Chapitre 17 : Blessure

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De son lit de bonne, Gabriella pouvait entendre les musiciens jouer avec en train tout le répertoire. Elle se doutait qu'il y avait également un chanteur avec eux, mais elle ne l'entendait pas. A vrai dire, son lieu de vie était à simplement deux petits étages de la salle de réception, alors il était normal qu'elle perçoive autant la musique, mais elle devait bien avouer qu'il commençait à se faire tard et qu'elle était bien fatiguée.

Le lendemain, elle allait devoir se lever aux aurores pour allumer la cheminée du roi comme chaque matin et il était hors de question qu'elle oublie de se réveiller comme elle avait déjà pu le faire auparavant. Surtout avec la princesse Odile dans le château ! L'image du royaume devait être parfaite, et le comportement de la servante personnelle du roi également.

Les deux autres servantes qui partageaient habituellement sa chambre, même si au final elle était celle qui découchait le plus, n'étaient pas là. Toutes deux servaient les nombreux mets, et le vin qui coulait sûrement à flot, lors du festin.

Gabriella se décida à arrêter d'essayer de dormir pour le moment et sortit plutôt le livre qu'elle lisait actuellement. C'était encore un livre médicinal, mais cette fois il ne traitait pas réellement des traitements actuels mais plus de l'évolution des maladies au cours des siècles, du moins de ce qu'on en savait. Elle aimait particulièrement cette lecture, et pour ne pas changer, il s'agissait encore d'un livre qu'elle avait emprunté dans la bibliothèque du roi Airy peu de temps avant l'arrivée de la princesse Odile.

Elle se demandait combien de temps cette dernière resterait au château. Le voyage entre Nekavland et Satbourg n'était pas anodin alors elle ne repartirait sûrement pas de ci-tôt et égoïstement, cela dérangeait Gabriella. Non pas qu'elle voulait reprendre les étreintes charnelles qu'elle partageait avec le roi Airy à tout prix, mais davantage parce qu'elle savait qu'elle aurait vite envie d'un nouveau livre, or tant que la noble était là, il était déplacé de montrer le privilège qu'elle possédait. La servante s'y était bien habitué finalement, à cet avantage.

La nuit se déroula sous le vacarme jusqu'environ quatre heures du matin. Autrement dit, Gabriella aurait pu profiter d'une heure paisible de sa vie, mais c'était sans compter son insomnie passagère. Quand il fut environ cinq heures d'après la très discrète apparition du soleil à l'horizon, la domestique se vêtit et sortit de sa chambre. Pour le moment, elle n'était pas particulièrement fatiguée, mais elle savait que ça n'allait pas tarder. Au-delà de n'avoir pas dormi, elle n'avait même pas pu être au calme de la soirée, et c'était peut-être cela le plus dur à tenir.

Elle arriva devant les appartements du roi Airy après dix minutes. Elle réalisa que cela faisait plusieurs longues semaines qu'elle n'avait pas traversé les couloirs le matin : dormir dans la suite royale presque toutes les nuits avaient ses avantages. Elle rentra discrètement dans les appartements luxueux. Elle se tourna presque automatiquement face à la porte et la retint pour éviter tout grincement. Elle faisait toujours cela. Elle pensa d'ailleurs qu'elle n'avait pas été l'huilée depuis bien longtemps, il lui faudrait demander à le faire faire. Une fois qu'elle eut fermé le cadran de bois, elle se retourna pour regarder la pièce dans son ensemble.

Et le spectacle sur lequel elle tomba la pétrifia.

Le roi Airy était dans son lit, nu comme il en avait l'habitude. Mais cette fois, à ses côtés, il y avait une femme, une autre femme que Gabriella. La princesse Odile, tout aussi nue que son voisin.

Le cœur de Gabriella se serra. Pourtant, ne savait-elle pas déjà que le roi avait de grande chance de passer la nuit en bonne compagnie ? Elle le savait si bien qu'elle avait même tout préparé pour cela. Alors pourquoi le voir de ses propres yeux la faisait tant souffrir.

Sous le choc, la vue de la jeune femme se brouilla. Elle avança vers la cheminée presque mécaniquement, mais tous ses gestes semblaient ralentis. Son esprit avait comme déconnecté de la réalité, elle tentait tant bien que mal d'oublier ce qu'elle ressentait réellement à l'intérieur. D'oublier cette blessure qui naissait au fond d'elle.

Discrète, elle souleva les bûches disposées à côté de la cheminée et les disposa à l'intérieur de cette dernière. Elle alluma le feu toujours sans faire le moindre bruit. Puis elle se leva. Elle eut l'impression de vaciller mais ne s'en préoccupa même pas. Elle sortit de la pièce sans même se retourner vers le couple puis se dirigea tout aussi automatiquement vers les cuisines. Ses pensées répétaient inlassablement ce qu'elle devait faire, ses émotions s'effaçant au gré de ses tâches ingrates. Mais Gabriella savait qu'elle était bien plus touchée qu'elle ne l'aurait dû.

Ce ne fut que lorsqu'elle eut fini d'accomplir entièrement le service matinal au personnel du château que son esprit lâcha. Ce ne fut qu'à ce moment que Gabriella pleura.

La Servante du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant