11. L'ombre d'Élise

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J'ai pris mes jambes à mon cou si vite que, si on avait été dans un dessin animé, ma silhouette se dessinerait encore sur les pavés de la ruelle où j'ai planté Hell. Mon poing martèle avec force la porte ornée du numéro 104 mais j'entends à peine le raffut que je provoque dans l'immeuble, couvert par les battements de mon cœur affolé et mon souffle erratique.

Le rire d'Ellias devant ma fuite catastrophique, continue de résonner dans mon esprit lorsque la porte s'ouvre avec fracas. J'ouvre grand les yeux devant le canon du douze millimètres pointé sur mon front.

— Putain Davina t'es conne, tu m'as fais une peur bleue !

Elle m'a tellement fait flipper que je ne trouve pas à répondre.

— Si tu pouvais juste...

Je désigne son arme toujours braquée sur moi et Élise s'empresse de la faire disparaître. Au bruit sourd que l'objet fait lorsqu'elle le balance sur le meuble derrière sa porte, je sursaute. Une chance qu'elle n'ait pas ôter la sécurité.

— Ça fait quoi ? Un an, deux ? Qu'est-ce que tu me veux, cousine ?
— J'ai... J'ai besoin d'un endroit où rester. Juste quelques jours.

J'essaye de faire abstraction de son ton hautain et de son sourire satisfait. Sous son carré noir et ses joues creusées par la cocaïne, j'entrevois pile ce que je me refuse à affronter depuis longtemps maintenant. Sa joie n'a de cesse de grimper au plafond à mesure que je m'enfonce dans la misère. Nous qui, petites étions si proches, aujourd'hui sommes séparées par un gouffre que je n'ai jamais réussi à rafistoler.

— Pas facile de passer du palace au ghetto, hein ? me nargue-t-elle.

J'accuse le coup sans rien dire.

— S'il te plaît, je me ferai toute petite.

Élise semble peser le pour et le contre, les lèvres pincées en une grimace contrariée. Lorsque sa coiffure s'écarte pour dévoiler le cocard assombrissant son œil droit, je détourne le regard.

— Entre, finit-elle par soupirer. Je te préviens, c'est le bordel et j'ai qu'un lit. C'est soit le tapis, soit le canapé et, pour être honnête, le tapis est moins crade que tout le reste.

Je la remercie en la suivant dans son appartement, essayant de faire abstraction de ce qu'elle appelle un « bordel ». Entre la vaisselle sale qui a débordé de l'évier, les cartons de pizza qui dégueulent du fauteuil au sol et mes yeux qui brûlent déjà sous les cendres de clopes qui voltigent au rythme du vent qui s'insinue par son velux, je trouve qu'elle y met les formes. Mais je tiens ma langue, peu envieuse de me faire chasser à coup d'escarpins. Surtout que, dans l'immédiat, elle reste ma meilleure, et surtout ma seule, option si je ne veux pas avoir à me faire une place parmis les sdf du quartier.

Soudain à l'étroit chez elle, je sens que ma présence la met mal à l'aise aussitôt que j'ai refermé la porte. Pour chasser la gêne, elle tire sur le bas de son mini short et me propose à boire. Dans l'antre de son frigo à la poignée cassée, j'ai le choix entre une bière ou l'eau du robinet. Il y a toujours l'option tequila, que je serais folle de refuser. Quoi de mieux que de commencer sa journée par la fin, avec le ventre vide et de l'alcool mexicain ? Surtout lorsque le tout est accompagné d'un peu de sel et d'une rondelle de citron fripée.

La petite voix dans ma tête se réveille, n'attendant que cette occasion pour me répéter à quel point je suis conne, à accumuler les mauvais choix.

Je m'enquis son petit shoot sans attendre et le regrette déjà en sentant la sensation de brûlure qui me parcourt l'œsophage pour inonder mon estomac. Élise me suit sans rien dire, prisonnière elle aussi de ce silence de mort, et je la regarde s'asseoir et tapoter la place à côté d'elle, par terre devant la planche qui lui sert de table basse. Je n'ai absolument aucune envie de poser mes fesses là, mais j'obéis par peur de la vexer.

