Lorsque Les Arbres Auront Des Crocs

Chapitre 56 : Le retour de Gevier

Eil avait pris plusieurs mois pour se remettre de ses émotions. Comme elle ne pouvait pas aller vivre chez Ael à cause des multiples fouilles qui avaient eu lieu chez lui par la garde de Morglas, ils avaient dû trouver une autre solution. Cette solution c'était Ruz. Sa famille l'avait accueilli les bras ouverts.

Voilà six mois qu'elle y vivait. Un vrai petit cocon de chaleur humaine. Comme les écoles étaient fermées pour une durée indéterminée, elle donnait des cours aux petits frères de Ruz. Mouk était plus inspiré à faire des blagues qu'à réviser ses cours de sciences. Le petit dernier de la fratrie allait souvent lui cueillir des fleurs. Mammig, qui avait la noble place de mère dans la famille Krapad, prenait régulièrement des tisanes avec sa nouvelle protégée. L'ancienne princesse pouvait aussi compter sur le soutien permanent de Ruz qui passait tout son temps libre à s'occuper d'elle, lui préparant à manger, lui faisait son lit quand elle se sentait trop mal.

Eil était en deuil, mais la famille Krapad ne l'avait rendu que plus doux. Pour la première fois de sa vie Eil était chérie, dorlotée. Malgré tout, le regard dur de sa mère lui manquait, et les sourires de sa sœur aînée encore plus.

Elle n'était pas sortie de la maison les deux premiers mois. Elle ne voulait rien savoir de la politique. Qui était au pouvoir, à quel point l'armée de Morglas était violente, les restrictions budgétaires, le rationnement. Non. Elle souhaitait juste jouer aux dés avec les petits frères de Ruz. Elle voulait juste que ce dernier lui raconte gaiement sa journée de travail. Elle voulait juste aider Mamming dans la cuisine familiale et préparer de la tisane pour toute la famille.

Ael avait préféré ne pas venir la voir pendant quelques mois le temps qu'il ne soit plus suspecté de connaître l'emplacement de la princesse. Il manquait à Eil, mais le besoin de s'éloigner totalement de son ancienne vie avait été plus puissant.

Au troisième mois, elle acceptait de sortir mais en restant sur la branche de la maison. Le quatrième mois, elle allait elle-même chercher des fruits dans les arbres aux alentours, pour nourrir la famille Krapad.

-Qu'est-ce que tu fait là ? demanda Ruz, positivement étonné de la voir un jour aussi loin de la maison.

-Je suis aller chercher des damavalous pour le dessert de ce soir.

-Tu as l'air de très bien te débrouiller ! Regarde ta sacoche est pleine !

-Oh ! Tu sais je ne suis plus aussi rapide qu'à l'époque. La perte de mes capacités royales m'a énormément affaiblie.

Eil se rappelait le moment où elle avait avoué à Ruz et à ses parents qu'elle était une des princesses de Wezenn et non pas juste une cousine. Ça les avait secoués.

-Je te promets que tu te débrouilles parfaitement bien. Si tu veux demain,on commence la cueillette des tournelunes. J'y vais avec plusieurs de mes potes. C'est payé au kilo donc pas de pression pour être rapide. Tu vas à ton rythme et on rigole !

Eil était tenté. Mais en était elle encore capable ? Elle avait peur de quitter le cocon familial. Elle avait qu'à la moindre contrariété lui rappelant sa vie d'autrefois elle perdrait des semaines d'auto-thérapie. Son deuil l'avait affreusement fragilisée mais elle sentit aussi qu'elle contrôlait mieux ses émotions et ses actes. Était-se dû au calme intérieur qu'elle trouvait dans la maison des Krapad ou bien c'était parce qu'elle avait perturbé le fluide qui coulait dans ses veines ? Avait-elle perdu la déesse mais retrouvé l'humaine en elle ? Une personne plus douce, plus emphatique, qui trouvait son bonheur dans des choses simples. Au bout de quatre mois son état oscilait entre la fierté de se découvrir et la tristesse de sa vie antérieure.

-Je ne sais pas Ruz. Je ne suis pas encore prête.

Ruz paru un peu déçu mais il lui fit tout de même un sourire compatissant.