Chapitre 15

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      Elle m'explique alors un peu sa jeunesse. Qu'elle passa de propriétaire en propriétaire, je ne comprends pas trop ce que cela veut dire. En voyant son regard noir lorsqu'elle évoque cette partie de sa vie je comprends que cela ne devait pas être une partie de plaisir. Yasminat m'explique alors que jugée trop vieille pour servir, ses derniers maîtres l'avaient simplement donné à des pirates et c'est là qu'elle fit la rencontre de Beshir.

      Alors que toute une foule de questions se forme dans ma tête, que ma curiosité a été piqué au vif par ces révélations, Yasminat se relève et va se placer devant la fenêtre. Je bois alors ma boisson ; c'est très chaud, mais le nectar est si bon, je n'ai jamais rien bu de tel. Me laissant emporter par la senteur et le goût de ce breuvage, je songe alors à tout ce que j'ignore encore de ce monde et ma motivation de devenir exploratrice est encore plus forte.


— Le monde est vaste, m'explique-t-elle, il est beau, mais toute les splendeurs de ce monde ne peuvent occulter les horreurs qui s'y cachent. Tu comprends que tu as toute la vie devant toi Rima ?

— Je le sais, dis-je simplement.

— Tu as la chance ici de pouvoir t'épanouir paisiblement sans te soucier des lendemains.

— C'est vrai.

— Finalement, ajoute-t-elle en se retournant vers moi, c'est un peu ton devoir de vivre une vie paisible ici. C'est un peu ton devoir de ne pas te soucier de ce qui se passe dans le monde au-delà de ce navire.

— Et pourquoi ?

— Tu vis pour tous les enfants qui n'ont pas la chance de vivre cette vie. Tu as l'innocence.

— Mais vivre sans comprendre la vie, je me stoppe hésitante à poursuivre, est-ce vraiment vivre ?

— Vivre en n'ayant qu'une demi-vie est-ce vivre ? Vivre en esclave est-ce vivre ? Lorsque l'on te prive de ton innocence, de ton enfance et qu'on fait de toi une chose informe, est-ce vivre Rima ?


      Je ne sais pas quoi lui répondre alors je préfère finalement garder le silence. Des larmes ont commencé à poindre à la naissance de ses cils, je la vois baisser la tête pour cacher sa douleur. Je comprends dans le fond qu'elle a bien entendu raison, mais je ne peux m'empêcher de trouver cela injuste. Je ne veux pas vivre comme ça moi, je veux savoir, je veux comprendre. Pour moi, vivre ce n'est pas être ignorant, vivre c'est savoir. Vivre c'est comprendre. Finalement j'ai à mon tour envie de pleurer, je suis tellement frustrée par cette inconnaissance.

      Je pense alors à mes parents que je n'ai jamais connu. À ma mère décédée en me mettant au monde et à mon père nous aillant abandonné pour partir à l'aventure. Je songe alors à mon rêve, à mon objectif depuis que je suis en âge de comprendre les choses. Si je veux devenir exploratrice, si je veux naviguer et découvrir le monde d'Aqua Terrae ce n'est que dans un seul et unique but. Retrouver ce père qui me fait défaut. Je dois comprendre pourquoi il est parti.


— Tu as bien un rêve ?, me demande alors Yasminat pour changer de sujet, toutes les jeunes filles ont des rêves.

— Oui, dis-je en souriant, j'ai bien un rêve, mais ce n'est pas vraiment un rêve de jeune fille.

— C'est quoi ?

— Mon rêve c'est mon objectif. Je veux partir à l'aventure, explorer l'océan-monde pour retrouver mon père.

— C'est un rêve d'orpheline ça


      Ce qu'elle vient de me dire me blesse. Je sers fort le point, j'enrage et finalement les larmes sont plus forte que moi. Sur ma joue chaude, je sens la fraîcheur de ces gouttes glissant jusqu'à mon cou. J'ai envie de lui hurler dessus, sait-elle seulement ce que c'est de ne jamais avoir connu ses propres parents. Peut-elle seulement me comprendre. Je crois que je la déteste.

      Alors qu'elle se rapproche de moi le regard plein de compassion, je me lève d'un bond et je file en faisant claquer la porte. Je la déteste. Toujours en pleure et n'arrivant pas à me calmer je décide de rejoindre mon endroit habituel. C'est à bord du navire centrale de notre forteresse, il y a en poupe de cet antique cuirassé nommé « Le Patience » un point de vue où personne ne va jamais.

      Si personne n'y va c'est peut-être parce qu'il faut se faufiler en dessous de la carlingue du Draisineguerre et ramper sur du métal rouillé avant de rejoindre ce petit balcon inutilisé depuis des lustres qui tient encore en place parce que je l'entretiens. Je le sèche, je le ponce, je le repeins. Cet endroit est mon refuge, c'est le balcon de Rima. C'est ici que je l'ai entendu pour la toute première fois.



                   « La voix de l'océan-monde »

L'Océan-Monde [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant