1-3 : ANIMA

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ENFANT INDIGNE

Une fois la grand-mère Pélagie remise de ses émotions, le pique-nique avait repris comme si de rien était. Malgré les questions insistantes de ses enfants dans les jours qui suivirent, leur mère ne pipa mot sur l'inconnu... Et il avait fini par sortir de leurs pensées au bout de quelques jours. Mais ce souvenir revint à Max lorsque, une après-midi où il avait été envoyé faire le marché pour la famille, il croisa un stand inhabituel au détour de celui du boucher et du fruitier.

Il était là. Debout au milieu d'une foule de plus en plus compacte, il brillait de mille feux dans un costume aux couleurs d'une nuit étoilée. Il présentait entre ses mains un étrange cornet à la forme recourbée :

— Cet objet est en provenance directe de Babel, arche où les hommes ont des sens sur-développés ! Avec ce cornet acoustique, vous entendrez mieux que n'importe quel animal, je vous le garantis.

Les badauds observaient l'excentrique avec une curiosité teintée d'un peu d'amusement. Certains montraient du doigt les objets diverses et variés disposés sur son stand. Maximilien dut se dévisser le cou pour déchiffrer l'écriteau posé devant le vendeur : « Marchand inter familial ; Découvrez les spécialités de toutes les arches ! ».

— Voyez et entendez tout ce que vous voudrez, pour une somme tout à fait modique. Et n'oubliez pas ! ajouta le vendeur d'un ton un peu espiègle. Je quitterai Anima ce soir. C'est votre dernière chance !

Certaines personnes commencèrent à enchérir. Max hésita à regarder la fin de la vente, mais quitta la place à contrecœur. Son père attendait son retour pour préparer le dîner.


Maximilien sentit que quelque chose clochait dès qu'il passa le pas de la porte. Ses affaires étaient nerveuses. Son manteau tressautait comme s'il essayait de fuir de l'armoire. Ses chaussures tremblaient au fond de leurs boites. Son mauvais pressentiment fut confirmé par son père. Il attrapa le panier de courses en lui jetant un regard inquiet.

— Ta mère t'attend dans le salon.

En effet, elle patientait sur le canapé du séjour. Elle observait le feu brûler dans l'âtre de la cheminée. Elle leva un regard sévère vers son fils dès qu'il posa le pied dans la salle. Qu'est-ce qu'il avait encore fait ? Max le comprit en remarquant avec effroi ce que sa mère tenait entre ses mains. Ses trésors les plus précieux. Ses secrets les plus intimes. Ses carnets de croquis.

Mais comment avait-elle mis la main dessus ? Max se mordit la lèvre en s'interdisant d'y réfléchir. La question n'avait plus grande importance, vu le pétrin dans lequel il venait de se fourrer.

— Qu'est-ce-que cela, Maximilien ?

— Des... des carnets de dessins, bégaya-t-il en se sentant pâlir.

— Des carnets de dessins, répéta sa mère d'une voix incrédule.

Ses carnets essayaient d'échapper à sa poigne de fer. En vain. Elle en tournait lentement les pages, révélant au grand jour les centaines de croquis qui s'y dissimulaient.

— Je t'ai toujours défendu auprès de ta grand-mère. Je n'ai jamais voulu l'écouter lorsqu'elle m'affirmait que tu ne faisais pas tout ton possible pour surmonter ton handicap, ou que celui-ci était une façon pour toi d'essayer de te soustraire à ta carrière d'horloger.

Loin de la colère noire à laquelle il se serait attendu, son regard débordait d'une déception sans limites. Incapable de répondre à sa mère, Max garda le silence.

— J'ai toujours cru que malgré tes pouvoirs défaillants, et bien... tu faisais de ton mieux pour intégrer l'entreprise et te montrer digne de notre famille. Vu toutes ces futilités, je me suis bien trompée.

Les voyages de Maximilien | LA PASSE-MIROIRWhere stories live. Discover now