussi importante qu'elle soit, ne tient qu'à un fil, et que ce fil peut être un élément significatif comme un élément trivial. Avec le recul, on peut se dire d'à peu près chaque composante, aussi minime soit-elle, « si cette chose avait été différente, je n'en serais pas là où j'en suis aujourd'hui ». Si ce petit évènement n'avait pas eu lieu, je ne serais pas là et surtout je ne serais pas moi, je ne serais pas la personne que je suis aujourd'hui. Est-ce que ça serait mieux ou moins bien, qui sait ? Est-ce que l'on se pose vraiment la question ? Est-ce qu'il existe vraiment une réponse ? C'est assez difficile de s'imaginer être autre part, faire autre chose, avoir une vie complètement différente, être quelqu'un de complètement différent. Et c'est encore plus difficile de se l'imaginer sans avoir de regrets pour ce que l'on perdrait.

Je n'ai des regrets concernant ma vie actuelle que quand je m'imagine changer un élément qui ne me plaît pas sans prendre en compte les autres éléments qui auraient changé avec. C'est mépriser les lois de la causalité, qui sont telles que je ne ne peux rien savoir de ce qu'aurait été tel ou tel chemin. Je peux prédire les grands points mais je ne peux pas voir toutes les connexions et tous les changements qui se serraient associées. C'est juste inimaginable : la personne que j'aurais aurait été si... Je peux essayer de l'imaginer mais je n'aurai jamais une vraie réponse. Alors est-ce que je peux vraiment dire que l'on regrette quoi que ce soit, une fois à long terme ? Quand je ne sais pas ce que ça implique, que je ne voix pas les ramifications ? Peut-on vraiment le dire en connaissance de cause ? Je ne crois pas au fond, ou alors dans les cas extrêmes, ceux où l'on sait que notre situation actuelle est tellement horrible que n'importe quelle autre situation aurait été mieux. Heureusement, je ne suis pas du tout dans ce cas là.

Je suis dans le cas où j'en suis arrivé à un stade de ma vie où je me sens bien avec moi-même ; les éléments de ma vie et de la succession de mes pensées ont fait de moi celle que je suis aujourd'hui. J'ai cette philosophie qui me permet d'envisager ma vie avec sérénité et d'accepter mon histoire et ma personnalité dans toutes ses composantes. Il-y-a encore beaucoup de choses que j'aimerais voir changer en moi et dans ma vie, mais j'ai encore le temps pour ça et je ne suis pas si mal lotie que ça. Alors, certes, à me voir vouloir changer on pourrait s'imaginer que je ne me sens pas bien avec moi-même et à me voir courir dans tous les sens on pourrait s'imaginer que je ne suis pas satisfaite de l'endroit où je me trouve : il n'y aurait rien de plus faux. Je peux à la fois être satisfaite de moi et continuer de vouloir m'améliorer, aimer ma vie et vouloir qu'elle ne reste pas la même pour toujours. J'ai envie de voir quel sera le destin que je créerai ; ce n'est pas la peur de ne pas savoir, pas l'angoisse, mais juste l'envie de découvrir.

On ne naît pas âmes sœurs, on le devientWhere stories live. Discover now