Lorsque Les Arbres Auront Des Crocs

Chapitre 40 : La course du pétale

Ding.

Pesked et Eil venaient à peine de finir leur danse que la cloche sonna. Le sourire de Eil s'élargit d'un coup. Avec toutes les traditions de Wezenn qui avait été amputées à la cérémonie elle ne se doutait pas que celle-ci persisterait malgré tout. Toute la jeunesse de Wezenn, ses sœurs, ses cousins et cousines et même les employés qui servaient le champagne firent un petit cri hystérique montrant leur contentement.

-Qu'est-ce qui se passe ? demanda Pesked.

-Tu vois la grande fleur rose sur le plafond ?

Le plafond était en pique, comme toutes les salles de cérémonie de Wezenn. Celui-ci se trouvait à une trentaine de mètres du sol, tous les murs de la salle étaient faits de végétaux.

-Oui, c'est haut.

-La cloche que tu as entendu nous dit que la course va bientôt commencer.

Pesked blanchit d'un coup.

-Jusqu'à la fleur du plafond ?

Eil gloussa.

-Ne t'inquiète pas, tu n'es pas du tout obligé d'y participer. La course concerne plutôt la jeunesse de Wezenn. Regarde, même les domestiques ont posé leurs plateaux.

-Non mais attend, c'est une plaisanterie ? Tu ne vas pas aller tout là-haut ?

-Bien sûr que si ! Et compte sur moi pour tout donner !

Toute la jeunesse de Wezenn se mit au centre de la pièce ronde devant le regard stupéfiés des invités étrangers.

Eil avait quelques secondes pour jauger de la dangerosité de ses concurrents. Il y avait d'abord les domestiques qui étaient habitués à vivre parmi les arbres. Rapides, doués, mais Eil avait appris en ville qu'en général elle était bien plus habile qu'eux. Ses sœurs, qui avaient du sang royal, avec des capacités extraordinaires mais qui n'étaient jamais utilisées. Pas de danger de ce côté-là.

Et ses nombreux cousins et cousines qui vivaient dans de grandes maisons dans les arbres, dans des villes probablement lisses. Pas des concurrents non plus.

En fait, cette course était déjà gagnée d'avance. Elle arracherait le premier pétale de la fleur, et celle-ci toucherait le sol bien avant les autres. Eil se détendait déjà. Sa seule difficulté sera de se déplacer rapidement avec sa robe mais elle préférait la massacrer plutôt que de perdre cette course.

-Ne prends pas trop confiance, lui fit une voix moqueuse à côté d'elle.

Il s'agissait d'un cousin. Il avait les pupilles dilatées, une rage animale dans le regard, des dessins de racines lui parcouraient le cou.

« Le fruit des dieux ! ».

À les regarder de plus près, plusieurs de ses cousins semblaient y avoir goûté eux aussi. La course n'était pas si dans la poche que ça. Le fruit des dieux donnait des capacités très proches de celles de la famille royale pour un court laps de temps. Mêlé à l'adrénaline cela les rendait particulièrement féroce. Eil en avait déjà fait l'expérience avec le prêtre Yaouank dans la maison de Ruz.

Ding.

Eil couru le plus vite vers une des tables du buffet. Elle massacra quelques plats qui se trouvaient dessus et prit son envol vers le haut.

« Avec ce saut j'ai bien gagné quelques secondes d'avance ».

Son début spectaculaire me manqua pas à la salle qui l'applaudit en trombe. Elle grimpa de branche en branche. En quelques secondes elle avait déjà parcouru un quart de la distance qui la séparait de la fleur.

Elle prit une seconde pour voir l'avancé de ses concurrents. Les plus proches de la fleur avaient au minimum deux mètres de retard sur elle. À mi-parcours, elle sortit sa botte secrète. Elle connaissait bien cette pièce. Elle l'avait déjà explorée à l'époque où elle cherchait activement des passages secrets dans le palais. Elle avait découvert un tunnel qui lui permettait de grimper de 10 mètres sans le moindre effort. Ainsi, elle évitait aussi la zone de la salle où il manquait d'accroches pour grimper.

Elle disparut aux yeux de tous par ce tunnel. Il était caché par des fleurs, mais sinon il était large et avait même un escalier intégré. Elle n'avait qu'à courir pour gagner de précieuses secondes. Mais, au milieu, un homme était accroupi à couper des racines. Elle sauta par-dessus. Il faisait trop sombre pour voir le visage de l'homme. Mais sa silhouette lui avait suffi. Ael. Elle en était presque sûre. Elle aurait voulu s'arrêter pour vérifier mais ce qu'elle faisait là, en ce moment, asseoir son pouvoir sur des cousins trop ambitieux, lui semblait plus important.

« Je vérifierais si c'est bien lui au retour ».

Elle sortit de la galerie, grimpa encore un mètre à la verticale et de deux doigts arracha un de ses précieux pétales roses. Celui-ci tomba peu à peu, ralenti par l'air. Ses poursuivants, qui avaient bien 10 mètres de retard, regardèrent estomaqués le pétale qui passait à leur hauteur sans qu'ils ne puissent rien y faire. Elle tomba au creux de la paume de la grande reine de Wezenn durant les applaudissements étourdissant de la foule. Celle-ci leva ses yeux vers la fleur, là où se trouvait sa fille suspendue. Elle aurait pu sembler blasée par la situation si on ne la connaissant pas. Si néanmoins vous la connaissiez bien, vous auriez pu lire toute la fierté du monde sur son visage, mêlée à de la peur et de la douceur.