Chapitre XXX

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Naufrage

Cela ne faisait que quelques minutes depuis que la mêlée avait commencé et pourtant, nous étions déjà tous séparés au fond de l'océan. Sans même nous attendre, le scaphandrier d'argent et Samaël s'étaient élancés au cœur de la bataille et les cris stridents des monstres retentissaient, maintenant que les arrivants nous avaient expliqué que seul un coup fatal pouvait venir à bout de la régénération de nos adversaires.

Le connaissant depuis que nous sommes gosses, je n'en attendais pas moins de mon meilleur ami, même mon frère, pourtant, je devais bien avoué que je m'étais senti à des années lumières de lui quand lui et le combattant argenté s'étaient mis dos à dos et maîtrisé sans mal la véritable marée de poiscailles.

Ce n'est certainement pas ce crétin qui me remplacera, marmonnais-je en assénant un puissant coup de marteau sur la créature qui m'assaillait.

Du côté des autres, je n'en savais rien. Aucun n'était capable de faire un grabuge semblable à celui de ces deux forcenés... Je me doutais bien que le rat de biblio' s'en sortirait tant bien que mal avec sa cruauté sans pareille et que ce gigolo de Seth surveillerait les arrières de Sasha. Après tout, c'était bien le dernier à ne pas avoir remarqué combien il était pris d'elle. Pourtant, je me sentais plus inquiet pour moi-même...

Étant le seul à ne pas avoir d'arme létale, je craignais que ma masse ne suffise pas à éradiquer la vague de sirènes qui se relayaient à chaque fois que l'une disparaissait. Je n'en voyais pas le bout. Frappant de mon gourdin sans chercher où il atterrissait, je me contentais d'y mettre toute ma force pour disloquer le corps liquide de ces monstres.

Mes mains tremblaient. Le scaphandre était lourd, mon marteau l'était aussi et j'avais l'impression que toute l'eau au dessus de mon crâne m'écrasait petit à petit à mesure que je m'enfonçais dans les profondeurs de la cité.

- " Je ne dois pas réfléchir... J'ai juste à aller le plus bas possible, non ?" haletais-je, mes bouteilles d'oxygène commençant à s'épuiser.

Le tenancier nous avait dit qu'un humain normal tiendrait une bonne journée de combats avec ses compartiments, je devais lui faire confiance, je n'avais pas d'autre choix. J'étais déjà à bout de souffle, mes cheveux se collaient front en sueur et mes muscles s'affolaient de spasmes contraints de se bander sans répit. Ce n'était certainement pas le moment de me mettre à réfléchir, si je n'étais pas un cerveau, ce n'était pas pour rien.

Les griffes des sirènes s'éclatant sur mon scaphandre de métal rouillé résonnaient dans des échos sourds et leurs cris stridents déchiraient mes tympans. Ils me glaçaient le sang et me précipitaient dans des frappes risquées. Je commençais à me laisser ensevelir sous leur nombre et à recevoir de plus en plus de coups par derrière, ma vision vrillait.

Un rugissement rauque crissa dans mes cordes vocales et m'insuffla un nouvel élan d'adrénaline. Reprenant mes esprits, je frappais de plus belle et commençais à apercevoir le portail du château au milieu des silhouettes bleutées qui se confondaient dans la mer.

- " Vous allez me foutre la paix !" vociférais-je de plus belle, ma masse traçant un arc de cercle horizontal et éventrant trois sirènes à la suite.

Je répétais mes coups et, pris d'impatience, chargeais dans le tas avant de me retourner et d'éventrer une seconde fois les créatures qui me talonnaient. Il restait des monstres derrière moi mais elles se désintéressèrent de notre combat lorsqu'elles virent leur palais dans mon dos et partirent aider leurs camarades en joute avec les soldats nous ayant rejoints, ne me laissant plus que seul face à l'édifice de pierre.

- " T'es déjà là ?" m'étonnais-je en surprenant Sasha dissimulée derrière du corail.

Je la rejoignais, me cachant à mon tour. Plus surprenant encore, elle n'était pas seule. A ses côtés, Yvan et Seth étaient postés et observaient la surface. Quelque peu décontenancé et profitant de cet instant de repos, je suivais leur regard et un soupir d'admiration m'échappa.

Parmi la centaine de sirènes qui nous avaient assailli, la moitié était tombée et au centre de ce cimetière marin se trouvait notre chef, un sourire carnassier ancré sur ses lèvres et accompagné du scaphandrier d'argent. Ils enchaînaient les attaques rapides en se remettant dos contre dos et égrainaient le nombre de leurs adversaires à une vitesse impressionnante. Il prenait un plaisir fou à affronter des monstres à sa hauteur et devant sa fougue, je ne pouvais que me résigner. Je n'avais pas le niveau pour le suivre et, un jour, il devra partir pour son destin de guerrier d'exception comme le faisaient tous les héros des légendes.

Encore plus qu'avant, mon frère me semblait si loin.

- " Qu'ils se dépêchent, ces crétins de bouseux... Si ce monstre nous repère, on est fichus, hein..." se plaignit notre scientifique.

Ne saisissant pas quel était le monstre auquel elle faisait allusion, je pivotais ma tête en recherche d'une sirène mais quand je le vis, mon visage se décomposa.

Un second monstre-portail, à la tête unique et aux bras pourvus de tentacules s'étirant sur tout le château, protégeait l'entrée de notre destination. Sa taille bien plus titanesque que celle de la bibliothèque de Rosran nous couvait de son ombre droite et menaçante, prête à repousser le moindre de nos gestes sans ciller.

- " Ce n'est pas possible..." murmurais-je sans pouvoir détourner le regard de cet être gigantesque. " Même si nous sommes arrivés là, cette chose nous écrasera d'un coup..."

Je me sentis tomber sur les fesses. C'était inconcevable qu'une telle créature se tapisse sous la surface... Si jamais elle s'en échappait, c'était tout le pays qui serait en danger... Incrédule, je tremblais sans pouvoir m'arrêter, moi, je n'étais pas aussi fort que Samaël...

- " Et encore, Trois Pommes, c'est rien, ça ! Le boss de fin nous attend à l'intérieur de ce château !"

Je tournais le visage en direction de la direction d'où provenait cette voix si familière. Même si nous avions retiré le tuyau nous permettant de parler, nous parvenions tout de même à nous attendre lorsque nous étions proche et ce lien qui subsistait même sans ces tubes me rassura sans tarder :

Je n'étais peut être pas aussi fort que mon frère mais, lui, il était avec moi et ça ne changera jamais !

Flügel-Tome IIWhere stories live. Discover now