Chapitre 78 (Alex)

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Cette nuit, j'avais eu toutes les peines du monde à fermer l'oeil. Maelie s'en était sûrement rendue compte. La pauvre n'avait pas dû beaucoup dormir non plus tant j'avais brassé à côté d'elle, la faute à des angoisses que je n'avais eu de cesse de combattre.

Il y avait d'abord les manigances d'Elodie qui m'inquiétaient. Elle avait beau m'avoir juré qu'elle ne ferait pas usage des photos que David Lachant avait prises pour elle, j'avais dû mal à la croire sur parole. Cette fille était tordue, imprévisible et surtout blessée que je l'aie quittée. Par conséquent, la prudence s'imposait avec elle et je pouvais légitimement craindre qu'elle revienne à la charge un jour ou l'autre. Mais c'était encore la perspective de la journée qui s'ouvrait qui m'avait le plus encombré l'esprit.

Comme je le faisais chaque mois, je descendais à Marseille pour rendre visite à un ami d'enfance. L'épreuve n'était pas tant de le voir, au contraire j'en étais ravi, mais plutôt de devoir me rendre dans la prison des Baumettes où il était incarcéré depuis plusieurs années pour trafic de drogue. J'avais les prisons en horreur. Elles m'avaient tant pris par le passé. Mais je me faisais violence car Servone comptait sur ma venue. Il n'avait que moi et je tenais à être là pour lui comme il avait été là pour moi autrefois.

En fait, Servone était un peu le seul ami que je n'avais jamais eu. Comme moi, il avait assez mal débuté dans la vie mais lui n'avait pas eu ma chance de s'en sortir par les études. Tout du moins pas encore et j'avais précisément l'intention de l'aider à faire que ça change. Certes, il avait fait des erreurs et il payait pour ça mais je le connaissais depuis suffisamment longtemps pour savoir qu'il était un type bien. Il méritait d'avoir un avenir, et j'étais décidé à tout faire pour qu'il en ait un.

J'avais préféré taire les détails de ce déplacement à Maelie. Je ne voyais pas l'intérêt de m'étendre sur le sujet et je ne voulais pas qu'elle se tourne des films en apprenant que je fréquentais des détenus. Bien sûr, elle n'avait pas manqué de me poser des questions mais j'étais resté volontairement vague, la laissant sur sa faim et aussi un peu suspicieuse. Si elle venait vraiment à insister, je lui dirais peut-être la vérité à mon retour. Ainsi, elle aura le sentiment d'une totale transparence entre nous et ce sera toujours mieux que d'inventer un mensonge, d'autant que je lui avais déjà beaucoup trop menti à mon goût.

Le pénitencier. Ses grands murs gris délavé. Ses miradors. Ses barbelés. Son hall d'accueil tombé en décrépitude. Ses longs couloirs entrecoupés de portes en férailles rongées par la rouille. Le bruit des trousseaux de clés qui se balançaient à la taille des gardiens. Les innombrables contrôles de sécurité à franchir. Les fouilles au corps. Je ne m'étais jamais fait à tout ça et je croyais que je ne m'y ferais jamais. De toute façon, qui pouvait vraiment s'y faire ? Après tout, c'était une prison, ça n'avait pas vocation à être un lieu agréable.

Lorsque j'arrivai enfin dans la salle réservée aux parloirs, mon ami Servone m'attendait déjà. Je le saluai d'un sourire puis j'allai m'asseoir face à lui.

J'avais connu Servone dans un foyer de l'aide sociale à l'enfance. J'y avais été placé suite à la mort de mon père et à l'incarcération de ma mère, n'ayant aucune autre famille à même de m'accueillir. J'étais alors un enfant traumatisé par le drame terrible qu'il venait de vivre. J'en voulais à la terre entière d'avoir eu à subir ça et, incapable de réfréner ma colère et mon chagrin, je m'en prenais à toutes les personnes qui s'approchaient de moi. En fait, je n'en finissais plus de sombrer. Je me montrais violent avec le personnel éducatif comme avec les autres enfants du foyer. Mes résultats scolaires, qui n'avaient jamais été excellents, étaient en chute libre. Je refusais toute aide, quelle qu'elle soit et d'où qu'elle vienne. D'aucuns se demandaient ce que j'allais bien pouvoir devenir. Un voyou plaidaient certains, quand d'autres me voyaient déjà dans une tombe. Ils auraient sûrement eu raison si je n'avais pas rencontré Servone.

Lui m'avait tendu la main. Oh bien sûr, mon premier réflexe avait été de la lui mordre plutôt que de la saisir. Mais il n'avait rien lâché. Sans que je ne comprenne vraiment pourquoi, il s'était mis en tête d'être ami avec moi. Il venait d'être retiré à la garde d'un père ivrogne et d'une mère toxico. Comme moi, il était seul. Comme moi, il était perdu. Comme moi, il était terrifié. C'était peut-être parce-que nous vivions la même chose, bien que pour des raisons différentes, que nous nous étions si bien entendus.

Quoi qu'il en soit, il était venu un jour à ma rencontre et, faisant fi de mes tentatives d'intimidation, il m'avait juste dit :

_ Je vois que tu es triste... Moi aussi je suis triste, tu sais. Alors je me suis dit qu'on pourrait être tristes à deux plutôt que de l'être chacun de notre côté. Qu'en penses-tu ?

Bizarrement, j'avais accepté. Pourquoi ? Sans doute parce-qu'au fond moi aussi j'avais vraiment besoin d'un ami. Je ne le regrettais pas. Et pour cause. J'étais convaincu que sans lui je n'aurais pas pu devenir l'homme que j'étais aujourd'hui. En quelque sorte, il m'avait sauvé la vie en se décidant à venir me parler. Je n'osais imaginé où j'aurais fini s'il ne l'avait pas fait.

Aujourd'hui, c'était à mon tour de l'épauler. Déjà quatre ans qu'il était derrière les barreaux après avoir été arrêté pour détention et trafic de cocaïne. Il m'avait pourtant promis qu'il avait raccroché. Je l'avais cru. Je pensais qu'il s'en sortait. Il avait même trouvé un travail de serveur. Mais un travail qui n'était pas assez bien payé à son goût, et il avait fini par recommencer les bétises qui lui avaient déjà valu d'avoir affaire à la justice. Chassé le naturel, il était revenu au galop et, comme il était récidiviste, il n'avait pas échappé à la prison ferme.

Son placement en détention avait été un choc pour lui comme pour moi. Alors, fidèle à la promesse que nous nous étions faits de toujours être là l'un pour l'autre, je lui rendais visite aussi régulièrement que je le pouvais et, surtout, je lui donnais des cours de droit. Il espérait devenir juriste à sa sortie de prison et, comme il était un élève brillant et studieux, il n'y avait aucune raison qu'il n'y parvienne pas. Qui sait, peut-être qu'un jour nous pourrons travailler ensemble.

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