Les voyages de Maximilien | LA PASSE-MIROIR

ESCALE : LA SERENISSIME, Arche de Fama, Maîtresse de la divination

Maximilien faisait la queue sous un grand fronton. Il se trouvait à mi-chemin une statue haute de plusieurs mètres : elle représentait une femme tenant une boule de cristal entre ses mains. Son sourire énigmatique était la seule partie de son visage qui ne disparaissait pas sous son long chaperon. Tous les devins prenaient le temps de baiser deux de leurs doigts et de les poser sur la boule de pierre avant de la dépasser, expliquant ainsi l'attroupement qui s'était créé à l'entrée du passage.

— Il se raconte qu'embrasser une boule de Fama porte chance. Cela ne coûte rien d'essayer !

Max imita silencieusement l'Oncle Augustus en levant les yeux vers la femme de pierre. Impossible de distinguer ses traits. Il se dépêcha de rejoindre son grand-oncle dehors. Ils débouchèrent sur une place noire de monde : la moitié de l'arche semblait s'être donné rendez-vous ici ! Tous semblaient se presser sous la balustrade d'or d'un grand palais de pierre grises et de dorures. A proximité, une estrade mise en évidence abritait du beau monde ; artistes en vue, ministres, journalistes... La cohue générale retomba comme un soufflé lorsque Fama apparut à son balcon. Sa toge mauve ne laissait entrapercevoir que la moitié de son visage et une cascade de mèches brunes et bouclées. Elle s'immobilisa à sa rambarde avant de relever sa capuche, révélant un visage incrusté de pierres précieuses et deux yeux aussi troubles que la boule de cristal qu'elle tenait entre ses mains aux ongles peints en noir.

— Bonjour, mes chers enfants.

— Nous vous saluons Madre, répondit la foule en chœur.

Max s'immobilisa pour mieux observer l'esprit de Famille, subjugué. Fama avait beau bénéficier de sa jeunesse éternelle et d'une beauté surnaturelle, ses longs voiles opaques et son attitude grave la faisaient paraître sage et âgée. Son visage se tendit vers la foule comme si elle pouvait non seulement voir son public, mais aussi décrypter chacun des devins venus assister à sa prise de parole. L'oncle Augustus le ramena à lui en tirant sur sa manche.

— Ce n'est pas aujourd'hui que nous allons écouter les augures de Fama. Nous sommes attendus.

Les deux animistes contournèrent la foule. Les rues devinrent beaucoup plus calmes une fois qu'ils s'éloignèrent de la grande place. Max en profita pour profiter de la beauté de l'architecture, faîte de marbre et de colonnades, totalement à part du reste de la Sérénissime. Le siège des Arcanes était une véritable ville au cœur de la ville. Il se racontait que la plupart de ses bâtiments avaient été construits avant la Déchirure.... et donc qu'ils étaient peut-être plus vieux que les esprits de Famille eux-mêmes ! Une autre originalité demeurait dans les signalisations du quartier, toutes transcrites en braille. Cela ne les aida guère à s'orienter à travers les rues désertes. La lourde porte de bois du monastère s'ouvrit à l'instant précis où ils parvinrent finalement à leur destination, mais ce timing n'avait rien de surprenant. Une jeune femme aux yeux aussi vides que ceux de Fama se tenait juste derrière.

— Monsieur l'explorateur ?

L'Oncle Augustus confirma sa présence à l'arcane en posant sa main sur son épaule.

— Bonjour, mia sorella. Je suis venu accompagné de mon neveu.

Ils entrèrent à sa suite dans la bâtisse. L'atmosphère du monastère était particulièrement paisible. Son manque de luminosité gênait en aucun cas les hommes et les femmes qui l'habitaient : les arcanes qu'ils croisèrent dans les couloirs avaient tous les yeux troubles. Ils se déplaçaient pourtant sans recourir à la moindre canne, à croire que leur vue était demeurée intacte ! Ils traversèrent une cour intérieure envahie d'oliviers, puis s'immobilisèrent devant ce qui ressemblait à une salle de réunion. Leur guide eut à peine le temps d'embrasser la boule de cristal tenue par la Fama de pierre qui en gardait l'entrée que la porte s'ouvrit. Un homme plus âgé tendit la main dans la direction de l'oncle Augustus comme s'il avait perçu sa présence.