Chapitre 41 (Alex)

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Je n'avais pas tardé à répondre à Maelie. Je l'avais fait par un message que j'avais rédigé avec soin et qui avait valeur de main tendue. Au moment de le lui envoyer, j'avais ainsi bon espoir qu'il permette de régler la situation. Je m'étais en réalité fourvoyé car, loin d'avoir arrangé les choses, il était tout simplement demeuré lettre morte.

Elle n'avait donc même pas pris la peine de me répondre. Je trouvais ça décevant pour ne pas dire plus, totalement désespérant. Je commençais à craindre que les conséquences de mes paroles ne soient beaucoup plus graves que je n'osais le soupçonner jusque-là.

Maelie semblait en effet bien résolue à me faire payer cher mon inélégance et je n'avais plus qu'à espérer que ce que je prenais comme n'étant rien de plus qu'une petite contrariété passagère ne se transforme pas en un féroce ressentiment susceptible d'alimenter un conflit durable entre nous.

Cela dit, l'origine de notre brouille était récente. De fait, je songeais que Maelie était sans doute encore sous le coup de l'émotion et qu'ainsi le temps saurait peut-être lui permettre de relativiser un peu les choses. Rien ne coûtait de le souhaiter mais c'était évidemment faire preuve d'une grande naïveté ce qui ne me ressemblait pas. A croire que, quand il s'agissait de cette fille, je perdais toute lucidité et trouvais un certain réconfort à me voiler la face.

Cette semaine, Maelie avait pris soin de m'éviter au maximum et le peu d'échanges que nous avions eus avaient été pour ainsi dire très brefs. Ils s'étaient en fait résumés à de simples « bonjour » prononcés d'un ton glacial au détour d'un couloir ou à l'entrée d'un amphithéâtre. Mais c'était encore l'accrochage que nous avions eu lors de mon cours aujourd'hui même qui avait été le plus symptomatique du climat délétère qui régnait entre nous.

Fidèle à mon goût pour la provocation, j'avais eu la très mauvaise idée de l'interroger spontanément, espérant ainsi la contraindre à sortir enfin de son mutisme. Visiblement, le recadrage en règle dont elle m'avait déjà gratifié quant à mon refus de diriger son mémoire ne m'avait pas servi de leçon et il avait fallu que j'en redemande.

_ J'aimerais à présent que l'on prenne quelques minutes pour évoquer la question au combien épineuse et discutée de la dépendance du procureur de la République. Mais, une fois n'est pas coutume, ce n'est pas moi qui vais vous l'expliquer. Je vais laisser le soin de le faire à votre camarade Maelie Aurano dont vous savez comme moi qu'elle voue un intérêt particulier à ce sujet.

L'amphithéâtre s'était alors figé dans un silence stupéfait. Quant à Maelie, elle m'avait d'abord fusillé d'un regard orageux, comme pour bien me signifier qu'elle me tenait rigueur de m'être ainsi abaissé à lui tendre un piège pareil, avant de me répondre, n'hésitant pas à faire étalage de ses connaissances et avec l'intention manifeste de me défier :

_ La mise en cause de l'indépendance du ministère public repose sur l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 qui prévoit que le procureur de la République est placé sous l'autorité du garde des sceaux. Une telle disposition apparaît comme étant contraire au principe d'indépendance de la justice consacré par l'article 64 de la Constitution. Les magistrats du parquet constituent en effet, au même titre que ceux du siège, une autorité judiciaire qui, de fait, se doit d'être indépendante et imperméable à toute pression politique quelle qu'elle soit. Partant de ce constat, il apparaît légitime de se questionner sur le fait de savoir si le maintien des instructions générales que le Ministre de la Justice est fondé à donner au parquet n'est pas une atteinte à l'article 64 de la Constitution. Je pourrais faire plus long et plus détaillé mais, dans ce cas, vous n'auriez plus rien à enseigner ce qui serait regrettable vous en conviendrez.

Remarquable. Saisissant. Efficace. Les adjectifs me manquaient pour qualifier sa prestation. Bien sûr, je m'attendais à ce qu'elle s'en sorte avec brio et, d'ailleurs, je n'avais jamais cherché à la prendre en défaut concernant sa maîtrise juridique. En réalité, le seul et unique but de mon petit stratagème était de la mettre à son tour face à ses contradictions, un peu comme elle l'avait fait avec moi pour son mémoire.

_ Comme quoi, vous vous étiez grandement documentée sur la question. Il est donc d'autant plus dommage que vous ayez renoncé à la traiter.

Pour ce qui était de la mettre en porte-à-faux, mon plan avait fonctionné à merveille. En revanche, en ce qui concernait ma quête de réconciliation, les bénéfices de mon action étaient bien plus discutables et tout ce que j'avais réussi à faire était de l'énerver encore un peu plus. D'ailleurs, sitôt que j'eus fini de lui répondre, elle rassembla ses affaires et quitta la salle sur-le-champ devant ses camarades qui la regardèrent faire totalement circonspects.

Alors je compris qu'à vouloir jouer au plus malin je venais bêtement de me tirer une balle dans le pied.

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