Chapitre XVIII

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Les étoiles ne voient ni leur éclat ni la nuit qu'elles illuminent

Après un long moment passé à récupérer de notre attaque, nous sommes rentrés chacun de notre côté.

De mon côté, je suis retourné jusqu'à chez moi. Pour la première fois de ma vie, je me suis senti honteux de passer les deux battants de la guilde. Comment pouvais-je me présenter comme le fils du Maître alors que j'ai été incapable de faire quoique ce soit devant un monstre ?

Ce genre de bête n'était que du menu fretin pour mon papa alors qu'à trois, Samaël, Keith et moi n'avions rien pu faire. Je me sentais profondément ridicule d'espérer devenir un aventurier après m'être presque fait dessus face à cette fichu bestiole. Ce sentiment m'accablait et semblait peser sur mes épaules au point de me faire ramper à même le sol.

La nuit, au moment de me coucher, ce furent mes poings qui s'exprimèrent, là où les mots n'avaient plus de sens. Ils s'accrochaient désespérément  à ma couverture et la portèrent à mon visage. Je devais au moins étouffer le bruit de pleurs et cacher ses larmes inavouables à ma famille ; il ne fallait pas qu'ils découvrent à quel point leur enfant chéri était misérable.

Je ne veux pas les affliger. Maman doit être fière de moi et papa doit toujours pouvoir me présenter avec orgueil comme son fils. Cela ne peut en être autrement.

Souvent, ces pensées s'emparaient de mon esprit, l'engloutissant dans des flots sombres et effrayants. Être à côté de quelqu'un pour qui l'admiration nous coupe le souffle est à la fois une immense joie et un honneur qui nous emplie les poumons d'air frais. Mais, en général, je me laisse si facilement accabler par ma propre faiblesse ; pourquoi ne suis-je pas comme lui, se répète sans cesse dans mon crâne où l'écho semble faire office.

La figure de mon héros me paraît toujours auréolé d'un éclat propre aux meilleurs, à ceux qu'on admire, pas les pauvres déchets qui les idolâtrent. Derrière, mon corps, lui, parait sombre, comme dissimulé dans le paysage ignoré de tous.

Papa, si je suis là, si minable, si lamentable, ça ne te fait pas honte, hein ? Et vous, les amis, n'avez-vous pas pitié d'une personne misérable et dépourvue de talent comme moi ?

Keith et ton innocente joie, la belle et fugace Sasha, l'érudit Yvan et toi, Samaël, le valeureux gamin. Est-ce qu'à vos côtés, je ne fais pas tâche ? Ne serait-ce pas mieux que je sois loin dans votre ombre, à un endroit où les gens n'auraient pas l'idée de vous associer à ma répugnante personne ?

Balloté par ces sentiments, mes paupières s'affaissèrent d'elle-même sous la fatigue et mes larmes devinrent vite sèches, dépourvues de larmes à pleurer.

Quand vint le matin, ils étaient encore rougis mais je ne m'en souciais pas vraiment. Papa serait déjà occupé à la guilde et maman  devrait se rendre au marché assez tôt pour acheter des œufs. Ainsi, personne ne remarquerait mon état ; ce n'était certainement pas les aventuriers qui se soucieraient d'un môme qu'ils voient jour après jour sans même lui avoir déjà accorder un seul regard.

Quelques foulées plus tard, après avoir esquivé les grosses jambes des soûlots restés paresser sur leur tonneau la veille, la silhouette digne d'Yvan apparut dans mon champ de vision, reposant toujours sur son vieux fauteuil à lire des heures durant.

Allez, je ne pouvais certainement pas avoir un air aussi pitoyable devant Yvan. Je suis un guerrier pour mes amis, pas un pleurnichard. Mes mains frappèrent énergiquement mes joues, redonnant des couleurs à ma peau plus pâle que d'ordinaire et, tirant sur elles, je forçais un sourire plein d'entrain.

- " Hé ! Yvan, toujours à jouer les rats de biblio' ?" plaisantais-je avec une bonne humour dont on ne pouvait douter.

Pour seule réponse, le lecteur assidu me rendit un regard sans replonger le nez dans son bouquin, chose assez rare pour être remarquée. Je l'observais avec plus d'attention, profitant du fait que son visage ne soit pas tourné vers son livre mais peu importe combien de fois je le faisais, je n'arrivais toujours pas à déterminer le moindre changement dans son expression.

Je pouffais devant mon obstination. Yvan est quelqu'un d'indéchiffrable, il me faudrait plusieurs vies pour découvrir les minuscules fluctuations sur son faciès de pierre.

Sans même une sommation, il m'asséna d'une question des plus inattendus, songeant que je n'avais pas la forme.

Mon visage se décomposa sous l'incompréhension cependant, saisissant qu'il serait inutile de chercher le comment, je me résignais à lui raconter notre cuisante défaite de la veille, omettant bien entendu mes plus intimes pensées.

Après avoir achevé mes dernières paroles, je tournais mon regard vers Yvan en attendant une quelconque réaction de sa part pourtant un rire cristallin et hilare fut ma seule réponse, un rire bien trop aiguë et féminin pour appartenir à un personnage aussi charismatique et digne que mon camarade. Yvan aussi laissa échapper une brève lueur d'étonnement sur son visage stoïque.

Quelques secondes s'écoulèrent avant que les gloussements ne s'estompent et que leur propriétaire n'apparaisse d'un rayonnage plus loin.

- " Vous êtes vraiment idiots pour avoir songé être suffisamment fort pour vous débarrasser d'un monstre, les gars." certifia-t-elle avec assurance en dévoilant son visage déconcerté.

Elle avait raison, je le savais mais qu'elle se sente obligée de me le rappeler me sortit de mes gonds. Lui répondant du tac au tac par une provocation, je m'attendais à déclencher une guerre mais étrangement, elle ne se laissa pas emporter par de la colère. Elle conserva pour la première son calme et en la voyant ainsi, je découvris ce que faisait d'elle une noble.

- " Je ne dis pas ça pour être méchante. Vu comme tu l'as raconté, on vois combien ce monstre vous était inconnu. Au moins se renseigner n'aurait pas été de trop. Pour ta gouverne, la Virace apparait et disparaît instantanément dans des coins d'ombre. Elle est très rapide et son nom provient de son incroyable vivacité et de son caractère irascible. Il faut au moins le vaincre en un coup, sans quoi son corps poisseux est capable de se "recoller". De plus, ses crocs et ses griffes représentent des armes assez puissantes pour déchirer du cuir de très bonne facture..."

Le monologue de cette fille était très long cependant, j'étais pendu à ses lèvres et Yvan ne décrochait pas non plus de son explication. Sans m'en rendre compte, j'étais déjà envoûté par le savoir de cette passionnée.

Elle aussi est baignée de cette lumière blanche, celle qui irradie de sa superbe les grands de ce monde, songeais-je dans une flot de sentiments contradictoires, les yeux rivés sur sa lippe.


Flügel-Tome IIWhere stories live. Discover now