Chapitre 7

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Voilà maintenant un mois que plus rien de nouveau n'a fait apparition dans ma vie.

Ken fait maintenant partie intégrante de mon quotidien... ou plutôt de mes nuits. Finalement, il est loin d'être fou. Il est seulement triste. Et désormais, on est triste à deux. On essaye de se conforter dans cette souffrance un peu injuste de la vie. On partage nos peines et nos questionnements. On est en désaccord sur de nombreux points mais ce n'est pas pour autant que la discussion en est moins intéressante, au contraire. La vie serait chiante si tout le monde pensait comme nous.
Tout au long de ce mois, il y a parfois des moments où j'ai détesté Ken pour m'avoir dit les choses en face. J'ai toujours eu du mal à accepter les faits. Il me bouscule un peu, quitte à me blesser parfois. Je finis toujours par réfléchir sur ses propos et arrive à le comprendre. C'est ça. Je le comprends et il me comprend. Je crois qu'il est devenu comme une nouvelle bouffée d'air frais dont je manquais cruellement.

Malheureusement, cette bouffée d'air qu'il avait soulevé en moi ne va pas tarder à s'éteindre.

Voilà la source de mon anxiété depuis ce matin. Aujourd'hui est mon dernier jour en tant que serveuse dans ce bar. Je ne le verrai plus.
Je ne prendrai plus ce bus. Mes souffrances resteront à nouveau sans personne pour les comprendre.

J'attends avec impatience de voir Ken débarquer dans ce bus pour lui expliquer la situation.

Il entre, le visage plus fermé que jamais. Il s'affale à mes côtés sans un bruit avant de soupirer longuement.
Il a besoin d'être seul. Je le comprends. Quand chaque chose vous étouffe et qu'un rien vous opresse.

Mais ce soir, je suis obligée de lui parler.

- Ken ?

Il tourne sa tête vers moi en essayant de sourire. Sourire faux.

- Pas besoin de sourire. Je vois que ça va pas tu sais...

- Merci.

Je fronce les sourcils mais ne soulève pas sa réponse. Je sais qu'il m'en parlera quand il se sentira prêt. Je ne l'y forcerait pas, il sait que je suis là pour lui.

Ce qui est plutôt étrange dans notre relation, c'est que nous ne sommes pas passés par toutes sortes de futilités basiques. On a tout de suite parlé de choses profondes et sincères. Surtout sincère. Je ne connais pas son nom de famille mais je sais qu'elle est sa vision de la religion. Je ne connais pas non plus sa couleur préférée mais je sais ce qu'il pense de la mort.
Toutes sortes de choses comme ça qui font de notre relation une chose que je n'ai jamais vécu.

- J'me suis encore embrouillé avec mes parents. J'en ai marre putain.

Je n'interviens toujours pas.
Je crois avoir compris que sa mère lui a donné une éducation très stricte et que son père n'a jamais été très présent physiquement.

- Ils arrivent pas à accepter qui je suis devenu.

- Et qui tu es devenu ?

- Un homme.

Un énième soupire retentit dans mes oreilles avant qu'il ne reprenne.

- Ils aimeraient que je sois encore a leurs ordres. Aux ordres de la société enfaite. Que je fasse un petit métier qui gagne bien et que je ferme ma gueule. Ils m'ont foutu dehors à 17 ans parce que j'arrêtais l'école putain...

- Tu m'as jamais parlé de ton métier.

Il se tait quelques instants.

- Oui, répond-t-il simplement. Et je ne t'en parlerai pas tout de suite. Je suis pas prêt je crois...

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