Chapitre 65

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Le silence qui se fait est glacial. Puis les invités se mettent à chuchoter. Ils pensent tous avoir mal compris. Le sourire de la mariée s'efface d'un coup, comme après une bonne douche froide. Les journalistes parlent à toute vitesse d'un « retournement de situation » devant la caméra. Le maire semble gêné :

- Vous... vous... vous voulez dire « oui » plutôt, Monsieur Dilor ?

- Vous m'avez parfaitement compris, ma réponse est non. N, O, N, épelle-t-il.

Cette fois, tous les invités ont bien compris. Certains écarquillent les yeux et d'autres, comme la mère de Fenyx, hurlent de surprise.

- La réponse est non, poursuit Fenyx, car mon cœur est déjà pris.

Elisabeth éclate en sanglot, le maire semble dépassé et les invités se taisent tout à coup. Seuls les journalistes sont encore exaltés et commentent la scène aux caméras.

- Je suis amoureux de ce jeune garçon, qui est mon témoin aujourd'hui.

Fenyx s'avance vers Gabriel et l'attire à lui. Lentement, il ferme les yeux et dépose ses lèvres sur les siennes. Il sait que ce baiser apparaît en ce moment sur tous les écrans de la Ville.

Lorsqu'il s'écarte de Gabriel, il aperçoit que tous les invités ont la bouche ouverte de stupeur. La mère de Fenyx s'est évanouie et son père se lève d'un coup. La fureur perce chacun de ses traits. Le jeune Dilor fait rapidement signe à Mia d'aller accomplir sa mission.

Les invités récupèrent peu à peu l'usage de la parole.

- Dire que les Dilor sont à la tête du gouvernement, s'indigne une vieille femme, quel scandale !

- Je n'achèterais plus un seul de leur produit ! rechigne un invité.

 - Quelle honte, ça mérite l'exil !

- Oui ! De toute la famille Dilor !

- Qu'on les enlève immédiatement du gouvernement !

Alors que la salle explose, que les journalistes se déchaînent, Fenyx et Gabriel parviennent à sortir discrètement par la porte de derrière. L'adrénaline coulant encore à flot dans ses veines, Fenyx ne s'est jamais senti aussi bien de sa vie. Les Dilor ne sont plus au pouvoir, c'est le moment ou jamais d'agir.

- Que fabrique Mia ? demande Gabriel en jetant sans arrêt des coups d'œil vers le ciel.

- Ne t'inquiète pas pour elle et dépêchons-nous avant que quelqu'un ne nous voie !

Ils courent dans les ruelles et parviennent enfin au vieil entrepôt désaffecté. Il est désert. L'immense montgolfière rouge et or les attend.

Les deux amis s'adossent contre elle en haletant. Ils attendent de longues minutes. Puis enfin, un feu d'artifice déchire le ciel.

- Mia ! s'exclame Gabriel.

La jeune fille est parvenue à donner le signal. Une multitude de fusées explosent dans le ciel. Le tumulte commence.

N'étant pas très loin du mur, ils entendent distinctement le brouhaha. Derrière les pierres de la ségrégation, ils savent que des milliers de Galeux sont là, tambourinant à coup de pelle et de hache contre la roche.

- Ça commence, murmure Fenyx.

Gabriel et lui échangent un regard. Il n'y a plus de retour en arrière possible maintenant. Ils attendent. Les bruits de la révolution sont de plus en plus assourdissants. Les minutes deviennent interminables.

Enfin, la silhouette de la jeune fille se dessine au loin. Elle court vers eux et les rejoint, essoufflée.

- Ça... ça a marché ! s'exclame-t-elle.

Ils la félicitent et tous trois grimpent dans la montgolfière. Fenyx met les gaz et l'embarcation décolle.

En bas, le chaos règne. Tous les révolutionnaires s'acharnent sur le mur. Ils hurlent. Les quelques aristocrates qui sont encore dans la rue se précipitent pour rentrer chez eux. Des journalistes affluent des deux côtés. Les forces de l'ordre, impuissantes, tentent de protéger le mur du côté des aristocrates.

- Ils sont déchainés ! commente joyeusement Gabriel.

Soudain, sous leurs yeux, le mur s'écroule dans un nuage de fumée opaque qui monte presque jusqu'à la montgolfière. Les cris redoublent.

Les Galeux passent du côté aristocrate pour la première fois de leur vie.

- Allons-nous en, dit Fenyx en dirigeant la montgolfière.

Le brouhaha s'éloigne peu à peu. Seuls dans le silence du ciel, les amis profitent de leur victoire.

La montgolfière se pose dans le jardin de la maison de Fenyx. Ils descendent et entrent dans la maison, parlant tous à la fois, surexcités. Salomé, qui les attendait là, s'empresse de les rejoindre.

- Tout le monde parle de vous à la télé, venez-vite ! s'exclame-t-elle.

Ils se précipitent dans le salon, où le journaliste parle d'une voix forte à travers le chaos qui règne autour du mur.

« Je me trouve actuellement aux quartiers Nord, dit-il dans le micro, où la révolution fait rage. Les Galeux détruisent tout sur leur passage ! Le mur est tombé et ils progressent maintenant dans les quartiers aristocrates, où un deuxième envoyé spécial se trouve pour vous donner plus d'informations. »

L'antenne passe au deuxième envoyé spécial en question.

« Oui Patric, je suis actuellement dans les quartiers aristocrates où la population locale a été repoussée vers le nord. Les forces de l'ordre ont été vaincues par les Galeux et... on m'annonce dans l'oreillette que les révolutionnaires sont dans le centre des finances de la Ville. C'est une catastrophe ! »

L'antenne passe à un troisième envoyé spécial.

« Comme l'a dit David, les Galeux sont incontrôlables, ils sont en train de réduire à néant le centre des finances... »

La caméra zoome sur les révolutionnaires qui se déchaînent à coup de haches sur la bâtisse des finances. L'un d'entre eux entre dedans et jette son sac à dos à l'intérieur. Il fait ensuite signe à tout le monde de courir loin. Le journaliste et le caméraman suivent le mouvement et s'enfuient dans le sens inverse. Soudain, tout explose, l'image se brouille, l'envoyé spécial s'époumone :

« Il est détruit ! Le centre des finance est détruit mesdames et messieurs ! »

- Oh mon Dieu... murmure Salomé.

- Qu'est-ce que ça signifie ? demande Mia, les yeux rivés sur l'écran.

C'est Fenyx qui répond :

- Ça signifie que tout le monde repart de zéro. Plus personne n'a d'argent, donc il n'y a plus de riches... et plus de pauvres non plus.

Gabriel lance une exclamation.

- Donc plus personne n'est Galeux ? demande-t-il.

- Non, répond Fenyx. Et plus personne n'est aristocrate.

Des étoiles brillent dans les yeux de l'adolescent. Il échange un regard avec Mia, puis avec Fenyx.

« Nos envoyés spéciaux ne peuvent pas nous en dire plus pour l'instant, dit le présentateur des informations, nous allons faire un nouveau résumé des évènements tragiques du jour. Tout commence par le mariage du célèbre Stanislas Dilor, au cours duquel un énorme scandale a éclaté... »

Les images du baiser entre Fenyx et Gabiel apparaissent à l'écran.

« ...Ce qui a déclenché la colère des aristocrates et l'arrêt immédiat des fonctions de présidence de la Ville de la famille Dilor. D'autre part, il a été démontré que Stanislas Dilor était le fameux Out Suprême responsable de la révolution. Connu maintenant sous le nom de Traître des aristocrates et Ami des Galeux, Stanislas est actuellement introuvable... »

- L'ami des Galeux ? lance Salomé en haussant un sourcil d'une manière sarcastique. Alors Monsieur Dilor, qu'est-ce que ça vous fait d'avoir trahi les vôtre et déclenché l'apocalypse ?

Fenyx tourne lentement les yeux vers elle, et répond d'une voix faussement innocente :

- Oh, je crois que je devrais m'en remettre.

FenyxWhere stories live. Discover now