Chapitre 20 : Confrontation

7.4K 731 10
                                    

Gabriella souleva avec peine la panière à linge. Elle avait mal essoré les draps qu'elle venait de laver, et leur poids le lui faisait sentir. Elle décida cependant de forcer sur ses bras pour les amener dans cet état vers les fils d'étendage.

Cela faisait trois jours qu'elle avait surpris le roi avec la princesse Odile. Elle avait beaucoup réfléchi à sa situation. Bien sûr, le fait que le souverain se fût arrangé pour qu'elle ne vît plus la jeune invitée dans son lit – ou peut-être que rien de nouveau ne s'était passé entre ces-derniers depuis la réception mais Gabriella n'y croyait guère – avait aidé. Dire qu'elle avait trouvé la place à laquelle elle pouvait prétendre dans la vie d'Airy aurait été un mensonge : ses sentiments étaient toujours présents. Mais elle arrivait à prendre un peu plus de distance et c'était le principal.

Elle arriva enfin aux fils de linges et posa lourdement le panier au sol. Elle sortit un premier drap qu'elle plaça avec peine sur un étendage, puis fit attention à bien stabilisé le tout pour éviter que le vent ne l'emportât avec lui. Ensuite, elle entreprit de faire la même chose avec les quatre autres draps, les six housses d'oreillers et la couverture de dessus de lit. C'était assez encombrant de devoir laver chacune de ces pièces, d'autant plus qu'elle savait parfaitement qu'avant de dormir le roi retirait tous les coussins, la couverture et deux des draps. Était-ce à ce point nécessaire d'avoir autant de linges purement décoratifs ? Enfin, elle n'allait de toute manière pas se permettre de suggérer de retirer des couches, c'était ainsi pour tous les lits de nobles et elle n'avait pas son mot à dire.

Une fois chacun des tissus étendus sur les cordes de séchage, la jeune servante récupéra sa panière d'osier et se dirigea vers l'une des tours de garde du château. Tout en haut, comme le nom du bâtiment l'indiquait, des gardes se chargeaient de surveiller nuit et jour les alentours du château, mais sur les étages inférieurs, la construction était davantage utilisée pour ranger de nombreuses affaires, notamment les draps. Puisqu'elle devait refaire le lit d'Airy, elle devait s'y rendre afin de choisir de nouveaux linges suffisamment luxueux pour le dirigeant – et peut-être la princesse même si la domestique essayait de ne pas trop y penser.

Le panier vide n'était pas particulièrement lourd, mais il était assez encombrant, et comme à chaque fois qu'elle prenait de nouveaux draps, elle se fit la réflexion que les escaliers de la tour étaient définitivement bien trop étroits pour la laisser passer avec ses affaires. Étant donné que la fonction première du bâtiment n'était pas de passer avec un panier rempli de linge, il était normal qu'il en fût ainsi, mais au bout de la cinquième fois où la paille cogna contre la paroi, Gabriella ne put s'empêcher de grogner.

Elle arriva enfin à l'avant dernier étage où se trouvait plusieurs gros coffres contenant les couvertures. Pour les taies d'oreiller, il lui faudrait redescendre un étage. Elle ouvrit le premier coffre et observa chacun des tissus soigneusement pliés. Son regard s'attira vers un drap bleu roi. Elle toucha la texture du drap pour vérifier qu'il était bien en satin ou en soie, les seules matières que le souverain acceptait. Comme c'était le cas, elle prit le drap, l'installa sans le froisser au fond de l'osier, puis ouvrit un à un tous les autres coffres de la pièce en cherchant d'autres linges s'harmonisant bien avec la première couleur.

Une fois tous les tissus sélectionné, Gabriella se retourna en s'apprêtant à descendre les escaliers. Elle fut cependant bien surprise de trouver la princesse Odile se tenait face à elle.

- Gabriella, si je ne m'abuse ? demanda-t-elle d'une voix piquante.

La servante se demanda quelle pouvait bien être la raison de la présence de la noble ici. C'était un lieu uniquement réservé aux serviteurs et aux gardes. Les murs étaient ternes, le sol peu lavé et rien ne pouvait convenir d'une quelconque manière à la satisfaction de l'héritière de Satbourg.

Gabriella tenta d'ignorer ses pensées et hocha la tête avec lenteur.

- Son Altesse cherche-t-elle quelque chose ?

- En effet, mais j'ai trouvé mon bonheur. J'ai à vous parler.

La servante murmura faiblement une incompréhension, mais la princesse n'attendit pas que les mots s'éclaircissent dans sa gorge. Au lieu de cela, cette dernière avança à sa rencontre et tira du panier le drap bleu roi.

- C'est pour sa Majesté ?

A nouveau, Gabriella hocha la tête.

- Bon choix. J'imagine que depuis le temps, vous devez avoir appris à vous connaître, tous les deux.

Gabriella était perdue. Pourquoi la princesse s'adressait soudainement à elle ? Pourquoi la cherchait-elle ? Pourquoi ici ?

- C'est que je sers sa Majesté depuis plusieurs mois désormais, confirma-t-elle timidement.

- Combien de temps exactement ?

- Huit mois.

- Oh, je vois.

La princesse reposa lourdement le linge en le froissant quelque peu. La servante aurait bien voulu arranger les dégâts qu'elle venait de causer mais ce n'était pas correcte, alors elle se retint et continua à regarder respectueusement la femme en face d'elle. Que voulait-elle ? Des informations sur le roi pour le séduire ? Pourquoi faire puisqu'ils étaient fiancés ? Et puis surtout pourquoi tourner autour du pot comme elle le faisait avec elle actuellement : Gabriella était une servante et la noble pouvait s'adresser à elle de aussi irrespectueusement qu'elle le souhaitait.

La femme aux cheveux corbeau s'avança. Intimidée, la rousse fit naturellement un pas en arrière, s'éloignant ainsi des escaliers. Elle ne se sentait pas en sécurité avec l'Altesse. Il y avait autre chose, dans le regard de cette dernière. Quelque chose de malveillant.

La Servante du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant