Chapitre XXII

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De multiples talents

Réunis dans notre cuisine, ma sœur et moi profitions du peu de repas que nous pouvions passer ensemble pour discuter. Du coin de l'œil, je distinguais encore les restes de la chaise qui s'était brisée durant ma croissance assez soudaine gisant au sol.

- " Alors, comment il va le p'tit Seth, maintenant ? Son papa puis la guilde, heureusement que sa maman a pu travailler à l'atelier sinon ils n'auraient vraiment plus rien..." demanda Lulu, une tranche de pain à la main.

C'était le sujet abordé par tous les passants que je croisais. La seule instance de sécurité de Rosran venait de fermé, pire encore son maître et meilleur combattant avait péri. Il n'en fallait pas plus pour que les esprits s'échauffent et que la panique émerge des esprits.

La mère de Seth, Sally-Anne, avait repris le travail, rapiéçant et découpant du tissu défraîchi pour gagner sa vie, et ne pouvait donc plus rassurer notre ami qui passait maintenant autant de temps à la bibliothèque qu'Yvan.

L'inquiétude dans la voix de Lulu était logique. Elle devait forcément se demander ce qui allait se passer pour nous mais, contrairement à ce qu'elle croyait, nous n'avions pas abandonner.

- " Ouais... Mais c'est pas ça qui va nous arrêter ! On va la fonder not' guilde, de nos propres mains ! Je sais pas trop où et comment maintenant que Sally a dû vendre l'ancien bâtiment de la guilde et n'habiter qu'à l'étage. C'est que, même si Yvan et Sasha sont riches, leur famille n'est pas vraiment d'accord avec ça..."

Plongé dans mes pensées, à la recherche d'une idée qui nous ferait sortir la tête hors de l'eau, je reprenais une bouchée de pain beurré en face de ma soeur qui semblait tout aussi perdu que moi. Derrière les bruits de mastication, je l'entendais marmonner indistinctement dans sa barbe en avalant goulument sa nourriture.

Je sentais l'appétit disparaître à mesure que la culpabilité de l'inquiéter montait. Elle avait déjà assez de soucis à gérer à la boulangerie et je ne faisais que lui en rajouter. Décidément, être le p'tit dernier peut vraiment devenir un fardeau pour soi comme pour les autres... Même si je pouvais désormais chasser du gibier pour le dîner, ce n'était certainement pas ça qui nous permettrait de payer les factures.

- " Et bffa fieille pranche !" déclara soudain ma frangine, un morceau de tartine dépassant de ses lèvres rosées.

L'incompréhension inscrite sur mon visage, elle se dépêcha d'avaler sa bouchée et corrigea ses propos :

- " La vieille grange du père Pinnot ! Quand il est mort, personne n'a repris sa ferme alors je doute que quelqu'un s'oppose à ce que vous l'utilisiez. Bon, elle est sûrement défraîchie et elle est un peu loin de la place mais le bâtiment est bien assez grand pour accueillir une meute d'aventuriers éreintés !"

Mais c'était exactement ce qu'il nous fallait, songeais-je en me levant brusquement de ma chaise avant de me rasseoir pour continuer mon petit déjeuner.

Je me souviens d'y être allé avec Samaël une nuit. Cet idiot avait parié que j'en serais incapable et que je me terrerais comme un trouillard à la moindre occasion mais il a eu beau jouer les fantômes tout du long, je n'ai pas failli ! 

Certes, à ce moment je n'avais pas fait très attention à l'endroit mais il est évident que la vieille grange abandonnée serait parfaite pour servir de guilde. Mais, même si je ne me remémorais pas exactement son apparence, je me souvenais encore très bien des bruits de grincements incessants sur le toit. Aussi, une pluie diluvienne avait déferlé sur nous et, pourtant abrités, le vent souffla entre les interstices entre les planches tandis que les gouttelettes nous fouettaient le visage.

Même si l'ossature était là, il manquait encore bien trop de réparations pour que cela reste envisageable. C'était peut être la meilleure option mais pour les gosses que nous étions encore, cela restait hors de notre portée.

- " Après, j'imagine qu'avec le temps la charpente a du être pas mal amochée avec le temps mais... Je pense pouvoir facilement convaincre le fils du maçon de nous la retaper et ça, pour pas un sou !"

Lâchant mon bout de pain sous le coup de la surprise, je la dévisageais, incrédule. Ma frangine avait toujours eu le don de me surprendre, je ne parvenais jamais à savoir ce qu'il se déroulait dans son esprit et elle semblait en profiter à chaque fois.

Sous mes yeux ébahis, Lulu jouait avec l'une des mèches vertes qui s'échappaient de sa tresse en minaudant. Ses yeux noisette brillaient d'une lueur malicieuse qui lui était propre et quand bien même elle me souffla dans un rire de lui faire confiance, une partie de moi restait assez inquiet quant à la façon dont elle allait s'y prendre.

Une myriade de scénarios ressassant ses façons de convaincre un maçon se jouaient dans ma tête. Je voyais nettement son visage imprégné d'un sourire tyrannique effrayer un grand gaillard tapis au sol, ses mains tremblantes ramenées sur son visage apeuré.

Oui, aucun doute, j'ai peur pour ce maçon. Pas sûr que lui laisser les rennes soit la bonne chose à faire, doutais-je en mon for intérieur. Cependant, si elle ne le faisait pas, l'opportunité de fonder notre guilde ne se représenterait pas avant des années de travail acharné à conserver un maigre salaire pour des réparations plus qu'onéreuses.

L'incertitude avait pris possession de mon cerveau mais, bien au-delà de la peur, quelque chose de bien plus important pour moi détenait mon cœur ; le désir de poursuivre mon, non, notre rêve.

- Très bien. Je te fais confiance" affirmais-je à ma sœur qui se levait de table, un sourire narquois aux lèvres.

Elle eut un petit rire inaudible mais se reprit, me répondant avec arrogance :

- " Tu fais bien, mon p'tit. Cependant, au cas où cela t'aurait échappé, les autres hommes sont loin de me voir comme un monstre cruel. J'ai de nombreux charmes et ce crédule de maçon n'y est visiblement pas insensible. Il me suffira de le complimenter un nombre incalculable de fois d'un ton débordant d'admiration pour qu'il nous offre son aide. Alors, s'il-te-plaît, arrête de t'imaginer des scénarios dans lesquels je lui ferais passer des séances de torture interminables pour ça." me rassura-t-elle avec une pointe d'agacement dans la voix.


Flügel-Tome IIWhere stories live. Discover now