14. Tout est permis à qui perd son chemin

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— Alors monsieur le magicien ? nargué-je.

Ellias me jette un regard en biais, clairement blasé par mon attitude. Debout dans le hall crasseux de mon ancien immeuble, il fixe l'avis d'expulsion placardé sur ma porte.

— Et tu dors où, du coup ?
— Qu'est-ce que ça peut faire. Crochète juste la serrure que je puisse récupérer mes affaires. S'il te plaît, ajouté-je pour rattraper l'insolence dont je n'arrête pas de faire preuve.
— T'as cru que je me baladais tous les matins avec le kit du parfait petit cambrioleur ou quoi ?
— Alors comment tu...

Je n'ai pas le temps de finir de parler qu'il lève le genou pour frapper la porte d'un grand coup de pied. Le bois fait la gueule, enfoncé par son empreinte alors qu'il réitère son geste sous mes exclamations outrées. Au deuxième, les gonds rouillés finissent par céder et la porte traverse mon salon dans un courant d'air.

— Mais t'es un malade ! C'est ça que t'appelles ouvrir une porte ?! Et si mes voisins appellent les flics ?!

Il lève les yeux au ciel avant d'entrer dans l'appartement, excédé par mes cris.

— Relax Baby Doll, t'en connais beaucoup des gens qui font appels aux flics ici ?

Clairement, je ne peux pas lui donner tort. Mais quand même ! Si mon voisin du dessous est chez lui, nul doute qu'il ne tardera pas à téléphoner au proprio' et j'ai déjà assez de problèmes comme ça.

Je pénètre à la suite du criminel qui vient d'ajouter effraction sur son casier judiciaire en pestant entre mes dents. Criminel qui, au passage s'est déjà mit à l'aise et fouille du bout des doigts les cartons qui traînent sur le minuscule plan de travail de la cuisine ouverte.

— Dis donc, tu viens d'emménager ou quoi ? On dirait un appartement témoin. Y'a même pas de meubles.

Il exagère. J'ai un lit, enfin, un matelas. C'est largement suffisant pour ce que j'en fais.

— T'entends ce que je te dis au moins ? grimacé-je.

Amusé, Ellias traverse la pièce pour empoigner ce qu'il reste de ma porte fragile et la cale à sa place, laissant seulement filtrer quelques centimètres de la lumière automatique du couloir. Je plisse les yeux devant son sourire moqueur.

— Voilà. T'es contente ?
— Et si je te dis que non ?
— Je te répondrai que je te trouve bien insolente. Je coupe des langues pour moins que ça.

Je tressaille sous l'or de ses pupilles et il s'en amuse encore plus, allant jusqu'à me pincer la joue en repassant devant moi pour reprendre son investigation.

— T'as de la chance, je suis de bonne humeur aujourd'hui.

J'essaye de l'ignorer, lui et mon cœur qui palpite sans arrêt en sa présence. Pour éviter de continuer à déblatérer des paroles qui pourraient l'énerver, je me détourne pour aller directement chercher l'objet de mes désirs.

Mon téléphone, du moins ce qu'il en reste, n'a toujours pas bougé. J'envoie valser les affaires qui me dérangent pour l'attraper et en extrait aussitôt la carte SIM pour la mettre dans ma poche en voyant qu'il n'a plus de batterie. Au moins une chose de faite.

— Et tu vas trimballer tout ça comment ? me demande Ellias depuis le salon.
— Euh... En bus ?

Il passe la tête dans l'encadrement de la porte et la lumière du soleil qui perce dans l'appartement illumine la mèche blanche sur sa tignasse d'ébène. La stupéfaction sur ses traits me donne envie de lui jeter mon vieux téléphone en pleine tête.

— T'as pas de voiture ?
— Parce que toi oui peut-être ? m'agacé-je.

Il me fusille du regard en maugréant. Il n'a pas disparu de ma vue depuis dix secondes que j'entends un bordel monstre provenir de la pièce.

Je le retrouve devant le plan de travail, le bout d'un carton en main et le contenu déversé sur le sol. Parmis tout ceux qui traînent, il a fallu qu'il me défonce celui qui contenait la vaisselle.

Le temps d'expirer, mon voisin du dessous se met à péter les plombs, martelant le plafond avec son foutu balai jusqu'à faire trembler le plancher aussi épais qu'une feuille de papier.

Je glousse sans pouvoir me retenir, piégée entre la fatigue et l'hystérie. Enjambant les bouts de verre qui ont volé, je tends le bras pour rattraper la bouteille de vodka encore intacte qui continue de rouler.

Ellias m'en empêche sans attendre, enfermant mon poignet couvert d'ecchymoses dans sa main ferme. Le sérieux sur son visage contrarié, m'enlève toute envie de l'envoyer bouler.

— T'as vraiment un problème avec la boisson toi. Est-ce que t'as mangé au moins ?
— Tu me fais mal...

Ses yeux plongent dans les miens, me renvoyant les abysses de mon propre reflet. Terne et fatigué.
Tu ne ressembles vraiment à rien ma pauvre fille.

Je tourne la tête et sa prise se fait plus légère. Remontant ma veste en cuir, il découvre tous les bleus qu'il m'a fait en me remontant du pont. Un silence s'égare, remplacé par le bruissement du tissu froissé.

— J'ai mieux pour toi.

Je reconnais immédiatement ce qu'il agite entre nous. Un petit pocheton, rempli de cannabis.

— T'as de quoi rouler ?
— Pour qui tu me prends ? J'ai déjà dû mal à payer mes clopes, soupiré-je, incrédule.

L'alcool à au moins le mérite d'être gratuit mais hors de question d'avouer que je pique des bouteilles au Heaven's en fin de service. De toute façon, c'est pas comme si j'étais la seule à le faire.
Si Simon l'apprend par contre, il risque de réduire encore ma paie.

Je m'attends à ce qu'il finisse par ranger son herbe mais, contre toute attente, il me lâche et sort tout un attirail de sa poche avant d'aller s'asseoir sur le matelas de ma chambre. Je le suis sans comprendre.
Il fait vraiment comme chez lui.

— Pourquoi tu m'as demandé si t'as tout ce qui faut ?

Ellias se contente de sourire, tête baissée sur ce qu'il est déjà entrain de rouler au creux de sa paume large. Chaque fois qu'il ouvre la bouche, j'ai l'impression qu'il me teste sans en trouver la raison.

Sa main couverte de symboles foncés tapotent la place à ses côtés et je secoue la tête. Pas question de me retrouver dans un lit avec le monstre de Brooklyn.

Il ne relève même pas les yeux pour voir ma réponse.

— Tu préfères que je vienne te chercher ?

Sa voix rauque me fait frissonner, claquant contre ma peau tel un coup de fouet. Il finit de rouler son joint, passe la langue contre le dos de la feuille en scellant le contact visuel et je déglutis.

Bon dieu mais pourquoi est-ce que de tous les hommes, il soit celui qui me fasse un tel effet ?

— Davina, menace-t-il.
— J-Je suis très bien ici.

Il lève les yeux au ciel et soupire en se redressant. Il m'a soudain l'air deux fois plus grand. J'ai à peine le temps d'esquisser un mouvement de recul qu'il traverse l'espace qui nous sépare à grand pas, m'attrape par les hanches et me jette sur le lit.

Pari MortelWhere stories live. Discover now