— T'as même pas de sac, s'enquit ma cousine au bout d'un second shoot.

J'achève de croquer dans mon bout de citron, grimace et hoquète avant de lui répondre.

— Mon proprio' m'a flanqué à la porte, avoué-je finalement. J'ai même pas pu récupérer mes affaires.
— Le Heaven's paye si mal que ça ?

La raillerie dans sa voix ne m'échappe pas mais j'en fais abstraction.

— J'ai juste... J'ai juste tellement à payer. Les factures s'entassent et je n'arrive plus à jongler.

Son iris noir cerné d'hématomes me jauge et j'attends sa prochaine moquerie. Contre toute attente, elle se contente de détourner la tête pour remettre le nez directement dans sa bouteille.

— J'imagine que ça coûte un rein l'hôpital.
— La maison de repos...
— Ouais, ouais, c'est pareil, s'agace-t-elle en balayant mes mots d'un revers de la main.

J'essaye de fixer mon attention sur son papier peint floral qui se fait la malle en espérant qu'elle ne creuse pas le sujet. Les cadres qui s'accrochent à la vie sur son mur taché de moisissure m'obligent à reporter mes yeux sur autre chose. La simple vue de ces moments de sa vie dont je ne fais plus partie me donne tellement la nausée que je pourrais repeindre son tapis couvert de miettes de pizza.

Élise s'agite dans le silence, ses mains tremblantes s'accrochent au sachet de poudre qu'elle vient de sortir du pli de son fauteuil. Sur le coussin, Sparrow, son chat borgne au pelage roux, s'étire en feulant avant de s'enfuir dans un bond, manifestement furieux d'avoir été réveillé. Ma cousine s'excuse dans un sourire niais, l'insultant tout de même de petit con pour la forme, avant d'effectuer son je ne sais combientième rail de la journée.

Elle m'en propose, et n'insiste pas devant mon refus.

Je ne dis pas que je suis une sainte, loin de là, mais j'ai pu voir au fil des années combien cette merde la détruite, à quel point sa beauté et son innocence s'est fondu dans la poudre... S'il y a bien une chose que je souhaite ne jamais toucher, c'est bien ça.

Sur le meuble de sa télé, l'image de nos corps d'enfants, enlacés et heureux me donnent envie de me jeter par la fenêtre de son appartement.

Élise suit mon regard et son visage se décompose au rythme du mien. La vitre qui protège ce souvenir n'est plus qu'une multitude de fissures. Elle me jette son paquet de clope et je m'en allume une sans attendre qu'elle finisse son deuxième rail. Son geste est si rapide qu'elle fait voler une partie de sa poudre mortelle en une nuée d'etoiles sur mon jean.

— Qui l'aurait cru, pouffe-t-elle.
— Quoi ?
— Que tu finirais comme moi.

Son regard voilé me fait autant de mal que la drogue qui explose dans ses narines et elle le sait. Ses lèvres s'écartent, sa langue passe sur ses gencives alors qu'elle renifle en s'essuyant le nez. Et comme un coup de poignard, elle m'achève d'un simple alignement de phrases.

— Tu m'as toujours jugée mais tu ne vaux plus rien non plus. T'écarte peut-être pas encore les jambes pour du fric mais t'as pas besoin de ça pour être aussi sale que moi.

J'accuse le contrecoup de sa rancune en serrant les dents. Je crève d'envie de pleurer mais je n'ai plus aucune larme à déverser.

Elle a raison. Je ne suis plus rien. Je ne vaux plus rien.

Stupide, sale. Dégoûtante.

J'aurai vraiment dû me jeter de ce pont hier soir.

— Vois le bon côté des choses Baby Doll, entre putes on devrait pouvoir s'entraider.

Pari MortelOnde as histórias ganham vida. Descobre agora