Chapitre XXVI

13 1 0
                                    

Larguez-les amarres, moussaillons !

Sur les routes cahoteuses et dépourvues de pavés, notre charrette conduite par Keith et moi-même filait depuis plusieurs jours déjà, tirée par des chevaux généreusement fournis par la famille de Courtebell. Si Samaël avait fait le choix plus ou moins original de dormir sur le toit de cette dernière malgré les remous incessants du voyage, ce n'était pas le cas d'Yvan et Sasha qui profitait du paysage depuis l'intérieur du véhicule, bien moins secoués par les cabossages du chemin terreux.

- " J'en ai marre... Je croyais qu'on y serait plus tôt que ça... En plus, on est partis au moins une semaine après, ch'uis sûr qu'on arrivera trop tard !"

Un énième soupir plaintif de Keith s'éleva dans l'air très vite corrigé par l'optimisme inébranlable de notre Maître.

- " Un voyage ça se prépare, espèce d'idiot ! En plus, tu ne sens pas ? L'odeur dans l'air a changé depuis un moment, elle n'a plus rien à voir avec celle de Rosran !"

Exact. J'avais beau ne pas avoir l'odorat développé de mon camarade, même moi savais que l'air de l'océan était particulièrement salé alors si le monstre le sentait, cela ne pouvait que être vrai. Je ne pus réprimer un sourire de satisfaction d'être si près de notre destination. Notre trajet s'était considérablement rallongé parce qu'à part Yvan, Sasha et moi, aucun ne savait lire une carte alors en suivant les directives inutiles de Samaël, nous avons fait un sacré détour.

Du haut de son perchoir, il se tenait désormais debout et pointait du doigt l'horizon, criant que la mer était enfin en vue. Cependant, quand nous aperçûmes nous aussi l'infini bleu azur qui se mêlait au bleu du ciel, nous n'en croyons pas nos yeux, bouche bée et souffle coupé.  Pour des habitants du continents comme nous, qu'on soit riches ou pauvres, se rendre au bord de l'océan représentait un idéal inatteignable. Même les personnages les plus importants de la capitale n'ont que peu d'occasions de se rendre jusqu'à ces contrées et, au final, très peu ont déjà vu l'océan. Alors, pour des gens tels que nous, c'était juste un spectacle inoubliable.

- " Quels paysans vous êtes ! Il n'y a pas de quoi s'esclaffer devant un lac un peu plus grand que d'ordinaire..." lâcha Sasha avec un mépris palpable, l'air profondément ennuyé et arrogant.


Quelques heures plus tard, notre calèche atteignit enfin sa destination, désormais arrêtée devant à l'entrée de la ville.

- " J-Je voyais pas ça comme ça, moi... On m'avait dit qu'Amiral était le lieu touristique de rêve et là... Je n'ai pas les mots." commentais-je, le regard vide planté sur la bourgade qui nous faisait face.

Si l'impassible Yvan ne laissa pas transparaître ne serait-ce qu'une trace de déception, c'était bien loin de Keith et moi qui observions les baraques difformes et délabrées qui s'offraient à nous. Samaël, toujours fidèle à lui-même sauta sur l'un des toits et observa l'horizon d'un air rêveur.

Poussant une plainte bien ostensible, Sasha portant ses mains à son nez qu'elle boucha aussitôt sortie de sa calèche à cause de l'affreuse odeur de poisson plus ou moins frais qui flottait dans l'air. Elle épousseta sa robe froissée par  le trajet et arborant une posture fière, son nez néanmoins bouché, elle désigna du doigt une pancarte ou plutôt une vieille planche de bois nommée.

- " Laguna Brooke ; c'est le village voisin d'Amiral. Réfléchissez un peu, avec cette rumeur sur les sirènes, tous les aventuriers vont se précipiter à la cité touristique voisine et nos recherches tomberont à l'eau à cause de ces bras-cassés. Ici, nous aurons le champ libre et des prix réduits !" nous convint-elle d'un ton assuré.

Je comprenais bien que nous allions réaliser de belles économies dans ce taudis mais en apercevant de là où nous étions les gigantesques tourelles nacrées reluisant sous le soleil et surplombant l'horizon depuis Amiral, une pointe d'envie remua dans mon estomac creusé par l'air marin. Son grognement se fit entendre par tous mes camarades.

- " Ça tombe bien, nous devions justement nous rendre à un certain bar pour obtenir des scaphandres".


Des coques étaient collées sur la plupart des cabanons en bois que nous dépassions et les rongeaient petit à petit. Des tâches d'humidité se répandaient sur les façades et le peu de peinture colorée qui s'écaillaient autour ne parvenait pas à rendre le décor plus rassurant.

Pour nous rendre à la fameuse taverne "Medusa Brooke", nous n'avions pas d'autres choix que de longer le port. Les quais partaient dans tous les sens et, dépourvus d'un minimum d'ordre, de vieux bateaux à la coque abîmées flottaient difficilement dans des eaux vertes et troubles qui avalaient le sable et le rendaient à chaque marée, volant et redonnant coquillages et crustacés sur la jetée.

Postés dans des ruelles sombres et dans les coins des maisons, des marins âgés au regard dédaigneux nous surveillaient du coin de l'œil, grattant leur barbe, caressant un crochet à la place d'une main ou encore taillant une jambe de bois à leur tibia.

En observant le contenu méconnaissable dans les assiettes crasseuses des personnes servies, tout mon appétit s'évapora tandis que le visage d'ordinaire blanchâtre de Samaël vira au vert tout comme celui de Keith, tirant la langue devant ce spectacle.

- " J'imagine que les étrangers ne sont pas bien accueillis dans ce taudis" minauda Sasha en entrant dans le bar tout aussi délabré que le reste des soit disant bâtiments.

D'un geste du coude, je lui empressais de se taire face à l'air sévère qui naissait sur le visage des clients mais en arrivant au comptoir, le barman nous fit clairement comprendre qu'il avait tout entendu :

- " Exact, nous on n'aime pas les étrangers et encore moins les branquignoles comme vous. Enfin bon, à Laguna Brooke, tout se paye, même notre affection..." susurra-t-il en assumant parfaitement son visage d'escroc.

- " Je sens qu'on va bien s'entendre, vous et moi. Dites-moi tout, monsieur, que savez-vous des sirènes ?" répondit le trésorier du tac au tac.

- " Mmmh, pas grand chose mais pour trente pièces d'argent, ma mémoire reviendra sûrement..."

- " Quinze."

- " Vingt-cinq."

- " Vingt."

- "Vendu, je vais tout vous dire sur nos amies les sirènes !"

Flügel-Tome IIWhere stories live. Discover now