Chapitre 20 : Rapide, honnête, claire et précise

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Le prêtre finit par lâcher son cou. Il demanda à deux de ses acolytes de l'attacher pendant que Eil reprenait difficilement son souffle. Elle avait soif. Elle avait mal. Et une fois n'est pas coutume, elle avait peur. Les hommes la poussèrent brutalement sur une chaise face au prêtre.

-Bonsoir mademoiselle. Je suis le prêtre Yaouank et sachez que je n'ai pas de temps à perdre alors ayez la politesse d'être rapide, honnête, claire et précise. Pour commencer qui êtes-vous ?

Eil souleva les sourcils avec dédain. Malgré la situation, son sale caractère prenait le pas.

-Vous n'êtes pas un peu jeune pour être prêtre ?

-Rapide nous avions dit.

-Vous êtes le seul à l'avoir dit ici.

-Je crois que vous ne comprenez pas bien la situation, mademoiselle.

-Et je crois que si je suis attachée à cette chaise c'est que vous savez très bien qui je suis. Ayez la politesse de suivre correctement vos principes et soyez rapide, honnête, clair et précis.

-Très bien, ricana Yaouank, faisons comme cela.

Il claqua des doigts et un de ses hommes s'approcha avec un sac. Il fouilla dedans et en ressortit un fruit rond et doré que Eil n'avait jamais vu. Enfin si, peut être. Sur de nombreux tableaux du palais. Le fruit des dieux.

-Savez-vous d'où vient cette petite merveille ?

Il ne fallut pas longtemps à Eil pour le deviner.

-L'arbre des dieux je suppose.

-Touché ! L'arbre que votre tante souhaite abattre.

Sa tante ? Eil croisa un instant le regard perdu de Ruz. Il avait pris un sacré coup sur la tête mais suivait tout de même la conversation. Il ne semblait pas étonné par l'affirmation du prêtre. À quoi ressemblait-elle lorsqu'elle était en ville ? Avec qui pouvait-on la confondre ?

Elle se rappela ses lentilles bleu électrique, ses tatouages de racines cachés sous son cache-joues, ses cheveux foncés la nuit. Denall. Sa cousine. La suivante de Kentan. L'héritière du trône était bien plus médiatisée que Eil et Trede. Denall devait être sur d'innombrables photos officielles.

Eil l'insulta intérieurement.

«Stupide, tellement stupide. »

Elle avait déjà entendu dire que Denall traînait en ville, mais elle n'avait jamais imaginé qu'on parlait d'elle en réalité. Eil ne montra rien de sa confusion. Elle devait garder cette erreur d'identité à son avantage.

-Abattre ? Vraiment ? Je n'ai jamais entendu parler de cela.

-Et pourtant... La fin du culte des arbres n'est que le début. L'Histoire est faite pour se répéter, n'est-ce pas ? Bien que les hommes évoluent vite, ce n'est pas assez rapide pour contrer leurs vices.

Eil souleva un sourcil attendant plus d'explication.

-Vous et votre famille avez oublié cela, n'est-ce pas ? Vous écrivez l'Histoire et plus précisément la version qui vous chante. Mais retenez bien ça, mademoiselle : « Lorsque les dieux tomberont, le feu s'abattra sur les forêts ». Il n'y a pas de phrase plus vieille en ce monde. La profession que vous voulez anéantir, la mienne, est la seule qui continuera à faire tourner le monde, que ça vous plaise ou non.

-Vous condamnez le pays à l'obscurantisme. Nous n'avons pas besoin de vous.

Eil détestait reprendre ainsi des idées émises par sa mère. Elle n'y croyait même pas. Mais elle ne souhaitait pas non plus se laisser faire par cet homme.

Lorsque Les Arbres Auront Des CrocsWo Geschichten leben. Entdecke jetzt