Chapitre 41 : Discussions mondaines

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-Ael ? chuchota Eil, dans le tunnel caché de la salle du trône.

Le jeune homme, agenouillé à couper des racines, se releva d'un coup.

-Par les grands arbres ! Eil, c'est toi ?

Soulagée de le retrouver enfin, elle sauta dans ses bras. Les émotions de ces derniers jours avaient fait passer son inquiétude pour son ami au deuxième rang. Pourtant, en le revoyant, elle sentit tout le poids qui l'avait écrasé ces derniers temps. À cet instant, elle savait que les jours précédant ses fiançailles auraient été moins pesant s'il avait été à ses côtés.

-J'ai cru que tu avais démissionné par ma faute. J'ai cru que je ne te verrais plus jamais. Je suis désolée pour tout ce que j'ai pu dire ou faire. J'ai... j'ai besoin de toi pour survivre dans ce monde de fou.

Eil était à deux doigts de pleurer. Toute ces semaines qu'il avait passé dans sa bibliothèque l'avait fait sortir de sa morosité habituelle. Son isolement, sa docilité avaient disparu lorsqu'il était arrivé.

-Hé. Tout va bien. Ça fait longtemps que je t'ai pardonné. J'ai eu une réaction de gamin. Je n'ai pas su comprendre nos différences et en faire abstraction. Par contre, j'ai bien démissionné.

-Hein ?

-J'ai rencontré des responsables jardiniers à la sortie du jardin de Babel. Je leur ai faits tout le speech que je préparais depuis des mois et ils m'ont engagé.

Eil n'en croyait pas ses oreilles. Il avait réussi à réaliser son rêve ? Devenir apprenti jardinier au palais royal ? Qu'avait-elle fait elle de son côté ? Plier pour un mariage arrangé ? Fait quelques insolences et caprices en vain ?

Oui, elle s'était battue. Du moins c'est ce qu'elle pensait, mais pour quel résultat ? Partir de Wezenn pour toujours ? Devoir rester dans l'ombre et n'être qu'une marchandise pour quelques bouts de papiers signés ? Était-ce pour cela qu'elle s'était rebellée ? Dire qu'elle n'était pas d'accord puis dire amen à tout ce qu'on lui ordonnait ? Sa vie était plus douce, plus aventureuse mais elle n'avait rien d'une rebelle qui prend sa vie en main. Elle n'avait rien de la femme forte qu'elle voulait être.

-Je... je suis très contente pour toi Ael. Vraiment. Désolée si je ne le montre pas. Mon égoïsme préférerait que tu restes à mes côtés.

-J'ai essayé de te contacter, mais c'est plus difficile qu'on le pense d'approcher une princesse de Wezenn. Je travaille surtout de nuit pour l'entretien de cette pièce. Si tu voulais passer me voir parfois ça me ferait très plaisir.

-Je le ferais. Je dois y aller, on attend de m'applaudir en bas. J'ai gagné la course du pétale.

-Félicitations votre altesse ! Je regrette de ne pas avoir pu assister à cela.

Ael se détacha d'elle avec regret. Dans ses yeux on pouvait voir à quel point il était impressionné par l'exploit de la princesse.




Eil passa le reste de la soirée avec les convives de Morglas à leurs parler des traditions de Wezenn. Elle n'osait de nouveau plus regarder Pesked. Elle avait joué le jeu de sa mère en l'embrassant. Oui,elle l'appréciait énormément. Oui, elle pourrait très facilement tomber amoureuse. Mais avant tout, elle aurait voulu avoir le choix.

Elle ne voyait plus le beau jeune homme à la peau caramel. Elle ne voyait plus le prince cultivé et tendre. Elle ne voyait en lui qu'une cage dorée qui la privait de ses ailes.

-Félicitations ! C'était vraiment impressionnant. J'ignorais que vous saviez grimper aussi bien à Wezenn.

-Les enfants sont habitués dès le plus jeune âge.

-Je vois. Chez nous ils apprennent plutôt à nager. De vrais petits poissons. À six ans ils savent déjà en moyenne rester quatre minutes en apnée.

-Quatre minutes ? Mais c'est énorme ! Je ne pense pas que je survivrais plus d'une minute sous l'eau. Fit Eil, impressionnée.

-Nous le serons peut-être bientôt. Lui fit Pesked avec un clignement d'œil.Dans la famille royale on peut sans problème rester sous l'eau pendant une bonne heure. Rajouta-t-il en montrant ses branchies de poisson derrière ses oreilles.

-Elles sont performantes à ce point ?

Il essaya de lui faire la conversation. Elle fit du mieux qu'elle put pour faire de même. Il ne semblait pas remarquer le malaise qui la rongeait.

« Tant mieux. Si je dois l'épouser, il faut que ça se passe bien ».

La soirée était sur le point de se terminer. Eil prit congé auprès de Pesked en justifiant qu'elle devait aller voir sa sœur Kentan qui n'avait pas l'air au meilleur de sa forme. Cette dernière quittait la pièce la main posée sur le ventre, le dos courbé. Eil accéléra le pas quand sa sœur passa la porte, bientôt suivi de près par Feulst, son fiancé violent.

Elle arriva dans des couloirs sombres sans savoir où sa sœur était passée. Eil se concentra. Elle était capable de filtrer les sons. Parmi le bruit de la foule derrière elle, elle finit par distinguer des sons provenant d'une conversation moins enjouée à quelques mètres delà. Elle tourna dans un couloir encore plus sombre, où les plantes lumineuses semblaient manquer de soin. Elle voulut appeler sa sœur,mais au détour d'un couloir elle entendit le chuchotement menaçant de Feulst.

-... Tant pis on décale le mariage le mois prochain.

-Mais... On ne peut pas. Il faut bien encore un an pour régler tous les détails.

CLAC. Le bruit d'une violente gifle éclata dans les couloirs du palais.

-On n'a pas le choix pauvre sotte ! J'en parle à ta mère dès ce soir.

Eil entendit Feulst s'éloigner pendant que les sanglots de Kentan résonnaient dans le palais. Eil sentait bien qu'elle ne pouvait pas aller voir sa sœur qu'elle aimait tant. Elle sentait que la pudeur de Kentan l'empêcherait de se laisser approcher. Kentan était si sensible, si gentille. Elle essayait depuis toujours d'être forte pour ses petites sœurs mais elle avait du mal à cacher ses émotions.

Eil se contenta de s'asseoir contre le mur, à écouter sa sœur pleurer, impuissante.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant