Chapitre XXXX

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Déchéance

Ce jour-là fut connu comme étant celui des funérailles du Maître de la guilde de Rosran, Samaël.

Ce jour-là, une pluie froide s'écoulait des nuages et glaçait les costumes et les robes noires de chacun présents à l'enterrement.

Malgré le manque de temps nécessaire pour prévenir toutes les personnes qui auraient tenues à être présentes, il y avait une foule immense agglutinée à l'arrière du bâtiment. Lulu et Celian ne devaient même pas être au courant de sa mort. Il s'agissait principalement des villageois, les personnes n'habitant pas dans la bourgade aillant été prévenu que très tardivement du décès de l'hybride.

Ils avaient beau le rejeter ouvertement de son vivant, c'était avec surprise qu'ils étaient là, pleurant d'innombrables larmes malgré la météo. Les serveuses et les hôtesses qui avaient intégrées la guilde pour les beaux yeux de Samaël hurlaient par moment et reniflaient bruyamment, leur mouchoirs de soie constamment posté près de leur visage déformé par les pleurs.

Le charpentier décida même d'ériger un monument de pierre blanche à l'arrière de la bâtisse, devant le banc sur lequel le monstre s'asseyait pour contempler les montagnes. Ses compétences en taille de pierre étant limitée, le monument restait très simple mais pourtant il dégageait une noblesse qui rappelait grandement le charisme du défunt.

A son pied, reposait nombre de fleurs, déposées avec peine et tristesse.

Les fondateurs, attendant discrètement le début de l'enterrement depuis un angle du bâtiment, n'en avait posé aucune. Ils savaient combien leur ami chérissait la vie d'autrui en dépit de ses métier d'aventurier. Il répétait sans cesse qu'arracher la vie à des fleurs innocentes pour rendre hommage à un mort était absurde. Certains auraient trouvé que ne pas déposer quoique ce soit devant la tombe était irrespectueux mais, au moins à cet instant, les anciens amis voulaient honorer sa mémoire et sa façon de penser si particulière.

Ne versant aucune larme du début à la fin, le masque de pierre qu'ils portaient eu le don dans n'impressionner plus d'un et d'en écœurer les autres qui n'y voyaient là qu'un cruel manque d'empathie.

A la demande de l'ancien Maître, l'hiver pointant et la neige recouvrant le sol, ce fut Keith qui reprit ses fonctions, soutenu par ses camarades.

Même si les fondateurs s'évertuaient à continuer les activités de la guilde, le manque du Maître se faisait terriblement ressentir et, très vite, un nombre incalculable d'aventuriers et d'employées déserta.

Ils avaient peur pour leur vie, disaient-ils... Ou encore que sans le bel hybride, une pauvre guilde de campagnes n'avait rien d'attrayant.

Mis à part les premiers aventuriers de la ville, ceux issus de l'ancienne guilde de Rosran dirigée par le père de Seth, il n'y avait plus personne si ce n'est le barman au crâne brillant comme un œuf.

- "C'est dégueulasse..." pesta Seth, le poing serré. " C'est tout de même nous et Samaël qui sommes les plus affectés et pourtant... ils se comportent tous comme s'ils étaient les victimes dans cette histoire... On dirait que ces greluches s'attendaient à avoir une chance avec lui et que ces imbéciles de novices pensaient pouvoir devenir un homme de sa trempe... Comme si."

Soudain, un bruit de fracas résonna depuis l'étage. Ignorant leur discussion, Keith et Seth se précipitèrent vers la source du bruit et, constatant qu'il provenait de la chambre de Sasha, ils hésitèrent longuement avant de rentrer. Ils ne toquèrent pas, c'était inutile vu l'état dans lequel elle se trouvait. 

La pièce était sans dessus-dessous.  Les bibelots étaient en morceaux, les livres avaient valdingués dans toute la pièce. Le lit, complètement défait, semblait prêt à s'avachir sur le sol et certains meubles étaient tombés sous la colère.

Recroquevillée sur elle-même, ses doigts tirant férocement sur sa chevelure décoiffée et ses ongles plantés dans son crâne, elle pleurait et hurlait de douleur à la fois, ses paupières ne parvenant même pas à s'affaisser. Ses yeux rouges et sanguins fixaient un point invisible devant elle et son souffle haletant et irrégulier, soulevant sa poitrine camouflée par ses genoux, résonnait dans toute la chambre. Elle semblait avoir épuisée toutes les larmes de son corps mais cela n'avait pas suffi à étancher sa tristesse.

Fébrilement, Seth s'approcha d'elle et tenta de poser sa main sur son épaule tremblante pour la calmer.

Oui, c'est elle qui souffre le plus. Elle doit se sentir coupable et... il est mort à même ses lèvres, songea Keith avec effroi, n'arrivant pas à faire un pas de plus, stoïque sous la chambranle.

Comme s'il l'avait brûlé, Seth retira immédiatement ses doigts de Sasha et observa la demoiselle qui murmurait des bribes de phrases pour elle-même, la voix tiraillée par les sanglots :

- " Samaël... Je ne supporte plus les silences laissés par ton absence..."

Quelques jours plus tard, Sasha avait décidé de loger ailleurs qu'à la guilde, même si elle souhaitait poursuivre son travail dans le seul vestige laissé par son amant, elle se sentait incapable de dormir dans ces locaux et avait retrouvé les draps de son manoir en attendant de pouvoir retrouver une maison.

Un soir, alors que la guilde étaient vidée même de ses fondateurs, Keith s'installa lourdement sur l'un es tabourets du bar et se servit une choppe débordante d'alcool qui l'ingéra d'une traite avant de se resservir. C'était la première fois qu'il buvait. Même lors des fêtes, il ne touchait pas à ce breuvage mais là, il sentait que c'était ce dont il avait le plus besoin.

- " J'en peux plus, Samaël... Cette guilde, elle n'est rien sans toi... Même nous, je me demande si nous allons réellement pouvoir nous parler normalement. Je ne me souviens même plus de la dernière fois que j'ai parler avec les gars comme on le faisait avant..." soupira-t-il, son nez rougeoyant sous l'effet de la boisson.

Quittant la ville, il vagabonda toute la nuit sous la neige, au milieu des plaines et une bouteille à la main. Il était loin de marcher droit et, manquant de trébucher sur quelque chose, il posa les yeux sur un môme, effondré dans la neige. Hésitant longuement à ramasser cet enfant qui ressemblait trait pour trait, autant dans les guenilles que dans la maigreur, à son meilleur ami, il finit par le porter à contre-cœur jusque dans sa bâtisse.

Plus tard, cet enfant sera connu sous le nom de "Lash".

Flügel-Tome IIWhere stories live. Discover now