Chapitre XIX

20 4 40
                                    

Insensé

Confortablement adossé dans mon fauteuil, mon livre reposant lourdement sur mes cuisses, j'attendais impatiemment que le long discours de Sasha s'achève. N'en montrant pas un signe, je me contentais de les regarder dans les yeux, accordant une oreille quelque peu distraite à son sermon.

Légèrement ennuyé, je repensais à combien cet endroit était tranquille avant que l'hurluberlu à mes côtés et ses acolytes ne s'en servent comme point de rendez-vous. Oui, tout était bien plus calme pourtant... leur présence, bien qu'envahissante, ne me dérangeait pas autant que je ne l'aurais cru.

Je dus réprimer un rire discret en observant l'air mi-ahuri mi-admiratif du fameux héritier de la guilde qui saisissait l'ampleur de son ignorance. On aurait dit un gosse en train d'écouter un conte avant d'aller se coucher...

Et, malgré ma réticence à rencontrer d'autres richards se complaisant dans l'oisiveté, je devais bien reconnaître que les connaissances de cette demoiselle m'impressionnaient. Bien que je ne me sois jamais intéressé à la faune de la région, il fallait bien se douter que de tels détails ne pouvaient être appris sans difficulté pour une personne qui ne s'y investissait pas pleinement. Ses visites récurrentes à la bibliothèque était d'ailleurs une preuve irréfutable de son engouement.

Le temps passait mais son monologue n'avait pas l'air prêt de se terminer. Durant ce temps, les autres parasites arrivèrent au moment où j'hésitais à me replonger dans ma lecture, coupant court à la tirade de la gamine.

- " Hé, Yvan ! Tu devineras jamais ce qu'on a fait, hier !" hurla la voix enjouée de Trois Pommes, le plus petit d'entre eux, dont le prénom m'a échappé.

Oh que si, je le devine aisément, songeais-je avec sarcasme en observant la silhouette de ce minus et son ami, courant effrontément dans la bibliothèque. Au moins comme ça, la fille s'est enfin tût.

Dans ma réflexion, je crus entendre le fils à papa lui expliquer je j'étais déjà au courant de tout. Ils se frottèrent tous les trois la nuque d'un air gêné ; leur coordination parfaite en devenait presque comique.

Ils avaient beau essayer d'être naturel, leur malaise était plus qu'apparent et, devinant sans difficulté leur frustration, une idée insensée me traversa l'esprit. Et si, je les aidais ?

Cette pensée m'effleura très brièvement avant que je ne la balaye de mon cerveau d'un geste de la tête. Cela serait bien trop ennuyeux, qui plus est, je n'ai aucune raison de prêter main forte à ces énergumènes, me convainquais-je obstinément.

Autour de moi, les mioches rigolaient ironiquement de leur propre impuissance en ignorant royalement l'agacement de la bourge, interrompue dans son récit.

C'était chiant... Pardonnez-moi, chers parents, d'employer un terme aussi vulgaire et dépravé mais il est sans aucun doute possible le plus adapté à cette situation.

J'aurais du me replonger dans ma lecture, éjecter ces insectes et me noyer dans le livre de comptes des activités de la région mais, ma langue n'a pas tourné sept fois dans ma bouche et s'est mise à parler sans aucune logique apparente :

- " Je vais vous aider." avait-elle annoncer alors que mes jambes soulevaient mon corps en dehors du fauteuil.

A ces mots, tous se raidirent, un regard abasourdi pesant sur moi. La surprise devait engloutir leur esprit mais, le plus étonné n'était autre que moi-même, me demandant inlassablement dans quoi je m'étais embarqué.

Leur position semblait s'être interrompu dans le temps un instant mais, en m'observant partir de mon siège, ils se mirent à me suivre à grandes enjambées pour en pas se laisser distancer. Ils devaient sûrement se demander ce qu'il m'était passé par la tête et tous, sans exception, m'emboîtaient le pas en m'accablant de questions.

Sortis du gigantesque bâtiment, je nous avais dirigé vers l'orée de Rosran, dans un coin ensoleillé où aucune once d'ombre ne ressortait et donc, où aucune Virace ne pourrait pointer le bout de son nez, si elle en possède un, d'ailleurs.

Depuis que mes jambes me permettent de me tenir droit, ma famille a fait venir un tuteur qui m'enseigna jour après jour les bases de l'escrime. En toute honnêteté, je ne ressens aucune rancune envers mes géniteurs m'ayant imposé cet art bien que je n'ai jamais apprécié le fait d'agiter un bout de métal devant moi.

En vérité, eux non-plus n'aimaient l'idée de voir leur fils unique se faire rouer de coups durant des années mais, cette décision n'était pas de leur ressort. Tous les nobles mâles, sans exception, devaient savoir manier l'épée dès leur plus jeune âge dans le cas où ils seraient mobilisés au front dans le cadre de la guerre engagée depuis une décennie déjà et bien loin d'être achevée.

Cette réalité a du être acceptée et connue de tous les nobles et bourgeois du pays. Après tout, apprendre l'épée avait un coût relativement élevé, sans quoi, aucun paysan ne pouvait se permettre de la maîtriser. C'est pour cette raison qu'elle incuba à la noblesse et la bourgeoisie. Cependant, la plupart des aventuriers est déjà réquisitionnée pour le front même sans de bonnes origines.

Le roi veut des soldats forts, leur statut social ne l'intéresse point.

Si cette tâche me pesait énormément, je devais bien avouer tirer une certaine satisfaction de pouvoir me servir de cet apprentissage pour aider ces morveux.

- " Je vais vous enseigner l'art de l'escrime ici et maintenant, chaque jour, qu'il pleuve, qu'il vente ou bien qu'il neige, sans exception. Vous avez intérêt de m'écouter et de réussir sinon, je vous ferais regretter de m'avoir fait perdre mon temps." avais-je clamé en pointant devant eux un bâton ramassé sur le chemin et suffisamment grand pour servir de substitut à ma rapière laissée à mon domicile.

Ainsi, malgré leur étonnement de début, durant de longs mois, mes journées se passèrent à entraîner ces gamins faiblards à l'escrime pour qu'il puisse enfin vaincre la fichue Virace qui les avait battu.

Ils étaient faibles, en particulier Sasha qui nous avait rejoins pour je-ne-sais-quelle-raison, toutefois, leur efforts finirent par payer au bout de tous ces longs mois de travail acharné, surtout en comptant la patience dont j'avais du faire preuve devant leur médiocrité d'origine.

Flügel-Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant