3. Le point de non retour

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J'arrive dans un état lamentable à mon cours de photographie, cours que je paye tant bien que mal pour m'obliger à garder un semblant de but dans la vie. Le seul que je n'arrive pas à laisser tomber bien que ma scolarité ait pris un tournant catastrophique depuis longtemps. Je transpire, mon chignon n'a plus aucun sens, mes yeux sont bouffis d'avoir pleuré sur tout le trajet et la semelle de ma botte colle contre les dalles de l'université puisqu'il l'a fallu que je marche sur le seul chewing-gum présent dans l'allée du bus.

Pour ne rien arranger, entre ma panne de réveil, la rencontre avec mon proprio, la distance entre chez moi et l'université et les problèmes de transports, je n'ai plus une heure de retard mais trois. Cette fois, c'est sûr, ma professeure va me tuer.

Je passe à peine la porte de la salle qu'elle me foudroie du regard. Dans la chambre rouge, éclairées par des néons aussi froids que ceux du Heaven's, l'air du sous-sol me fait frissonner alors que Madame Layne croise les bras sur sa tunique aux motifs fleuris. L'ombre de la silhouette élancée m'avale toute entière lorsqu'elle plisse les yeux sous la désapprobation. J'ai à peine le temps de bafouiller des excuses qu'elle me coupe la parole d'un ton tranchant.

— Épargnez-moi vos histoires à dormir debout, cingle-t-elle avec acidité sous l'hilarité des élèves. Non seulement, vous n'êtes pas à l'heure, mais en plus vous ne faites aucun effort sur la présentation. Vous faites clairement peur à voir.

Mes joues se teintent d'un rouge honteux sous les rires généraux, mêlés aux commentaires méprisants de mes camarades de classe. Une remarque en particulier, m'ôte toute envie de rétorquer.

— Elle était sûrement trop occupée à faire la pute pour arriver à l'heure.

J'ouvre grand les yeux, sous le choc, incertaine d'avoir bien entendu alors qu'ils se remettent tous à rire. Pourtant cette voix féminine continue de tourner dans mon esprit, impossible d'avoir halluciné. Encore moins en voyant l'air pincé de Madame Layne qui fait mine de n'avoir rien entendu. Mes jambes se mettent à trembler si fort que mes genoux s'entrechoquent.

Elle se racle la gorge pour reprendre contenance, là où je suis morte intérieurement depuis des secondes interminables.

— Silence ! Le prochain que j'entends ira directement s'expliquer avec le directeur, tonne la prof' pour ramener l'ordre dans sa classe. Quant à vous Mademoiselle, je pense que vous pouvez déjà vous rendre à son bureau. Merci de fermer la porte derrière vous, ajoute-t-elle en voyant que je ne bouge pas d'un pouce.

Sous les regards moqueurs et les murmures que je ne saisis pas, j'ai tout le mal du monde à tourner les talons. L'air a déserté mes poumons, le manque d'oxygène menace à tout moment de m'envoyer embrasser le sol et, pire que tout, le mot « pute » tourne en boucle dans mon crâne exténué.

Elle était sûrement trop occupée à faire la pute.
Une pute.
Est-ce que c'est vraiment ce que je suis devenue ?

En regagnant le couloir, c'est comme si le vent me frappait en pleine face. Les courants d'air du bâtiment A me filent la chair de poule et je frissonne en refermant les pans de ma lourde veste en cuir, complètement inutile en cette saison, je prie pour ne croiser aucune âme sur le chemin qui mène au bureau de la direction. Raté, certains élèves sont encore là, à traîner dans les couloirs en attendant le prochain cours. Et tous me dévisagent, me lancent des regards de travers, rient ou chuchotent sur mon passage.

Le malaise qui m'habite redouble, s'amplifie pour me rester en travers de la gorge.
Je prie pour que tout ça ne soit que le fruit de mon imagination, pour que ce soit mon esprit tordu qui se fasse encore des idées.

J'ai envie de partir en courant pour ne plus affronter leurs yeux révoltés.

Pourtant, lorsque je passe la porte du secrétariat, c'est bien ma vie qui vole en éclat. Du moins, le peu que je parviens encore à conserver.

Pari MortelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant