Chapitre 70 (Alex)

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Au cours de ce dîner, nous passâmes notre temps à discuter de choses et d'autres, à complimenter nos qualités et à rire de nos défauts, à nous faire des blagues parfois bonnes et parfois beaucoup moins mais au fond peu importait car, à force de fréquenter Maelie, j'avais fini par me rendre compte que nous partagions le même genre d'humour ; parfois noir et souvent lourd. C'était l'un de nos points communs. Un autre occupa ensuite plusieurs minutes de notre conversation. Le polar. Comme moi, Maelie était férue d'histoires de meurtres en tout genre et de disparitions inexpliquées bien qu'elle ait un penchant pour le roman d'horreur que je n'avais pas (peut-être parce-que j'avais déjà vécu suffisamment d'horreurs étant jeune pour ne pas vouloir en lire d'autres). Ainsi, nous vantâmes tour à tour la précision chirurgicale des intrigues de la reine du genre, Agatha Christie, la complexité des énigmes proposées par la regrettée Mary Higgins Clark, et le génie d'Arthur Conan Doyle pour avoir inventé l'emblématique personnage de Sherlock Holmes. En bref, la soirée se passait à merveille. C'était jusqu'à ce qu'elle se décide à me faire une remarque qui eut aussitôt raison de ma bonne humeur :

_ Tu ne me parles jamais de ta famille.

Pourquoi fallait-il qu'elle se soit abandonnée à aborder ce sujet ? Pourquoi ici et maintenant alors que, jusqu'à présent, elle s'était bien gardée de le faire ? Je ne parvenais pas à me l'expliquer mais, au fond, ça n'avait aucune importance. Mon principal problème était plutôt de trouver quoi lui répondre. Je pouvais d'abord inventer un mensonge mais, alors, il se devrait d'être savamment conçu pour espérer survivre à l'épreuve de l'irrésistible perspicacité de Maelie. En fin de compte, j'optai pour une version incomplète de la vérité, tout en prenant garde de ne pas trop en dire :

_ Je n'ai plus de famille. En fait, je ne sais même pas si j'en ai vraiment eu une un jour.

_ Ah... C'est indiscret de te demander ce qu'il s'est passé ? me questionna-t-elle ensuite, bien consciente qu'elle marchait sur des œufs.

_ Mes parents sont morts quand j'étais encore enfant et je n'ai pas de frères et sœurs, lui confiai-je, sans faire de fioritures.

_ Comment...

_ Mon père a eu un accident, la coupai-je, devinant ce qu'elle voulait savoir. Je devais avoir huit ans à l'époque. Quant à ma mère, elle n'a pas supporté sa disparition, elle a décidé de mettre fin à ses jours peu de temps après. Enfin, je suppose que c'est à cause de ça mais, en réalité, je ne sais pas trop pourquoi elle en est venue à commettre l'irréparable...

Maelie demeura un instant silencieuse, visiblement sous le choc de ce que je venais de lui apprendre. Et encore, je n'avais fait que lui donner un bref aperçu de la tragédie qu'avait été ma jeunesse. Après qu'elle eut repris ses esprits, elle me dit, la voix presque sanglotante :

_ Je suis navrée de t'avoir posé la question, je ne savais pas que...

_ Ce n'est rien, tu ne pouvais pas savoir...

Elle me fixa d'un regard gêné avant d'ajouter :

_ C'est horrible. Aucun enfant ne devrait avoir à subir ça. La perte de ses parents, je veux dire.

S'il n'y avait eu que ça. Elle ne pouvait pas se douter de l'enfer qu'avaient été mes premières années en ce monde. Personne ne le pouvait. C'était bien trop terrible pour qu'un être humain sain d'esprit puisse ne serait-ce que l'imaginer.

Comprenant qu'elle venait, sans le vouloir, de s'aventurer en terrain miné, elle se garda bien d'insister. Elle préféra changer de sujet, la commande du dessert lui servant de prétexte pour ce faire.

Fort heureusement, ce petit accroc, bien qu'ayant, il était vrai, un peu plombé l'ambiance, n'avait pas eu plus de conséquences que cela sur la suite de notre dîner en amoureux qui m'avait été malgré tout très agréable.

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