Chapitre 4

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     Ce matin, c'est la pluie qui me réveille. Le ciel est noir, c'est le signe indéniable que nous approchons de la fin de l'été et que nous glissons lentement vers l'automne. J'ai froid, en grelottant je me lève et m'enveloppe dans mon peignoir en fourrure d'oiseau-félin. Je place pour obturer le trou dans le toit un bout de tôle faisant office de auvent.

     Je finis par m'habiller et me coiffer. Avec une bâche de plastique au-dessus de la tête je cours jusqu'à l'un des sept réfectoires, j'ai rendez-vous avec mes copines pour savoir ce qu'elles savent de ce« léviathan ». Je traverse le pont principal en courant, je manque de tomber en escaladant les chaînes trempées.

     L'océan n'est pas calme aujourd'hui, cela ne peut dire qu'une chose. L'Aiglion n'est pas très loin de nous. Je suis même surprise de ne pas pouvoir le voir lorsque j'escalade l'une des grandes tours d'observation du Draisineguerre. L'un des guetteurs est à son poste scrutant l'horizon avec sa grande vue, puis la laissant tomber pour des jumelles.

     La tonnelle du poste d'observation nous protège de la pluie, je regarde alors dans la même direction que lui, mais je ne vois au loin qu'un épais mur de grisaille. C'est lorsque mon regard revient sur lui que je remarque qu'il me fixe de manière un peu trop appuyé. Ce guetteur c'est Astam, un homme quadragénaire grisonnant à peine plus grand que moi. Il marche en boitant, il a un cheveux sur la langue. C'est un idiot et je déteste lorsqu'il me déshabille du regard.

      Alors je reprends ma bâche au dessus de la tête et je m'enfuis en courant. « Cheu feu te parler Rima », mais je ne l'écoute pas et presse le pas. Il a une sale réputation dans tout le Draisineguerre à tel point que le capitaine lui a même interdit de quitter son poste d'observation. J'aurais dû me douter qu'il serait là aujourd'hui, je vais faire fantasmer ce gros porc. Rien que d'y penser j'en ai des sueurs froides.

     « Les hommes comme Astam sont mal intentionnés », m'avait expliqué grand-mère à bien des reprises lorsque plus jeune j'aimais bien aller scruter l'horizon avec lui. Il n'avait jamais rien fait de bizarre avec moi, mais il se racontait qu'il avait touché certaines de mes copines. Alors je n'étais plus jamais aller le voir et je ne lui avais plus jamais adressé la parole. Le père de Suzy lui avait cassé la figure. « Elle n'a même pas eu ses sangs et tu t'intéresses à elle », « ce n'est qu'une enfant », « sale porc », je n'aurais pas voulu être Astam ce jour là. Il s'était fait casser le nez, puis le capitaine lui avait interdit de quitter les tours d'observation, que des veilleurs lui apporteraient ses repas et qu'il n'avait le droit de se déplacer sur le Draisineguerre que pour rejoindre un autre poste d'observation.

     Grand-père me disait que dans le temps d'avant ou sur un autre navire il aurait été emprisonné ou jeté à l'eau, mais il était la meilleure vigie à notre bord. J'avais demandé à grand-père pourquoi et il m'avait dit que c'était un crime pour un adulte de s'intéresser à un enfant. J'aimais pourtant bien regarder l'horizon avec lui moi.

      Je croise le veilleur ou plutôt la veilleuse qui s'occupe de donner sa nourriture à Astam, mais aussi à le surveiller. Une grande rousse costaude, elle aime boucler ses longs cheveux, mais aujourd'hui ils sont complètement trempés. Combinaison cirée verte, Maeva porte en bandoulière le sac contenant la nourriture de son « prisonnier ».


— Tu viens du poste d'observation centrale ?, demande-t-elle avec sévérité

— Oui pourquoi ?, je lui demande en souriant, il y a un problème

— C'est à toi de me le dire, le cinglé n'a rien tenté ?

— Tu veux qu'il me fasse quoi ?

L'Océan-Monde [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant