Chapitre 25 : Importance

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Airy regardait le visage encore rougi par l'effort de Gabriella. Ses tâches de rousseurs ressortaient ainsi, mettant encore plus en valeur ses yeux verts. Il n'était pas censé faire de telles comparaisons mais il ne pouvait s'empêcher de penser que passer la nuit avec sa servante ou avec la princesse Odile n'avait rien à voir. Et il ne fallait pas être dupe pour deviner avec qui il préférait être.

Il caressa lentement sa cuisse de son doigt.

- Cela a été aujourd'hui, pour changer les draps ?

C'était le premier jour où la domestique reprenait le travail depuis l'incident. Elle avait pris bien plus de temps que nécessaire mais Airy avait absolument tenu à ce qu'elle se repose durant deux longues semaines. La servante releva le visage vers lui, étonnée.

- Oui, bien sûr, répondit-elle comme une évidence.

- Tu aurais pu te sentir mal à l'aise dans la tour.

- Oh, ça... Et bien je me suis tenue éloignée de la meurtrière et ça a été.

La main du souverain remonta le long de son corps et vint effleurer sa joue.

- J'ai eu vraiment peur... confessa-t-elle pour la première fois.

Gabriella n'avait pas beaucoup parlé de son agression depuis qu'elle avait eu lieu. Airy se doutait que tomber ainsi du haut de la tour avait dû la marquer, mais jusqu'alors, elle n'avait jamais rien dit sur ce qu'elle avait ressentie. De façon générale, depuis qu'il connaissait la jeune femme, il ne l'avait jamais vraiment entendu parler de ses sentiments ou ses pensées. Encore plus au moment de leur rencontre où elle s'écrasait totalement devant lui, mais même désormais alors que leur relation était plus intime.

- Je sais.

Il la prit dans ses bras.

- Cela n'arrivera plus. J'aurais dû davantage me renseigner sur son Altesse avant de proposer ses fiançailles, je ne referai pas la même erreur la prochaine fois.

Les poils de Gabriella se hérissèrent. La prochaine fois. Elle le savait. Elle le savait depuis le début. Le roi allait devoir trouver une nouvelle épouse. Comme elle savait depuis le début qu'il serait intime avec Odile une fois arrivée au château. Mais son cœur se pinçait tout de même.

- Peut-être que c'était une erreur, je ne devrais pas être aussi intime avec toi, souffla-t-elle.

L'étreinte d'Airy se desserra. Il éloigna son visage pour mieux la regarder.

- A cause de ce qui est arrivé avec son Altesse de Satbourg ? Gabriella, je te l'ai dit, je ne laisserai pas une telle chose se reproduire.

- Ce n'est pas ce que...

La jeune femme secoua la tête et se redressa sur le lit. Quelques mois auparavant, elle aurait été gênée que le roi pût ainsi voir sa poitrine, mais elle était plus à l'aise désormais. Il était justement là, le problème : elle était devenue trop à l'aise.

- Gabriella, parle-moi.

Afin de se donner du courage, la domestique inspira une grande bouffée d'air frais.

- Tu es roi, finit-elle par dire. Je sais que tu dois te marier et je suis d'accord avec ça. Mais... Mais je dois aussi penser à moi. Je n'ai pas envie d'être la femme de l'ombre en permanence. Ou celle que tu laisseras quand tu n'en auras plus besoin.

A son tour, le noble s'assit sur le lit et attrapa une mèche de cheveux bouclés de son amante.

- Je suis sincère avec toi, je n'ai...

- Je n'en doute pas, le coupa-t-elle.

C'était peut-être la première fois qu'elle lui parlait ainsi. Même en le tutoyant, Gabriella n'avait jamais oublié qu'il était son souverain et avait toujours essayé d'agir en fonction. Mais avec l'arrivée de la princesse Odile dans leur vie, elle avait pris le temps de réfléchir. Réfléchir à ses sentiments, à son rôle de servante, à ce qu'elle voulait. Jusqu'alors, elle n'avait jamais pensé à la vie qu'elle souhaitait mener, au mari qu'elle désirait trouver. Elle ne savait même pas si elle en voulait un ! Mais après avoir compris l'étendue de son amour pour le roi, elle y avait songé et avais mis des mots sur ses envies.

- Ce n'est pas de cela que je veux. Je veux... Je veux être un premier choix. Je sais bien que je ne peux être le tien : je suis une servante, tu gouverne un royaume ! Mais je mérite d'être un premier choix. Alors à défaut de pouvoir être avec toi, je veux être le premier choix de quelqu'un d'autre.

Pendant un instant, Airy se tut. Il ne s'attendait pas à ce que leur nuit passionnée se terminât sur une discussion aussi importante. En fait, il ne s'attendait pas à avoir cette discussion du tout. Pas avec Gabriella, toujours si passive et discrète.

- Tu n'apprécies plus ma compagnie ? demanda-t-il finalement.

Elle secoua négativement la tête.

- Non, ce n'est pas ça. J'éprouve un immense attachement à ton égard. Mais aussi grands mes sentiments soient-ils, notre relation me fait souffrir.

Le roi ouvrit la bouche et la referma sans prononcer un son. Gabriella s'approcha de lui et attrapa ses mains dans les siennes.

- Après t'avoir vu avec son Altesse, je me suis sentie terriblement blessée. Je n'avais pas réalisé jusqu'alors l'amour que je te portais. Tu as beaucoup de qualités qui me comblent de bonheur quand je suis avec toi : tu es intelligent, gentil, beau... Je pensais d'ailleurs que te voir autant à l'écoute de mon consentement était une preuve amplement suffisante pour me dire que nos rapports étaient sains. Tu avais beau être un roi et moi ta domestique, je me sentais respectée. Mais je pense que je me trompais.

- Si je t'ai offensée, je m'en excuse, je...

- Il ne s'agit pas de cela, tu n'as rien à te reprocher. D'ailleurs, je ne regrette point ce qu'il a pu se passer entre nous quoique j'ai pu penser à un moment ou à un autre. Tu as été formidable mais quoique tu pourras dire ou faire, je resterai toujours l'amante d'un soir. Et je ne veux pas être l'amante d'un soir Airy. Je veux être la femme d'une vie.

C'était la première fois qu'elle utilisait son prénom, et le fait que ce fût dans ce contexte brisait le cœur du mentionné.

- Je ne peux pas être la femme de ta vie Airy, parce que je ne suis qu'une servante.

Elle lui sourit.

- Je serais toujours la femme qui devra te voir avec une autre parce qu'elle est une princesse, une duchesse, une comtesse. Je serais toujours la femme qui ne pourra être là que quand les autres ne le sont pas. Et je sais que je mérite mieux que cela. C'est toi qui m'a fait comprendre que je méritais mieux que cela. Parce qu'on m'avait toujours regardée comme un animal de foire ou la dame de compagnie d'un homme. Toi, tu m'as regardée moi. Peu importait mon statut ou ma couleur de cheveux. Tu m'as appréciée pour ce que j'étais vraiment. Et je t'en remercie infiniment mais aussi dur que cela soit, je dois admettre que tu ne peux pas me donner plus. Je veux au moins être une femme à côté d'un homme. Pas derrière lui et son rang. Tu comprends ?

Le roi posa sa main sur son cou et, avec hésitation, posa tendrement ses lèvres sur celle de la jeune femme. Puis, il colla son front au sien et murmura avec peine :

- Est-ce que tu me dis que...

Il laissa sa phrase en suspens. Une larme commença à couler le long de sa joue.

- Sire, je souhaiterais ne plus être votre servante personnelle ou votre amante, finit-elle par admettre.

La Servante du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant