Chapitre XX

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Comment meurt une ombre

Cela faisait des mois que nous nous efforcions d'agiter en l'air de longs bâtons sous les ordres du rat de biblio' dans l'espoir de vaincre une Virace. L'impression de déchirer l'air à chacun de nos coups se faisait plus importante. Les ampoules qui gonflaient nos mains n'étaient qu'une preuve de plus à notre dévouement, ou plutôt notre frustration.

Ce jour-là, les feuilles commençaient déjà à perdre l'éclat d'émeraude qui reluisait sur elles tandis qu'un voile pâle, de plus en plus brûlé, venait les colorer. L'herbe se vêtit du même apparat brillant. Les brises étaient plus fortes et fraîches, elles-aussi mais les restes du soleil de l'été passé persistaient à réchauffer les frêles journées au travers des nombreux nuages qui maculaient le ciel clair.

Ce jour-là, l'automne pointant le bout de son nez, Yvan nous a annoncé que nous étions fin prêts. Et c'est ainsi que, aujourd'hui sous les rayons de plomb du soleil, nous encerclions tous ensemble le muret où la Virace faisait son office.

En jetant un regard à tous mes camarades, m'attardant sur la robe, doublée de cuir et digne d'une paysanne, que portait Sasha, mon esprit songea à la conversation que j'avais eu avec elle, quelques jours plus tôt.

*

Après plusieurs heures d'entraînement, je transpirais à grosses gouttes et mon bâton oscillait sous les tremblements de mes doigts. Je passais le revers de ma main sur mon front et aperçus du coin de l'œil la silhouette de Sasha s'approcher de moi.

- " T-Tu dois être content ! Nous sommes enfin capables de battre ce monstre et, grâce à mes connaissances, aucun risque de perdre !" clama-t-elle le visage écarlate, sans doute échauffé par l'exercice.

En observant son accoutrement, je m'étais senti mal pour elle quoique légèrement décontenancé. Elle portait une robe dont le tissu était noyé sous une myriade de froufrous et de nœuds, le tout couvrant une sorte de chemise assez épaisse.

En plus d'avoir chaud, elle va être lente et encombrée, avais-je constaté en ne pouvant cesser de dévisager ses caprices.

- " Ouais mais tu ne devrais pas t'habiller comme ça quand on ira. Tu ressembles à une meringue, là..."

A mes mots, elle s'était raidie de tout son long et avait porté son regard sur toute sa tenue. A mon grand étonnement, elle ne s'énerva pas comme je m'y attendais et surtout comme elle le faisait avec les autres, n'affichant qu'une moue indescriptible sur son visage.

*

Avant de reporter mon attention au bas du muret d'où commençait à émerger une sorte d'ombre visqueuse, je fus ravi de constater que Sasha avait écouté mes conseils. Du reste, Keith n'était pas très adroit avec les épées et portait un bâton plus gros et semblable à une masse légère qui, bien qu'alourdi, lui permettait de toucher son adversaire même avec peu de précision. Sasha, Seth et moi-même nous tenions en arrière brandissant un bout de bois assez fin mais solide tandis qu'Yvan était le seul à bénéficier d'une rapière métallique.

- " Il arrive, tous en garde !" clamais-je en observant le corps de la Virace prendre de plus en plus d'espace dans l'air.

Comme un homme, tous se mirent en mouvement et focalisèrent toute leur attention sur le monstre en approche. Ma main se resserra nerveusement sur la poigne du bois ; je peinais à refréner mon envie de frapper cette créature sans attendre que son corps soit entier.

"Elle est sans défense" pourrait-on croire mais, d'après les dires de notre experte, son corps ne prends un aspect physique et sensible aux coups dès lors que la totalité de sa masse est sortie. Là réside toute la difficulté ; à chacun de ses replis dans l'ombre, nous ne pourrons la toucher.

Flügel-Tome IIDonde viven las historias. Descúbrelo ahora