On ne naît pas âmes sœurs, on le devient

2004 - Amandine (11 ans)

Je suis pressée d'être au collège. Peut-être que là-bas j'arriverais à me faire des amis. Ici, j'ai l'impression qu'ils se sont tous mis en tête que je suis une insupportable pimbêche. C'est Thibault qui a dit ça. Enfin non, il a dit « Moi je ne crois pas que tu es une insupportable pimbêche », ce qui signifie que d'autres le croient. Insupportable pimbêche : c'est vraiment méchant. Ça veut dire quoi déjà ? Ils ne comprennent juste pas qu'on puisse aimer l'école je crois. Aimer apprendre, c'est quelque chose qui de tellement étrange à leurs yeux qu'ils ne peuvent que de détester les gens comme moi. Ils ne me comprennent pas alors ils se moquent. Ils pensent que je suis bête de croire que l'école c'est cool, alors que c'est eux qui sont trop bêtes pour voir qu'apprendre peut être amusant.

J'espère qu'au collège les élèves seront un peu plus matures et qu'alors ça ira mieux. Sauf que ceux qui sont là avec moi sont les futurs collégiens, donc ça semble mal parti vu tout le manque de maturité qu'il leur reste à combler d'ici la fin de l'année. Je ne suis pas une insupportable pimbêche. Je m'en fiche de ce qu'ils pensent de moi. C'est clair que je ne vais pas venir à l'école pour les amis, vu que je n'en ai pas. Alors autant que je profite au maximum des cours et de tout ce que je peux apprendre, histoire qu'il y ait quand même quelque chose de bien dans mes journées. Je ne vais pas laisser ces idiots me gâcher la vie. Pendant les récrés, je lis tranquillement au lieu de quémander leur amitié et de les supplier de jouer avec moi. Je crois que ça les énerve encore plus, mais je m'en fiche. Je m'en fiche parce que je sais que tout ça va finir. L'école primaire sera terminée et je passerai à autre chose. Je ne sais pas quoi ni comment, mais bon, de toute façon ici mon image est fichue ça ne sert à rien d'essayer d'y faire quelque chose. Je compte les mois qu'il reste et, pour faire passer le temps, je regarde dans les pages des manuels scolaires toutes les choses qu'il me reste encore à apprendre.

Je vais changer d'école et personne ne me connaîtra ; je pourrais avoir l'image que je veux. Il ne me reste qu'à choisir laquelle. Et à faire attention à Thibault. Parce que, bien sûr, le seul élève qui va dans le même collège que moi est justement celui que je déteste le plus. Et ça serait bête qu'il répande dans le collège la mauvaise image que tout le monde a de moi ici. Mais je ne sais pas s'il serait capable de ça. Je ne pense pas qu'il me veuille du mal ; il aime juste trop m'embêter.

Il essaye de faire la compétition avec moi sur les notes, même si c'est sûr qu'il ne gagnera jamais. Pendant les récrés, quand je lis tranquillement un livre, il vient me déranger en me tirant les cheveux. Il se moque de moi en disant que je suis en train de jeter un sort dès que j'emploie un mot un peu compliqué. Maman dit qu'il fait ça parce qu'il est amoureux de moi ; mais si son amour c'est ça alors c'est clair et net que je n'en veux pas. Ce qui me rend triste, c'est qu'en fait Thibault, justement celui que je ne supporte pas parce que c'est juste un idiot immature, c'est probablement la personne de la classe dont je suis le plus proche. En tout cas, c'est le seul qui s'intéresse à moi et ne fait pas que m'ignorer.

Ironiquement, ils ont créé un cercle vicieux. Ils m'ont laissée de côté parce que j'aimais l'école, et ça me pousse à encore plus aimer l'école, vu qu'au moins, elle, elle ne me laisse pas de côté. Je suis nulle en amitié, mais je suis forte à l'école. J'ai besoin de quelque chose qui me donne envie de me lever le matin, me donne de l'énergie, et me permette de garder le sourire et la motivation. J'ai besoin de quelque chose dont pouvoir être fière. Et c'est justement parce que je sais que j'ai de quoi être fière de moi que je suis heureuse malgré la solitude. Ils ont beau me détester ou m'ignorer, tant que moi je m'aime bien, ils ne peuvent pas vraiment me faire du mal. Moi, je sais qu'il n'y a rien de mal à être intelligente, quoi qu'ils en pensent !