Chapitre XXXII

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Frustrante faiblesse


Nous pénétrions à pas de loups dans l'enceinte du palais où seul les échos lointains des combats s'évanouissaient peu à peu.

J'avais beau être le plus grand du groupe en terme de taille, je me sentais trembler jusqu'aux orteils tant le silence soudain était oppressant. Nous marchions sur un sol de pierre et pourtant le bruit de nos pas ne nous parvenait pas alors que les battements mon cœur, normalement indistincts, résonnaient dans mes tempes. 

La flamme vacillante que je tenais entre mes mains tremblantes éclairait fébrilement les entrailles de l'océan, ne nous permettant pas de voir au delà de deux pieds devant nous. Avancer dans un environnement aussi incertain et silencieux suffisait à nous glacer le sang, que cela soit à Sasha qui haletait bruyamment ou encore Yvan qui tentait nerveusement de remettre ses lunettes sur son nez. Seth affichait un sourire crispé en fixant les moindres parcelles illuminées par la lampe mais notre chef, lui, avançait sans se soucier d'où il posait les pieds et gardait son regard furieusement ardent vers le présumé fond du palais.

- " Alors, à quand les présentations ?" s'exclama Samaël qui s'était brutalement arrêté en chemin.

- " Hai hai hai, pouvons Nous savoir qui sont les déchets ayant osé souiller Notre merveilleuse et utopique cité ?"répondit une voix cristalline et mielleuse.

Ma respiration se coupa. Nous n'étions vraiment pas seuls. Certes, je m'y attendais cependant en avoir le cœur net grâce à cette réponse suffit à nouer ma gorge bien trop chargée à mon goût.  Plutôt long à la détente, il me fallut bien quelques instants avant qu'un éclair ne traverse mon esprit incapable de réfléchir convenablement à cause de toutes les sueurs froides qui dégoulinaient dans mon dos :

" Les monstres, ça ne parle pas, non ?"

Complètement sonné par la peur de ce qu'il se cachait derrière cette voix féminine à l'aspect autoritaire, mon poing se délia de la poignée de notre lanterne qui roula jusqu'au centre la pièce, éclairant du même coup la silhouette de notre interlocutrice.

Cependant, avant même que l'un d'entre nous n'ait le temps de la détailler que la voix empressé de Samaël s'éleva avec force au fond de l'eau.

- " Tous à terre !" hurla-t-il en se jetant en avant.

La gigantesque sirène auparavant assise sur son trône de pierre s'était levée et sa queue, animée de vifs mouvements horizontaux, l'avait propulsée jusqu'à nous. Elle envoya une première onde d'eau sur nous avec son trident que nous avions pu éviter de justesse grâce à Samaël qui l'empêchait désormais d'en renvoyer une suivante à raz du sol grâce à la lance de pierre qu'elle brandissait.

Derrière nous, les premières colonnes de pierre s'effondrèrent dans un fracas retentissant sous la puissance dévastatrice de l'onde qui les avait tranché en se répandant au delà de la pointe de son arme.

Encore sonnés par l'attaque inattendue du monstre, nous regardions depuis le sol le corps de Samaël trembler sous la force de la sirène couronnée qui le surmontait de plusieurs têtes. Sa lame vibrait frénétiquement sous la fore de l'impact et ne pouvant pas se retenir grâce au sol, la seule chose qui empêchait son arme de se briser était son recul progressif.

J'avais l'impression d'être étranger à la scène, comme si c'était irréel. Mon corps était pris de spasmes incessants ; " Mon frère est en train de perdre, il va vraiment perdre ?" se lamentait ma caboche dans ce flot de pensées. Ce constat me paraissait tant inconcevable que je sombrais petit à  petit dans la folie, riant et tremblant nerveusement devant la défaite proche de l'invincible Samaël.

Je n'arrivais plus à bouger, mon meilleur ami depuis toujours allait se faire tuer et moi, terré dans mes peurs et mes angoisses, je me cachais le front contre le sol en espérant m'échapper de ce cauchemar, vraiment ? Même me soucier de mes camarades me semblait inutile, je ne voulais que sauver ma peau, comme le lâche et le faible que j'ai toujours été. Ma taille gigantesque ne changeait rien, je n'étais rien d'autre qu'un déchet.

- " Trois Pommes !" m'appela-t-il soudainement, la respiration saccadée. " Je vais pas tenir bien longtemps, j'ai besoin de toi ! Dépêche, faut que tu la jarte, maintenant !"

Il m'appelait mais je n'arrivais pas à m'en empêcher, il fallait que je me bouche les oreilles, je ne voulais pas y croire.

- " Trois Pommes, qu'est-ce que tu fous ?! Je vais me faire buter, merde !" hurla-t-il avec plus d'impatience en jetant un rapide coup d'œil dans ma direction."

C'était impossible. Je n'y arriverais pas. Samaël était à moitié monstre et aussi le plus fort de tout Rosran, même du pays, ce n'était pas un minable comme moi qui allait le sauver, me convainquais-je sans arrêt.

Les cris de frustration de mes camarades s'arrachèrent de leurs cordes vocales et rejoignirent la tempête qui faisait rage dans mon esprit. Je ne pouvais pas, je n'y arrivais pas. Mes camarades s'étaient levés et tentaient de lui prêter soutien mais ils firent rapidement évincés et projetés au loin par les tentacules de la sirène, disparaissant de mon champ de vision. Ils durent se fracasser contre les murs du palais car un puissant choc parcourut le sol jusqu'à mon corps cloué à terre.

Dans ma torpeur, j'avais l'impression que le temps s'arrêtait chaque instant. Les mains qui couvraient mes oreilles descendirent progressivement jusqu'à ma nuque et empoignaient si férocement ma combinaison que mes veines ressortirent sur le dos de mes poings.

Devant moi, au milieu du néant obscur des profondeurs marines, apparaissait la silhouette de Samaël. En même temps que nos camarades, la lance de pierre de la reine des monstres l'avait repoussé et il échangeait désormais de multiples coups qui tranchaient davantage la pierre du château que la chair des combattants.

- " Putain, Keith ! T'es p't'être pas le seul à pouvoir le faire au monde mais là, y'a que toi qui peut la dégager avec ta masse, merde !" supplia une fois de plus mon Maître à deux doigts de s'effondrer au sol.

- "C'est trop dur..." avortais-je en observant le profil victorieux de la sirène qui repoussait sans aucune difficulté la totalité des assauts de mon modèle.

Cette sirène, elle avait parlé. Les seuls monstres capables de cette prouesse étaient les plus puissants, des monstres mythiques, même légendaires, qu'est-ce que je pourrais bien faire, moi, le petit gosse terré dans ses propres bras, face à ce démon ?



Flügel-Tome IIUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum