Chapitre 57

17 4 2
                                    


      Nous n'avons pas la moindre nouvelle de l'assaut surprise sur le Kama, mais je refuse de perdre espoir. Timéo a fini par rejoindre le front des quais, il n'arrive plus à rester en place parce qu'il veut se battre. Il a tellement de rage et de haine en lui, je pense qu'il veut l'expulser contre nos ennemis. J'ignore combien sont les pirates au juste, mais ils doivent être nombreux ; je me demande aussi combien de personnes ont été enrôlé de force par les maléfices de Marlock.

      Je me remets en question. Si je n'avais pas fait ma rebelle rien de tout cela ne serait arrivé. J'en suis l'unique responsable. Responsable de cette piraterie, de ces morts. Je revois mourir Liam dans mon esprit, je le revois s'écrouler en boucle et être jeté par dessus bord. Je pleure. Ma tristesse me semble être un gouffre insondable et infernal. Un abîme infini qui ne semble ne jamais finir. Je me dis que je dois souffrir encore et encore pour expier ma bêtise, pour faire rédemption de mes erreurs stupides.

      Alivana et Maeva finissent par me rejoindre. Elles se laissent choir à même le sol en soupirant. J'aurais pourtant imaginé que Maeva irait se battre contre les pirates, mais non. Elle est là devant moi à aiguiser son poignard de combat encore et encore. Sorane entre à son tour et c'est là que je pense à Minzy alors que je vois sa mère en pleure. Je ravale mes larmes parce que je sais où se trouve Minzy. J'essaye de ne pas croiser leurs regards, je me sens tellement mal. La spirale de mes tourments semble ne jamais trouver de fin. La douleur tournoie autour de moi comme un vautour s'acharnant sur une carcasse.


— Je ne l'ai pas trouvé, soupire Sorane en larme à ses sœurs, elle était pourtant bien à bord du Domdeur.

— Elle a sûrement été exfiltré vers le Doliton, lui répond Alivana alors que moi je connais la vérité, Minzy est une fille intelligente et pleine de ressource.


      Mon dieu. Les larmes coulent sur mes joues parce que je sais où elle se trouve et j'ai une idée du calvaire qu'elle doit être en train de vivre. Je n'ai même pas la force de parler, mes pleures me nouent la gorge à tel point que je n'arrive qu'à pousser une espèce de cri déformé par mon infini tristesse. La douleur me ronge le cœur et je crois qu'Alivana vient de le comprendre.

      Venant s'asseoir à côté de moi, elle m'enlace et je me blottis contre elle. Je m'imagine qu'elle est ma mère et je ferme les yeux. Je me plonge dans mes étranges facultés pour essayer de savoir où se trouve Minzy. Comme hors de mon corps, je vois défiler un trajet devant mes yeux. Sous la pluie et menacée par un revolver tenu par Astam je me dirige vers les quartiers de l'équipage au Voilant. Je monte plusieurs escaliers et on ouvre une porte devant moi. Je vois une silhouette se balançant au bout d'une corde, ligotée par les poignets ; elle est nue et j'ai le pressentiment de connaître cette personne. C'est Suzy.


— Je sais où est Minzy !, hurlé-je.

— Où ?, me demande Maeva en se relevant d'un bond.

— Il faut faire vite Maeva, c'est Astam.


      « Putain ! », crache-t-elle en rangeant son couteau dans son fourreau. Elle claque la porte et part en courant dans le couloir pour rejoindre le Voilant. Je ressens comme une force en moi qui me pousse, alors je me lève et bien que j'ai toujours le bras en écharpe je m'élance à la suite de la belle rousse enragée. Nous traversons les quais pour remonter les passerelles en direction du Voilant sous la pluie et les tirs fusant de toute part. Dehors c'est la guerre et même la nature semble se mêler au conflit.

      J'ai la tête qui tourne et mes idées fusent dans toute les directions. Je ne sais pas trop ce que je suis en train de faire, ni même ce que je vais vraiment pouvoir faire pour mes amies, mais en suivant Maeva dans sa course vengeresse, j'ai alors l'impression d'être plus forte que je ne le pense. Galvanisée par un curieux sentiment très proche de la rage, je me sens prête à mourir pour sauver mes amies, pour corriger mon impuissance. J'avais promis de me venger de cette ordure d'Astam et je me dis alors que le moment est peut-être finalement bel et bien venu. La vengeance est là, à l'autre bout des quais, au milieu d'un conflit qui me dépasse.

      L'entrée principale du Voilant est lourdement protégée par les pirates. Nous sommes presque obligée de bondir dans les escaliers pour échapper aux rafales ennemis. Mon poignet frappe fort contre les marches et je hurle de souffrance. Maeva me dit de repartir et de rejoindre immédiatement le Domdeur, mais je refuse. Moi aussi je veux sauver mon amie.

      Impossible de passer, nous n'atteindrons pas le Voilant de cette manière et je me dis alors que si nous ne pouvons passer par le dessus alors passons par le dessous. J'attrape la main de Maeva et je l'entraîne jusqu'en bas des escaliers, nous rejoignons de nouveau les quais et elle ne semble pas comprendre ce que je veux faire.

      Astam détient Suzy et Minzy, s'apprêtant sûrement à les violer et je ne peux pas accepter ça. Je dois me dépasser pour l'empêcher. Galvanisée par l'urgence, je retire la bande qui retient mon bras et une très vive douleur me déchire l'épaule. Je dois faire avec. Mes larmes coulent et ma tête tourne parce que la douleur est trop forte, il est impensable de renoncer maintenant. Le Draisineguerre est bringuebalé de part et d'autres par de puissantes vagues. L'océan commence à se déchaîner. Me faufilant sous la carlingue de la forteresse en me glissant sous l'escalier, je suis finalement suivi par Maeva.

      En fait, toute la surface de la forteresse flottante regorge de ce genre d'accès se trouvant en dessous de la carlingue. Entre les entrecroisements de métal, des poutres, des passerelles et des escaliers, il y a des espaces et des vides. C'est ainsi que nous parvenons à rejoindre le Voilant par ces chemins de traverses et que nous trouvons l'échelle de maintenance en poupe du navire.

      Nous pénétrons dans le Voilant directement à son troisième étage. Je me laisse tomber par terre parce que je suis exténuée et la douleur se fait si vive que j'ai la tête qui tourne à chaque instant, menaçant de me faire perdre connaissance. Je dois lutter, comptant sur ma force intérieur pour parvenir à tenir le coup. Maeva me relève finalement en me disant de la suivre. « Nous devons être prêtes à toutes éventualités ». Elle sort son poignard et nous grimpons discrètement deux étages, elle sait où est l'appartement de ce monstre. La tanière de la bête immonde.


— C'est cette porte, me dit-elle en chuchotant tout en me montrant du doigt une porte rouge.

— Je fais quoi ?

— Tape à la porte et fais lui croire que c'est Marlock qui t'offre à lui.

— J'ai peur.

— T'inquiètes pas je suis là.

— Tu vas faire quoi ?


      Maeva se retourne vers moi, je vois dans ses yeux une flamme que je n'avais jusqu'alors jamais vu. Cette flamme c'est le désir de meurtre, c'est le feu de la rage qui brûle à l'intérieur de cette femme et j'ai soudainement très peur d'elle, amis aussi de ce qui va se passer d'un instant à l'autre. J'ai peur de ce que nous allons découvrir.



« Je vais le crever ce gros porc », dit Maeva.

L'Océan-Monde [TERMINE]Nơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