8-4 : ARC-EN-TERRE

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Unnouveau départ

Trente ans.

Max n'avait pas réagi à l'annonce du verdict, abasourdi. Trente ans ? Hildegarde venait-elle d'être condamnée à passer plus de la moitié de sa vie en prison simplement pour lui avoir sauvé la vie ?

Le présent reprit ses droits sans prévenir. Les spectateurs se confondirent en applaudissements. Quelques huées, clairement minoritaires, résonnèrent aussi ci et là. Guadalupe s'épongea le front d'un mouchoir, la mine défaite. Angeles fondit en larmes. Lorenzo se laissa tomber sur son siège comme si ses jambes étaient brusquement devenues incapables de le soutenir. Des gardes se précipitaient déjà vers la prisonnière pour la ramener en cellule lorsqu'elle leur fit signe d'attendre un instant. Déjà menottée et cernée de cinq policiers, Hildegarde les convainquit de la laisser avancer jusqu'à leur niveau. Quelle ne fut pas la surprise de Max de la voir s'immobiliser face à lui au lieu de sa tante et ses cousins ! Hormis son teint plus pale qu'à l'accoutumée, elle ne laissait rien transparaître de son choc.

— Tends-moi tes mains, Max.

Hildegarde y déposa ce qu'elle avait tenu entre les siennes tout au long de l'annonce verdict. La boîte à musique remise par Guadalupe quelques jours plus tôt. L'ultime cadeau de sa grand-mère.

— J'aurais aimé le faire moi-même, mais... ce soir, au crépuscule, j'aimerais que tu déposes une gerbe de fleurs sur la tombe de la Mamà et que tu y enclenches le mécanisme. C'est extrêmement important, Max.

Maximilien eut à peine le temps de hocher la tête qu'Hildegarde se faisait déjà tirer hors de la place. Elle força un sourire rassurant à l'attention de sa famille avant de disparaître à l'intérieur de la préfecture.


L'atmosphère de la petite maisonnée fut très sombre. Maximilien broyait du noir, écrasé par la culpabilité, lorsque Guadalupe s'immobilisa à ses côtés.

— Maintenant que le procès est terminé, tu n'as plus aucune raison de rester sur Arc-en-Terre plus longtemps. Je viens de recevoir une lettre signée de la main de Janus lui-même. Tu quitteras l'arche demain à la première heure.

— Mais... Pour aller où ? demanda le jeune homme avec crainte.

— A toi de le choisir. Nos Roses des Vents desservent chacune des 20 arches majeures. Tu peux demander à être déposé sur ton Anima natale. Tu peux aussi exiger d'être laissé ailleurs, si tu le préfères.

Maximilien baissa les yeux, plongé dans une intense réflexion. Retourner à sa famille, après tout ce qu'il avait vu et vécu dans le monde ? C'était tout simplement hors de question. Mais où aller, alors ? Sur l'arche qui lui avait laissé la meilleure impression lors de ses voyages avec l'oncle Augustus ? Son cœur se serra, comme à chaque fois qu'il pensait à ce dernier. Il devait certainement le penser mort. Et cela avait beau lui faire mal de le reconnaître, il valait mieux que cela ne restât ainsi.

— Tu n'es pas obligé de prendre ta décision dans la minute, le rassura Guadalupe. Tu as jusqu'à demain pour y réfléchir.

Elle le laissa sur ces dernières paroles. Maximilien leva les yeux vers le ciel : ce dernier se peinturlurait d'orange. Il était temps d'y aller. Max prétexta une promenade pour sortir de la propriété. On ne surveillait plus ses faits et gestes maintenant que son expulsion était imminente. Il se perdit à plusieurs reprises avant de trouver son chemin jusqu'au cimetière communal. Max marcha à travers les pierres tombales, jusqu'à l'une d'entre elles, encore fleuries et sans parure de lierre.

« Hildegarde Imelda »

Lire le nom qu'il avait toujours associé à son amie lui donna un coup au cœur. Ne devait-il pas considérer l'Hildegarde qu'il connaissait comme morte elle aussi, condamnée à se faner dans une cellule avec une lucarne minuscule ? Dire que tout cela était de sa faute... Maximilien secoua la tête pour chasser les larmes qui lui montèrent au nez. Il lui devait au moins ça. Il déposa un bouquet de fleur cueillies dans le jardin de Guadalupe, le laissant rejoindre celles qui ornaient déjà la tombe de la dame disparue. Il attrapa ensuite la boîte à musique et l'observa avec circonspection. Il repéra la languette et tira. Il y eut un déclic suivi d'un « POP » sonore.

— Hé bien, j'ai cru que tu avais fini par m'oublier !

Max cligna des yeux, éberlué. Hildegarde venait d'apparaître juste à côté de lui comme par magie. Elle eut un sourire amusé pour sa stupéfaction.

— Un petit tour que j'ai mis au point il y a quelques mois. Accorder un raccourci à un objet physique, exactement comme pour nos Roses des Vents. Astucieux, n'est-ce pas ?

Le sourire d'Hildegarde s'effaça lorsqu'elle pivota vers la tombe de sa grand-mère. Sa main caressa un portrait posé au sol.

Gracias, Mamà. Merci pour tout. J'essayerai de te rendre fière.

La bouche restée béante comme une fenêtre un jour d'été, Max peinait à admettre ce à quoi il assistait. La jeune femme se retourna vers lui. Elle n'avait rien de plus sur elle que sa tunique de prisonnière, de la même manière que lui n'avait rien pris de plus que ce qu'il portait sur le dos. Il s'agissait de bien maigres bagages pour une évasion !

— Il y a une Rose des Vents clandestine à deux pas d'ici.

Elle traversa en hâte les allées du cimetière, avant de s'immobiliser devant un caveau qui disparaissait sous une montagne de lierre. Elle le força sans marquer la moindre hésitation. Maximilien écarquilla des yeux en découvrant que l'intérieur était vaste et lumineux, et comportait une dizaine de portes closes. Impossible de deviner ce sur quoi elles s'ouvriraient.

— Alors Max, prêt à me suivre ? Décide-toi vite ! On n'a pas toute la nuit, on va bientôt se rendre compte de...

— Ton évasion vient tout juste d'être signalée, mi hija.

La silhouette de Janus se précisa entre les pierres tombales. Il ramassa la boîte à musique tombée au sol.

— Intégrer un raccourci à un objet physique, comme je l'ai fait sur nos Rose des Vents... Il n'y a pas à dire. C'est une idée tout simplement brillante. Cela ne m'étonne pas que tu sois celle qui y soit parvenue en première.

Max et Hildegarde échangèrent un regard horrifié. Ils venaient d'être pris sur le fait.

— N'aies pas d'inquiétude, je ne compte pas te retenir. Je ne lèverais néanmoins pas le petit doigt si nos éclaireurs parviennent à te localiser et à te ramener en cellule. Tu es bien consciente que tu ne pourras plus jamais reposer le pied sur nos terres ?

Hildegarde hocha la tête en silence, les lèvres serrées à les blanchir. Janus lui ébouriffa affectueusement les cheveux.

— Tu me fais penser à celui que j'ai été, il y a extrêmement longtemps... Peut-être un peu trop pour ton propre bien. Je ferai en sorte de garder un œil sur toi. Adieu, mon enfant.

— Au revoir, Don Janus.


Janus détourna les talons, emprunta la porte reliée au caveau, et quitta la Rose des Vents en la claquant derrière lui. L'odeur diffuse de soleil et d'agrumes si caractéristique d'Arc-en-Terre disparut brusquement, lui faisant comprendre qu'ils avaient définitivement quitté l'arche. Les yeux d'Hildegarde s'étaient remplis de larmes à l'instant où la porte fut refermée. Mais avant que le moindre mot réconfortant n'ait eu le temps de franchir les lèvres de Max, la jeune femme s'essuya les yeux dans un geste rageur.

— J'ai toujours fait ce qui me semblait juste, ajouta-t-elle à l'attention de Maximilien. Et je suis presque soulagée de savoir que je n'aurais plus à rendre de comptes à ces vieux planqués.

Elle releva le menton et lança un regard de défi à la multitude de portes qui les entouraient. Son regard s'attarda sur chacune d'entre elles, excepté celle par laquelle Janus était sorti. Lorsque sa voix résonna de nouveau dans la rose des Vents, elle avait quelque chose d'apaisé.

— Bon. Où allons-nous maintenant ?

Sous ses airs bravaches, la voix d'Hildegarde tremblait encore un peu. Un claquement familier retentit dans la poche de Maximilien. Lorsqu'il en sortit sa boussole, la grande aiguille désignait résolument l'une des portes de la rose des vents. Max tendit une main hésitante à Hildegarde tout en lui désignant la boussole :

— Je crois avoir une petite idée sur la question.

Après l'avoir observé pendant quelques secondes, un mince sourire finit par relever ses lèvres. Elle attrapa finalement sa main tendue sans plus hésiter.

— Allons-y.

Les deux amis franchirent le pas de la porte sans jeter un regard en arrière.

Les voyages de Maximilien | LA PASSE-MIROIRWhere stories live. Discover now