Chapitre 34

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Diane

"Abomination".

C'est comme ça que me voient la vampire et ses sbires. Peut-être ne sont-ils pas les seuls. Après tout les sorcières de Benevento ne me traitaient pas non plus comme l'une des leurs. Et maintenant, ce mot est inscrit à jamais dans ma peau. Où que je sois, avec qui que je sois, ma différence me poursuivra et je n'ai plus aucun moyen de l'échapper. Ce mot est la trace ineffaçable de  mon absence d'appartenance à une race: je ne suis pas une véritable sorcière ni une véritable Chasseuse. 

J'ai été marqué moi aussi. Même s'il ne s'agit pas du symbole de la honte, c'est le même effet. J'ai été marqué comme une criminelle. Simplement parce que je suis née et que je n'aurais pas dû. Parce qu'une sorcière n'aurait pas dû s'unir avec un Chasseur. 

J'ai été marqué au couteau. En ce moment de détresse profonde je me demande pourquoi mes parents m'ont eu. Tout à coup, je leur en veux de m'avoir mise au monde. C'est de leur faute si j'ai souffert à cause des autres sorcières, leur faute si je n'ai pas été acceptée par les miens. Leur faute si je suis prisonnières de monstres sanguinaires et qu'on veut ma mort. Leur faute si on m'a marqué. 

La rage fait bouillonner mon sang. C'est tellement injuste ! Je ne méritais pas ça ! Je sais que en vouloir à mes parents est bête mais je ne peux pas m'en empêcher, il me faut des coupables. J'en veux au monde entier. 

Mon sang brûle dans mes veines. Toute ma peur me quitte pour laisser place à la colère qui me ronge. L'air autour de moi semble s'alourdir et la tension monte. 

- Diane, est-ce que ça va ? 

La voix de Théophile me parvient de loin, comme si j'étais entourée d'un brouillard épais. La température de mon corps augmente de plus en plus jusqu'à ce que je ne puisse plus le supporter. Je sens mon pouvoir se regrouper à mes extrémités. Mes doigts grésillent, chargés d'une énergie électrique. La chaleur atteint mon cerveau et je relâche toute ma rage dans un cri de délivrance. 

Ma magie se libère et envahit l'espace. Une lumière blanche aveuglante jaillit de mes doigts. Mes menottes explosent dans un grand bruit et tombent par terre dans un tintement assourdissant. 

Puis le silence revient. Quelques minutes passent et personne ne vient nous voir. Heureusement que la porte blindée empêche tout son de circuler, on aurait été mal sinon. Je ne bouge toujours pas. Le corps tremblant, je reprends mon souffle, agenouillée sur le sol froid de la cellule. Enfin, Théo est le premier à déchirer le silence.

- Et beh !

Je relève la tête et rencontre ses prunelles chocolat qui sont devenues familières au cours du temps. Ses iris laissent apercevoir sa stupéfaction et son admiration. Je sens mes joues se colorer de rouge devant son regard impressionné.  

Ses yeux font des allers-retours entre mes mains libérées et les menottes ensorcelées gisant à mes pieds.

- Incroyable...

Je masse mes poignets douloureux pour laisser mon sang circuler normalement. Théophile s'est levé et fait les cents pas dans la petite cellule, tournant en rond. Je remarque soudainement qu'il est pieds-nus lui aussi. Les vampires ont dû le dépouiller de ses bottes en même temps que ses armes. 

- Tu les as cassées ! Diane, tu as réussi ! Nous avons une chance de survivre ! A présent nous pouvons nous battre !

Son visage s'ouvre au fur à et mesure qu'il reprend espoir. Il semble réfléchir un moment, s'arrête de marcher, me regarde l'air pensif et reprend ses ronds. Je le regarde sans trop comprendre. 

J'ai dû mal à en revenir moi aussi. Circé disait pourtant que ces menottes étaient impossible à casser, et qu'elles bloquaient toute magie. Et pourtant j'ai bien pris contact avec Marianne l'autre fois. Ma magie est passée outre les menottes. Je vérifie que tout cela est bien réel, que je me suis vraiment libérée. Oui, tout est réel. 

Théophile me sort de mes pensées en m'indiquant le plan d'évasion qu'il vient de concocter. 

- Lorsque le loup-garou m'a emmené dans cette salle de torture, nous sommes passés devant une porte qui était entre-ouverte. J'ai pu apercevoir l'intérieur de la pièce. Il y avait ma cape ainsi que mes armes. Avec un peut de chance l'onguent "cache odeur" se trouve toujours dans la poche de ma cape. 

