Chapitre 51

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Diane

On dit souvent que les yeux sont le reflet de l'âme mais aussi du cœur d'une personne. Ainsi, si le venin arrive jusqu'à ses yeux c'est qu'il a atteint le cœur.

C'est donc en voyant les yeux dorés de mon ami devenir noirs que j'ai compris. Il n'y a plus d'espoir. Il perd la bataille. Rakael n'est pas assez fort pour repousser le venin de la sangsue. La phase du délire est terminée, c'est désormais la dernière phase qui a débuté : l'agonie a commencé. Rakael mourra dans d'atroces souffrances dans quelques heures. 

Le loup-garou pousse un râle empli de douleur tandis que des spasmes secouent son corps. En panique, je me rue hors de la chambre de mon ami et crie du haut des escaliers, appelant à l'aide. 

Éléonore et Livia qui discutaient dans le salon se précipitent dans la chambre de Rakael. Livia me bouscule pour être près de son petit ami. Elle attrape sa main et le presse avec force. Elle lui parle, lui demandant d'être fort et de poursuivre l'effort. Mais Rakael ne répond que par un hurlement de douleur. Brisée par ce son, sa mère pleure en lui disant qu'elle est là, près de lui. 

Dans la chambre à couchée d'en face, Aurore qui faisait sa sieste se met elle aussi à pleurer. Mais personne ne réagit à la plainte du bébé. Je vais donc dans sa chambre et sort la petite fille de son berceau. Des larmes de crocodiles coulent le long de ses joues. Je berce Aurore dans mes bras mais elle est inconsolable. C'est comme si elle sentait ce qu'il se passait à quelques mètres d'elle. Comme si elle savait que son grand frère allait la quitter. N'arrivant pas à la calmer, je décide de l'amener dans la chambre de Rakael. Celui-ci se tord de douleur dans son lit. Il est à présent lucide et conscient de son entourage. Des vagues de douleur le font souffrir pendant de longues minutes puis, il peut profiter de quelques secondes de répit avant que la douleur ne reprenne. 

Les deux femmes sont de part et d'autre de son lit, le soutenant du mieux qu'elles peuvent. Je m'approche à mon tour et lui présente le bébé. 

- Raka, voici Aurore ta petite sœur. 

Le loup-garou me regarde puis fixe ses yeux sur le bébé. Il essaie de sourire malgré son supplice et lève les bras dans ma direction. 

Je passe devant Livia pour être plus proche de lui et pose Aurore sur son torse. Je garde mes mains autour du bébé au cas où Rakael serait prit d'un nouvelle vague de douleur. Il pose sa main sur la joue de la petite et lui embrasse le front. Aurore cesse de pleurer et tous deux se regardent,  l'un avec tendresse et l'autre avec curiosité.

- Aurore..., chuchote Rakael les larmes aux yeux.

Il se tourne vers sa mère qui regarde ses enfants avec un amour et une douleur infinis.

- C'est le prénom que j'avais choisi...

- Oui, répond Eléonore, ça lui va comme un gant. Elle est mon rayon de soleil dans cette sombre épreuve.

- Je suis désolé... Je n'y arrive pas maman.

- Accroche-toi encore mon bébé !

- Je...Je 

Mais Rakael est coupé par un nouveau spasme. Il se met à hurler de plus belle. Aurore le rejoint dans sa complainte. Je soulève le bébé dans mes bras et tente de le calmer, sans succès. Éléonore finit par la prendre, ce qui apaise un peu Aurore. 

La vague de souffrance de Rakael dure sept minutes cette fois. Sept minutes où il hurle à la mort jusqu'à ce que sa voix se casse. Sept minutes où son corps se tord dans tous les sens. Sept minutes de tortures pour lui comme pour nous, spectatrice de la douleur d'un homme que nous aimons. 
Lorsque la douleur se tarit, Rakael a encore plus de mal à respirer. Ses yeux sont presque totalement noirs à présent. 

- Je... Je n'en peux plus...Tuez-moi, murmure Rakael à bout de force.

- Qu'est-ce que tu racontes mon fils ! Tu ne pas abandonner, ne nous demande pas quelque chose d'aussi horrible ! S'indigne avec véhémence Éléonore. 

- Maman, s'il te plaît, je ne veux plus subir cette douleur atroce...

Rakael est prit d'une toue violente et se met a cracher du sang noir.

- Je...je ne peux pas faire ça Rakael, ce que tu me demandes est impossible, sanglote la Chasseuse.

Le mascara de Livia a coulé tellement celle-ci pleure. La sorcière embrasse la main du loup-garou en reniflant difficilement. Voyant que personne ne voulait accéder à sa demande, Rakael se tourne vers moi, le visage implorant. 

- Diane...

Je reste figée comme une statue, incapable de bouger ou même de respirer, à fixer mon meilleur ami qui me supplie de l'achever. Une nouvelle vague de douleur le secoue, et son cri déchirant me pousse à attraper la dague que Théophile m'avait donné et qui ne me quitte plus depuis ce jour.

Livia me regarde avec un air horrifié tandis qu'Éléonore détourne les yeux. Elles ont l'air révolté mais aucune ne fait un geste pour m'arrêter. Pourtant, j'aurais tellement voulu que quelqu'un m'arrête. Mais à la place, Éléonore se tourne vers son fils, l'embrasse et lui murmure qu'elle l'aime. Livia fait de même. Rakael est incapable de leur répondre alors qu'il s'étouffe dans le sang noir. Les spasmes de douleurs deviennent de plus en plus violents et longs. 

Je m'assois sur le bord du lit et caresse les cheveux bruns trempés de sueur de mon meilleur ami. Je lui fais à mon tour mes adieux. Je ne sais pas vraiment ce que je lui dis, j'ai l'impression de me voir de l'extérieur depuis que j'ai pris ma décision. Je chantonne une chanson que nous avions l'habitude de chanter à tue tête ensemble et doucement, j'enfonce ma dague dans son cœur. 

Alors que l'homme que j'ai aimé durant presque toute ma vie pousse son dernier souffle, je lis dans ses yeux sa reconnaissance. Sous ma main ensanglantée, son cœur cesse de battre et son corps se détend, enfin libéré de sa torture. 

Je ferme ses yeux totalement noirs et je me lève. Je quitte cette pièce et cette maison sous les plaintes désespérées des deux femmes. La dague toujours en main, je parcours sans but les rues calmes de Benevento. 

Quelque chose en moi se brise. J'ai dépassé ma limite d'humanité. Oui, pour Rakael mon geste était un simple service, une manière d'éviter de repousser l'évidence et de terminer sa souffrance. 

Mais pour moi, ce geste me hantera jusqu'à la fin de ma vie. 







Aliumnos- Chasseuse dans l'âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant