On ne naît pas âmes sœurs, on le devient

2003 - Amandine (10 ans)

On me trouve chiante, je crois. J'ai mis longtemps à le comprendre. Et en fait je ne le comprends toujours pas vraiment. Je ne suis pas méchante. Je ne demande qu'à me faire des amis, mais je ne dois pas faire comme il faut. Dans un exercice de grammaire, une des phases en exemple c'était « Sans amis, la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. » En lisant ça, j'ai failli me mettre à pleurer en plein milieu du cours. C'est n'importe quoi ! Il-y-a plein d'autres choses intéressantes dans la vie. Mais c'est vrai que ça serait sympa d'avoir de vrais amis.

En CP et CE1 j'avais une meilleure amie, mais depuis qu'on n'est plus dans la même classe je ne la vois presque plus. L'année dernière j'essayais encore de la retrouver à la récré, mais j'ai fini par abandonner. Je vois bien qu'elle s'est fait d'autres amis, et je n'ai pas envie de m'imposer ; j'ai toujours l'impression de déranger. Des fois je me demande si elle m'aimait vraiment bien ou si on est devenues amies juste parce qu'on a été placées côté à côte en CP.

Je ne sais pas si je peux considérer les gens de ma classe comme des amis. Il y a un petit groupe avec lequel je suis plus ou moins amie. Ils m'intègrent dans leurs jeux à la récré et je mange avec eux à la cantine, mais je me sens toujours un peu à côté de la plaque. Des fois le mercredi ils font des choses sans m'inviter. Des fois ils parlent entre eux à voix basse et je n'ose pas m'approcher parce que ça semble secret et je sens que je ne suis pas la bienvenue.

Pour mon anniversaire, j'ai invité toute la classe. J'ai invité toute la classe parce que j'avais trop peur de commettre une maladresse. J'avais peur que ceux que je n'invite pas soient vexés, si je me mettais à faire une sélection. Mais surtout, j'avais peur que si je n'en invite que certains ils pensent que je pense qu'ils m'aiment bien et qu'on est amis. J'aurais trop honte d'avoir pensé que quelqu'un se considère comme mon ami et m'apprécie alors qu'en fait c'est pas le cas. Je n'étais pas prête à prendre ce risque, alors j'ai invité toute la classe. Mais il n'y a que dix personnes qui sont venues. J'ai même dû inviter Thibault, alors que je le déteste. Et le pire c'est qu'il est venu, mais ça c'était sûr ; il aime trop m'embêter.

Les autres enfants, dès que je suis avec eux, j'ai l'impression de déranger. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi. Maman dit qu'ils font ça parce qu'ils sont jaloux. Elle dit qu'ils sont jaloux parce que je suis plus maligne qu'eux, mais moi je vois bien qu'ils n'ont pas du tout envie de devenir plus malins qu'ils ne sont. Non non, ils sont très contents comme ça et ils ne m'envient pas un instant. Ils me trouvent bizarre juste. Je ne sais pas exactement ce qui me rend bizarre, mais je sais que je le suis.

Thibault il dit « Amandine, t'es bizarre avec tes couettes et tes chouchous dépareillés », mais moi je sais bien que ce n'est pas ma coiffure qui me rend bizarre. Je l'aime bien cette coiffure moi, et puis les couleurs de mes deux chouchous sont assorties aux couleurs de ma tenue alors ce n'est pas dépareillé du tout. Je n'ai pas envie de changer de coiffure : je me trouve jolie comme ça et de toute façon ça ne m'apporterait pas un seul ami de changer de coiffure.

Ce qui me rassure vraiment, c'est que si je suis bizarre c'est exactement de la même façon que les héroïnes de bouquins. Dans les livres, l'héroïne elle n'a jamais beaucoup d'amis elle préfère lire et les autres la trouvent bizarre. Puis un jour, elle rencontre celui qui verra qu'en fait elle n'est pas moins bien que les autres et qu'au contraire même elle est différente en mieux. Moi je pense qu'à dix ans on est beaucoup trop jeune pour rencontrer l'Amour. Il y a des élèves qui sortent ensemble mais on sait bien que ça ne va pas durer. C'est trop jeune dix ans pour pouvoir être amoureux pour de vrai. Mais, en attendant d'être plus grande et de trouver l'Amour, j'aimerais bien avoir des amis qui sont capables de m'apprécier à ma juste valeur.