Il s'arrête une seconde et me sonde. 

- Diane, penses-tu pouvoir ouvrir cette porte ? 

Son expression est pleine d'espoir alors qu'il me montre la porte blindée derrière lui. 

- Je...

Tout à coup, l'euphorie de ma libération des menottes laisse place à l'incertitude. Je ne suis plus sûre de moi. Ce que je viens de faire, je ne l'ai pas fait exprès. Ma magie m'a presque toujours résistée quand je la sollicitais. Est-ce qu'elle viendrait à moi si je le lui demandais ?

- Je ne sais pas, avoué-je à mis-voix.

Mon cœur se serre devant l'air déçu du Chasseur. Cependant, cela ne suffit pas pour autant à le démonter. 

- Mais si Diane, tu en es capable, tu t'es battues contre les fantômes et les vampires avec ta magie et tu as réussi à te débarrasser de ces menottes, ouvrir cette porte devrait être facile pour toi ! 

Il a raison, je devrais en être capable. Ma magie m'était venue naturellement lors de la bataille sur la plage. Mais à ce moment là je ne réfléchissais pas, j'ai agis instinctivement. 

- Quand tu l'auras ouverte, on aura simplement une dizaine de mètres à faire avant d'atteindre la pièce avec mes effets personnels. A ce moment, on pourra se tartiner de crème "cache-odeur". Il ne restera plus qu'a trouver la sortie tout en jouant à cache-cache avec les vampires, et à nous la liberté !

A compter bien sûr qu'aucun vampire ne monte la garde devant notre porte, que la voie soit libre, que personne ne se trouve dans la pièce où se trouvent les armes de Théo, que l'onguent soit toujours là, qu'on ne croise personne dans les souterrains et qu'on puisse trouver la sortie dans ce labyrinthe sans se perdre...
Un jeu d'enfant !

Je m'approche d'un pas flageolant de la porte blindée, les mains moites. Savoir que tout repose sur moi ne m'aide pas. Je fixe un instant cette lourde porte grise. Je prends ma respiration et je ferme les yeux. Je laisse mon pouvoir m'envahir. 

Alors que je me dis que je me suis inquiétée pour rien, que ma magie est bien là, prête à m'obéir, je repense soudainement à la marque sur mon front :"abomination". Je revois les regards hautains et plein de mépris des sorcières de Benevento et je me sens à nouveau insignifiante. Ma magie se bloque dans ma poitrine. Je désespère quand je comprends qu'elle me résiste à nouveau. 

Je me mets à respirer de plus en plus fort, incapable de trouver un rythme régulier. Encore une fois je vais tout foutre en l'air. Je ne suis pas capable de faire la seule chose que l'on m'assigne. Des gouttes de transpirations coulent dans mon dos en une désagréable sensation. 

Soudain, une main se pose sur mon épaule et une voix me chuchote à l'oreille :

- Arrête de réfléchir. Tu es forte, tu vas réussir et nous tirer de là. J'ai confiance en toi.

"Confiance en toi". C'est vrai. Les Chasseurs ont toujours eu confiance en moi, ils ont toujours pensé que j'étais quelqu'un de fort, capable de suivre l'entraînement intensif avec eux. Ils m'ont accueillie quand bien même je n'étais pas de leur race, ils ont été pour moi la famille que je n'ai pas pu trouver auprès des sorcières. Je ne peux pas laisser tomber maintenant. Je ne peux pas le laisser tomber. Théophile compte sur moi. 

Je me concentre donc à nouveau et me débarrasse de tout sentiment négatif. Je me remémore les moments joyeux passés avec mes amis, les moments intimes passés avec Théophile. Je laisse ces bons souvenirs m'envahir et le calme revient dans mon esprit. Ma magie est toujours là, frétillant dans mes veines. Avec autorité je la pousse jusque dans mes mains. Mes doigts grésillent de ce picotement familier. Je regarde fixement la porte et je l'imagine s'ouvrir devant moi. 

Rien ne se passe. 

Je redouble d'énergie et ordonne à la porte de se déverrouiller. Mon pouvoir s'échappe de mes mains et encerclent l'entrée blindée de la cellule. 

Enfin, la porte s'ouvre.


Aliumnos- Chasseuse dans l'âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant