Chapitre 38

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- Je me marie dans six jours, dit Fenyx.

Gabriel tourne la tête vers lui.

- Vu le ton de ta voix, je suppose que je ne devrais pas te dire « félicitations »... dit-il amèrement.

Le jeune Dilor esquisse un pauvre sourire.

- Je suis sûrement idiot et égoïste, mais l'idée qu'on me donne en mariage telle de la marchandise ne m'enchante guère. Elle s'appelle Elisabeth. Je ne l'ai vue qu'une seule fois mais ça m'a suffi pour savoir qu'elle est aussi stupidement riche et superficielle que ses parents. Je dois me marier avec elle pour des histoires d'affaires. L'épouser rapportera à l'entreprise Dilor des gros billets. Et j'ai l'audace de penser qu'un mariage doit se faire par amour.

Gabriel reste silencieux.

- Alors que j'étais encore au lycée, poursuit Fenyx, j'ai fait une rencontre que je n'arriverais jamais à oublier. On habitait chacun d'un côté du mur et sa famille, des modestes agriculteurs, vivait à la lisière des bas quartiers. On s'envoyait des lettres, j'en recevais une chaque matin et en expédiais une le soir. On s'écrivait des choses banales, comme ce qu'on faisait dans la journée, nos rêves, nos ambitions et avant de m'en rendre compte, j'en suis tombé amoureux. Ça a duré une année entière. Voulant à tout prix vivre près de cette personne, j'ai engagé un faussaire qui lui a fabriqué de faux-papiers ainsi qu'à sa famille. Si des fermiers vivant dans les bas quartiers ne peuvent accéder aux quartiers aristocrates, des bijoutiers aisés le peuvent sans aucun problème. J'ai donc réussi à les faire entrer au service des Dilor. L'année qui a suivi était géniale. La plus belle de ma vie. Je pouvais voir la personne que j'aimais tous les jours, en secret bien sûr. Mais ça me suffisait, j'étais heureux ainsi. Le temps que nous passions ensemble était précieux, entre deux cours, dans le parc de la demeure familiale, dans ma chambre lorsque tout le monde était couché...

Fenyx s'arrête un instant. Il fixe la lune d'un air mélancolique. Il a longtemps refoulé ses souvenirs, car devenus trop douloureux.

- Comment s'appelle-t-elle ? demande Gabriel.

Le jeune Dilor ne répond pas. Penser son nom lui provoque une vive brûlure au cœur, alors le prononcer à haute voix doit être un déchirement. Gabriel n'insiste pas et demande plutôt :

- Comment ça s'est fini ?

- Ma mère est une véritable fouineuse. Elle trouvait cette famille plutôt étrange pour des bijoutiers. Ils avaient des manières de paysans. Elle a donc fait sa petite enquête et la supercherie a été découverte. Ayant violé la loi du mur, ils furent contraints à la plus terrible sanction : l'exil. Je m'y suis opposé, j'ai révélé à tout le monde que c'était moi et moi seul à l'origine de ce délit. Bien sûr, cette affaire a d'abord fait scandale, mais ma mère, tenant à la réputation de la famille avant tout, a réussi à faire croire que j'étais souffrant et que je n'avais rien à voir là-dedans. Elle m'a fait enfermer dans ma propre chambre pendant deux longues semaines au cours desquelles la personne que j'aimais ainsi que sa famille ont été exilés hors de la Ville sur un bateau de fortune. Quand j'ai été libéré, c'était trop tard. Il n'y avait plus que ma culpabilité, pesant comme un sac de plomb à l'intérieur de mon estomac et le désir ardent de me venger. Ma peine, ma culpabilité, ont été remplacées par un sentiment plus fort que tout : la colère. Pendant les années qui ont suivi, je me suis acharné à rendre la vie impossible à mes parents, à me rebeller contre tout et tout le monde. Mais ça ne suffisait pas, je n'arrivais pas à m'arracher de leur emprise. Et comble de l'horreur, je me retrouve fiancé à l'espèce que je déteste le plus au monde : les aristocrates. Donc un plan a commencé à germer dans mon esprit. Celui où j'aurais enfin ma vengeance. Celui où mes parents seraient humiliés et où les aristocrates perdraient enfin leur prestige à la con. Je me suis donc comporté en enfant modèle, j'ai dit que j'acceptais de l'épouser et de reprendre les rênes de l'entreprise Dilor. Ils étaient contents, ils croyaient enfin m'avoir dressé « comme il faut » et bien ils vont voir...

Un sourire diabolique se fige sur le visage de Fenyx. Gabriel, qui le regarde, semble ému. Sans prévenir, il étreint son ami.

FenyxWhere stories live. Discover now