Chapitre 1 : La dresseuse de cailloux

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Wezenn

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Wezenn.

Vous ne pouvez trouver plus belle capitale que celle-ci. Du ciel, on l'aurait prise pour une forêt. Ce qui n'est pas complètement faux. La superficie totale de la ville est recouverte d'arbres.

Ici, les enfants montent jusqu'aux cimes pour apercevoir le soleil dans son intégralité. Ici, on n'aperçoit les étoiles qu'à travers d'épaisses couches de feuillage. Si bien que la ville avait fini par couper de larges cercles dans les branches pour laisser passer un peu de lumière. Les habitants avaient crié à la barbarie. Toucher à leurs arbres, c'était détruire leurs maisons, profaner leurs dieux et bien sûr blesser durablement ce qui les abritaient, nourrissaient depuis des générations. Depuis, les mœurs avaient quelque peu changé, on acceptait d'entretenir ces gardes-lumières sans broncher. Il y avait de moins en moins de personnes qui continuaient de prier aux pieds des grands arbres. Ces derniers pouvaient facilement atteindre les nuages, leurs feuilles se mêlaient à la vapeur d'eau, leurs longues branches dansaient avec le vent et leurs racines prospéraient dans les profondeurs de la terre.

Les principaux lieux d'habitations se concentraient sur des arbres qui se mêlaient entre eux, au point que le sol était d'anciens arbres qui servaient de nourriture aux nouveaux. Des montagnes se créaient ainsi, des monts recouverts d'arbres grands et petits, de buissons fruitiers et de maisons avalées par le bois. Il s'agissait d'un véritable labyrinthe en perpétuel mouvement, se complexifiant d'années en années, sans parler des galeries creusées dans ces montagnes !

C'est dans ces mêmes galeries qu'elle avait décidé de se rendre cette nuit après une semaine pleine d'angoisse, de stress et de solitude. Espérant trouver un peu de réconfort dans la musique qui résonnait dans les entrailles de la montagne et la proximité d'autres jeunes avides d'aventure et d'alcool. Elle déambulait de bar en bar, dansant sur de la musique traditionnelle ou sur d'autres sons plus alternatifs sans pour autant consommer quoi que ce soit ni se mêler réellement aux cercles d'amis. Elle était habillée intégralement en noir, personne ne la remarquait vraiment. Une capuche sur le crâne lui recouvrait ses cheveux tressés, le seul objet de mode qu'elle portait était un cache-joues, passant sous ses yeux, longeant le nez jusqu'en bas de son visage, dissimulant ses pommettes et sa nuque. Elle paraissait bien fade à côté de l'excentricité de ses congénères qui l'acceptaient avec un grand sourire le temps d'une danse.

Après plusieurs heures passées sous terre, à crapahuter dans les couloirs difformes, irréguliers et tordus, à se déhancher sur le rythme des basses, elle finit par se décider à rentrer chez elle, épuisée. Elle quitta discrètement le bar dans lequel elle se trouvait, abandonnant deux demoiselles qui avaient été ses meilleures amies le temps d'une musique. Mais à peine avait-elle fait un pas dehors qu'elle fut interpellée. Elle tourna la tête vers la porte du bar toujours ouverte derrière elle. Un jeune homme accourait vers la sortie, bousculant les danseurs et trébuchant à deux reprises. D'ici, elle pouvait voir ses cheveux roux ondulés, son nez en trompette et ses habits multicolores. Comment une personne aussi voyante que lui pouvait la remarquer ? Il traversait la pièce comme une boule de feu sans se soucier des éclairs que lui lançaient les clients après les avoir dérangés dans leurs danses ou renversé la moitié de leurs verres sur le sol. Essoufflé, il s'arrêta en face d'elle.

-Bonsoir, mademoiselle, ravi de faire votre connaissance. Ruz Krapat pour vous servir !

Il s'inclina devant elle, avec de nombreux, beaucoup trop nombreux, mouvements de bras. Elle prit un instant avant de comprendre que le garçon tentait de lui faire une révérence. Celle-ci était ratée en tout point. Devant ce bric-à-brac de bras, son équilibre douteux et son inclinaison fortement exagérée, elle ne put s'empêcher de rire. Un rire joyeux, un rire innocent, comme elle n'en avait pas connu depuis longtemps. Ruz Krapat estima sans doute voir atteint son objectif car il se redressa avec un large sourire bienveillant.

-Je t'ai souvent aperçue dans le coin ces dernières années. Tu grimpes, tu cueilles des fruits, tu vas dans les bars, mais toujours toute seule. Je t'aurais bien pris pour une vagabonde, tout droit sortie de sa campagne, si tu n'avais pas ces yeux ressemblant étrangement à ceux de la famille royale. Ils sont bizarres, déjà le bleu n'est pas naturel, mais surtout on dirait qu'ils brillent. Comme si de l'électricité s'y était installé. Ça fait des mois et des mois que j'essaye de te mettre la main dessus, alors non, ma p'tite dame, pas question que tu files avant d'avoir répondu à deux ou trois questions !

Il lui tapota le nez avec son index.

-Qui es-tu, jeune fille ?

D'un geste sec, elle attrapa son doigt du bout de ses ongles et le repoussa au loin.

-Qui suis-je ? Es-tu seulement certain de vouloir savoir ? Es-tu prêt à voir ta vie changer à tout jamais ?

Elle fît un pas en avant et lui un en arrière. Bizarrement, il ne souriait plus du tout, incapable de détourner son regard de ses yeux bleu électrique.

-Je suis une dresseuse de cailloux. annonça-t-elle fièrement, les mains sur les hanches.

-Une... Une quoi ?

-Je dresse des cailloux, en ce moment j'essaie d'apprendre à Pierre à rester immobile. Quand je lui hurle « couchez » il ne bouge plus. Il est un peu capricieux, certes, mais je fais des progrès. Tu sais, il s'agit plus d'une passion qu'une vocation, continua-t-elle devant le visage ahuri du jeune homme. Il faut beaucoup de patience et de volonté. C'est la base de ce travail. Un jour, j'ai vu un homme dire à une montagne « stop ! » et devine quoi ! Elle n'a pas bougé ! C'était très impressionnant.

Ruz ne réagit pas durant les deux premières secondes qui suivirent ce surprenant discours, laissant planer un léger malaise. Cependant, devant la pose condescendante et fière de la dresseuse de cailloux, il ne pût se retenir plus longtemps. Il rit si fort qu'il fît sursauter un couple qui passait près de lui. La jeune femme se détendit à son tour, riant de plus belle, jusqu'à ce que Ruz lui donne une bonne claque dans le dos, à s'en faire casser sa colonne vertébrale.

-Ah, je t'aime bien, toi ! Allez, comme je suis quelqu'un de très généreux, j'accepte de bon cœur de t'offrir de quoi manger si tu me bats à la course.

-Je suis partante ! dit-elle sans une once d'hésitation. Où se trouve notre ligne d'arrivée monsieur Krapat ?

-Sortie 44 rue Lerpel, je connais un bon restaurant qui fait des menus à emporter, le seul de cette magnifique montagne à avoir l'autorisation de faire du feu, ouvert de nuit. Par contre, je te préviens : je suis un excellent grimpeur, tes chances sont bien minces, petite !

Il lui lança un regard de défi et se mit à courir.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant