Tourment sauvage
Remontant nerveusement les lunettes qui retombaient sur mon nez, je pouvais affirmer avec certitude que le calme m'avait abandonné à la seconde même où nous avions aperçu le dernier sous-sol de la mine.
A mesure que l'on s'aventure dans les méandres d'un donjon, la force des créatures rencontrées va en conséquence et peut aller jusqu'à tripler depuis l'entrée de l'antre jusqu'à sa fin. C'est un fait commun et cette mine n'a pas dérogé à la règle. Suivant cette hiérarchie, nos adversaires s'amélioraient à vue d'œil cependant, cela ne suffisait pas à nous faire flancher.
Mais là, à la dernière state, c'était juste de la folie.
Éclairée par un léger halo brûlé provenant de quelques torches disséminés çà et là dans une cavité géante dont on ne voyait la fin, une véritable armée de bêtes colossales fourmillait autour de son semblant de chef. Les sabots noirs des bovidés frappaient le sol au rythme des hurlements qu'ils poussaient en réponse à ceux de leur chef, résonnant effroyablement dans la caverne. De là où nous étions, nous ne voyions que les cornes jais s'agiter au dessus de l'épais nuage de poussière et de terre soulevée par leur entrain. Ressemblant à la préparation d'un véritable assaut, j'étouffais un soupir épuisé pour ne pas nous faire repérer.
Ils devaient avoir découverts notre passage dans les étages précédents, réalisais-je en mon for intérieur. Enfin, après tout, ce n'était pas comme si nous avions fait preuve de discrétion jusqu'à présent.
Même si nous ne pouvions voir leur corps, leur identité ne nous était pas inconnue. Ce lieu était en réalité le repaire d'un troupeau de minotaure existant depuis au moins plusieurs décennies. C'en était même surprenant que personne ne les ait signalés auparavant.
Me remémorant l'apparence de nos précédents ennemis, je parvenais à dessiner dans mon esprit le portrait de ses nouveaux adversaires. Leur peau noire, épaisse et solide devait sans doute être couverte par un pelage blanc cassé, ras et rêche, laissant leur pectoraux et abdominaux à l'air libre. Debout sur leur deux pattes arrières, chacun d'entre eux devait porter, entre ses poings remplaçant les sabots avants et sur leur corps doté d'une musculature excessive, des armes assez primitive à l'exemple de gourdin ou de lance fabriquée à la main.
Toutefois, ce n'était pas tant leur corps qui différait entre les étages, mis à part le développement de leurs muscles, c'était leur visage humanoïde étonnement expressif qui devenait de plus en plus inquiétant. Leurs traits étaient tirés et leur visage perpétuellement en colère se striait de plus en plus. Leur crinière s'épaississait sans pour autant être peignées entre-temps et les cornes sur leur crâne grandissaient tout comme les crocs dépassant de leur gueule.
Délicatement, Samaël attira notre attention et désigna en silence le centre de la foule, son autre doigts nous intimant de ne pas faire de bruit.
Sa main indiquait le fameux chef vénéré par le reste du troupeau. Assez craintif, je l'avoue, je n'avais pas encore eu le courage de l'observer avant que le Maître ne l'ordonne.
En un instant mon sang se glaça et mon corps, ayant brutalement perdu ses couleurs déjà pâles, semblait s'être vidé de son sang. Jamais je n'oublierai la terreur qui m'avait envahi et coupé la respiration provenant de cet être tout simplement inimaginable.
Ses yeux en forme de croissant de lune et injectés de sang laissaient apparaître des iris vairons capables d'absorber toute l'énergie en vous. Les crocs acérés qui allaient au delà de son "menton" étaient encore couverts du sang et de la chair de leur dernier repas. Des anneaux d'acier et de jade plantaient son visage et ses cornes démesurément grandes par endroits et sa langue baveuse pourléchait ses autres dents tout aussi pointues.
Un collier fait des parties du corps d'anciens hommes retombait sur son torse bombé et à son épaule était soutenue une masse d'acier si bien taillée qu'elle paraissait sortir tout droit d'une forge réputée. Sa crinière ébouriffée et sang de bœuf se laissait aller jusqu'au creux de son dos mais le sommet de son crâne en était privé, comme si le Minautore subissait une calvitie. De plus, à la différence de ses congénères, son pelage se parait d'un rouge brûlé tandis que les parties de sa peau visibles avait la couleur d'un cuir sombre et vieilli.
Mais le plus effrayant encore était sa taille de titan. Si un Minotaure d'âge moyen atteignait déjà les cinq mètres, celui-ci devait bien faire quinze, soit bien plus grand que l'Aquaène Queen qui m'avait envoyé au tapis sans problème. Les sous-fifres qui l'entouraient n'atteignaient que le bout de tissu usé qui pendait à sa taille.
Quel âge pouvait-il bien avoir ? Cette question me taraudait toujours plus. Il n'y avait que très peu de chances qu'un Minotaure atteigne cette taille. D'ordinaire, ces bêtes ne vivent pas plus de vingt ans en temps normal et se retrouvent à la taille décente de cinq mètres. Pour que cette espèce atteigne quinze mètres, quarante ans serait le minimum requis, bien que je n'ai aucune connaissance en la matière pour l'affirmer. Cependant, à la vue de sa couleur différente du reste du troupeau, il aurait dû être vu comme une autre race et ensuite éliminé... Combien de créatures a-t-il bien dû tué pour en arriver là ?
Alors que je me perdais en réflexion, Seth commença à dessiner un plan de l'antre vue de haut réalisé avec approximation à cause du manque de visibilité que nous avions et nous donner à tous l'indication des différentes sorties avant de passer à notre stratégie.
Soudain, le bruit d'un petit caillou roulant sur le sol nous sortit tous de notre concentration. En tournant les yeux vers la provenance de ce son, nous remarquâmes en effet un bout de roche s'approcher de nous.
Croyant que ce n'était rien, Sasha soupira de soulagement mais sans même avoir le temps de se remettre à l'écoute, son regard se figea sur le faciès d'un des Minotaures.
Désormais à quelques mètres de nous, ses prunelles restaient grandes ouvertes face aux humains qu'il venait de repérer.
