Chapitre 56 (Alex)

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Maelie n'était vraisemblablement pas décidée à me faciliter la tâche. Loin de s'être pliée à ma volonté de prise de distance, elle semblait au contraire tout faire pour que nous nous rapprochions. Il y avait d'abord eu ce volte-face au sujet du mémoire. Et, maintenant, voilà qu'elle faisait son apparition dans le bar où j'avais l'habitude de me rendre pour décompresser après le travail. Elle pouvait bien mettre la situation sur le dos du hasard, je n'en croyais pas un mot. J'étais persuadé qu'elle m'avait suivi.

Je la savais têtue mais je n'aurais jamais pensé qu'elle ferait preuve d'une telle obstination. D'un côté, je m'en réjouissais car cela signifiait que les sentiments qu'elle me témoignait étaient suffisamment forts pour qu'elle daigne s'accrocher à moi. Mais, d'un autre côté aussi, c'était une sacrée épine que j'avais dans le pied. 

Elle était de toute évidence en train de me mettre à l'épreuve et il me faudrait être fort pour ne pas céder à la tentation. Cela étant, je ne savais pas si j'en étais capable. Je n'avais de cesse de repenser à notre baiser ce qui ne faisait que décupler le désir qu'elle m'inspirait.

J'étais bien conscient qu'elle me tendait un guet-apens en me rejoignant à ma table, belle comme un coeur et diablement sexy avec ce haut au décolleté renversant. Elle avait pensé au moindre détail pour me plaire et c'était réussi. J'étais littéralement sous le charme. Pourtant, je ne devais rien en laisser paraître et, surtout, il me fallait me débrouiller pour écourter au plus vite ce rendez-vous en tête à tête qu'elle tentait de m'imposer. Sans quoi je craignais que la soirée ne dégénère.

Seulement, me débarrasser d'elle n'avait rien d'un jeu d'enfant. C'était même, pour ainsi dire, mission impossible car elle faisait preuve d'une insistance redoutable. Et puis, de toute façon, au fond de moi, je n'avais aucune envie qu'elle s'en aille. La repousser, c'était aller contre nature et c'était sûrement pour ça que je n'y parvenais pas.

Finalement, je dus me résoudre à accepter sa présence. Alors, je la laissai me faire la conversation même si j'avais conscience que c'était à mes risques et périls.

_ Au fait, je me demandais. Qu'est-ce qui vous a poussé à choisir le droit pénal ?

Je ne pouvais pas lui donner la véritable raison. Et pour cause. Elle tenait à ce passé que je préférais taire. J'optai donc pour une réponse un peu bateau mais dont j'espérais qu'elle suffirait à satisfaire sa curiosité :

_ Sans doute parce-que j'entretenais une certaine fascination pour cette discipline et pour la dramaturgie qui s'en dégage. Je crois que j'ai toujours voulu comprendre comment des êtres humains pouvaient en arriver à commettre les pires atrocités et comment la justice était rendue dans ces cas-là.

_ Et vous avez compris ?

_ En partie seulement. Il y a toujours des choses que je ne m'explique pas.

_ Des choses ?

De nouveau, je ne pouvais pas répondre. C'était trop personnel. Je m'empressai donc de la questionner à mon tour, espérant parvenir ainsi à noyer le poisson :

_ Et vous. Pourquoi le métier de procureur vous attire tant ?

_ A votre avis.

_ Le prestige de la fonction ? supposai-je.

Elle esquissa d'abord un sourire puis elle me demanda :

_ Qu'est-ce qui vous fait penser ça ?

_ C'est bien souvent la raison invoquée par les étudiants. Et puis vous m'avez l'air d'une ambitieuse donc...

_ Vous avez tort. Ce n'est pas pour ça, me coupa-t-elle.

_ Pourquoi alors ?

Elle marqua un bref instant de réflexion avant de répondre :

_ Je crois que je veux tout simplement être celle qui réclame que justice soit rendue.

Bonne réponse. Très bonne réponse même. Cette fille avait décidément le don de susciter mon intérêt.

_ Et sinon vous vous faites à notre belle région ? Ça ne vous change pas trop de Paris ? me demanda-t-elle ensuite.

_ C'est vrai qu'au début ça m'a fait un choc. Ne plus voir la Tour Eiffel. Ne plus se retrouver écrasé contre la vitre du métro à l'heure de pointe. Ne plus déambuler en bord de Seine le soir. Tout ça me manquait. Mais je crois que je commence à me faire à la douceur de la vie provinciale. En fait, je crois que je me plais bien ici finalement.

Aussi inattendu que cela puisse être, c'était effectivement le cas. Plus les jours passaient et moins la capitale me manquait. D'ailleurs, je n'avais pas prévu d'y retourner pour l'instant. Il fallait dire qu'après ma séparation avec Élodie je n'avais plus grand chose à y faire.

Nous continuâmes ainsi à discuter de tout et de rien pendant un moment et, quand je finis par jeter un oeil à ma montre, je découvris qu'il était déjà sept heures passée. Maelie était d'une compagnie très agréable et le temps avait filé sans que je ne m'en rende compte. De toute évidence, j'étais en train de manquer à la promesse de me tenir éloigné d'elle que je m'étais faite. Alors, dans la précipitation, je me levai de ma chaise et je fouillai mes poches pour y trouver de quoi payer la note.

_ Oh non, je vais payer mon verre, protesta Maelie voyant que le billet que je venais de déposer au milieu de la table couvrait nos frais à tous les deux.

_ Je vous invite. Ça me fait plaisir.

_ D'accord mais à une condition. Vous me laissez vous offrir quelque chose à manger en retour.

_ C'est hors de question. Dois-je vous rappeler que vous devez encore de l'argent à votre brute de bailleur ? protestai-je aussitôt, en tâchant de me retrancher derrière un argument purement économique.

_ Pardon, je me suis mal exprimée. Je n'ai pas l'intention de vous convier au restaurant. De toute façon, mon budget me permet à peine de me financer un déjeuner dans un fast-food.

_ En effet, je me suis mépris, dis-je dans un soupir de soulagement.

C'était sans compter sur Maelie qui précisa sa pensée :

_ En fait, je me disais que je pourrais vous préparer un petit quelque chose chez moi.

Dîner avec elle dans son appartement. C'était plus dangereux encore. Je devais à tout prix refuser. Le plus sage était de la saluer poliment et de fuir pendant qu'il était encore temps. Mais, d'un autre côté, sa proposition me faisait terriblement envie. Alors, durant plusieurs secondes, mon coeur et ma raison se livrèrent une bataille acharnée. Puis, toujours incapable de trancher la question, je me réfugiai derrière de fausses excuses :

_ Vous n'allez pas vous embarrasser à cuisiner pour moi.

_ Puisque je vous le propose, répliqua-t-elle du tac au tac.

Je voulais tellement lui dire oui mais je ne devais pas. C'était un risque bien trop grand pour que je puisse l'assumer. Finalement et à mon corps défendant, je lui répondis :

_ Je vous remercie. Vraiment. Mais je préfère rentrer chez moi.

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